D’après une étude que vous avez publiée il y a peu, la demande placée des établissements d’enseignement supérieur a été particulièrement dynamique en 2021, ainsi qu’en ce début d’année 2022. Quelles ont été les opérations majeures réalisées ?

Quatre prises à bail d’une superficie supérieure à 5 000 m2 ont été effectuées l’année dernière : l’EM Normandie a inauguré son antenne parisienne de 13 700 m2à Paris Clichy, l’EM Grenoble s’est engagé à prendre à bail 5 800 m2à Pantin (93) pour un accueil des premiers étudiants prévu à la rentrée 2023, le groupe IGS investira 11 000 m2au sein d’un nouveau programme immobilier à Nanterre (92) en 2025 et Omnes Education (ex-Inseec) s’installera au sein du complexe de bureaux « Cœur Défense » (13 500 m2) à la rentrée 2022 (en plus de l’agrandissement de ses campus lyonnais et bordelais). Par ailleurs, depuis le début de l’année, les écoles de commerce de l’Iéseg et de l’ICN Business School ont, respectivement, pris à bail 8 000 et 6 200 m2à Puteaux (92), au sein du bâtiment des « Collines de l’Arche ».

En plus des opérations supérieures à 5 000 m2, il y a également eu des transactions de plus petites surfaces, mais non moins significatives, à l’image de la prise à bail de Rennes School of Business, dans le 9ème arrondissement (1 500 m2), en 2021. Nous remarquons, également, la forte attractivité suscitée par l’Ouest parisien pour ces nouvelles implantations.

Comment expliquez-vous ces ouvertures multiples, alors même que le secteur éducatif a particulièrement souffert pendant la crise sanitaire ?

La première des explications tient à la forte croissance du secteur de l’enseignement supérieur privé. De manière générale, les effectifs étudiants augmentent en France, dans le public comme dans le privé, même si la croissance est plus forte dans le privé, avec une hausse annuelle des effectifs comprise entre 5 et 6 %. Il existe différentes raisons à cela, au premier rang desquelles la qualité des enseignements et, surtout, leur aspect professionnalisant, notamment grâce aux stages en entreprises, préparant très tôt les étudiants aux réalités concrètes de leur futur métier. Sans compter les outils pédagogiques et le nombre plus réduit d’étudiants par rapport aux amphithéâtres archi-combles des universités.

Il faut aussi avoir en tête que les grands groupes de l’enseignement supérieur privé, à l’image de Galileo Global Education [1] ou Ionis Education Group [2], créent régulièrement de nouvelles formations, élargissant ainsi leur éventail pédagogique. Leur flexibilité et leur agilité leur permettent de s’adapter perpétuellement aux nouveaux besoins du marché du travail.

Ces raisons entraînent des nécessités d’expansion immobilière pour ces écoles, que ce soit en Ile-de-France comme en régions, afin d’absorber leur croissance. De plus, ces groupes privés étant en concurrence les uns avec les autres, chacun d’eux doit redoubler de promesses afin d’attirer le plus d’étudiants possibles : cela passe par la création d’espaces collaboratifs, d’autres dédiés uniquement au digital… Le besoin en superficie augmente en conséquence.

Le choix des lieux d’implantation de ces écoles ne semble pas anodin : QCA (quartier central des affaires), La Défense…

Il est stratégique pour ces écoles de s’implanter dans des quartiers tertiaires bénéficiant d’un tissu d’entreprises conséquent. Les relations avec les entreprises se nouent plus facilement si ces dernières se situent à quelques mètres, voire occupent le même bâtiment. Après, tout dépend du type de campus : typiquement, les écoles d’ingénieurs se situent traditionnellement en première ou deuxième couronnes, tandis que les écoles de commerce vont davantage s’épanouir dans un milieu très urbain.

Les Hauts-de-Seine (92) tirent clairement leur épingle du jeu dans le secteur des établissements d’enseignement supérieur, attirant la plupart des nouvelles signatures de baux, alors qu’historiquement ces campus s’installaient plutôt à Paris, notamment sur la rive gauche. Mais l’offre reste limitée dans la Capitale, tandis que les prix ne cessent d’augmenter. Les Hauts-de-Seine apparaissent comme l’option idéale, avec plus d’offres disponibles (vacance importante du secteur tertiaire, à l’image de La Défense) et, par conséquent, des conditions économiques plus favorables aux utilisateurs.

La visibilité internationale est également un élément incontournable, sachant que nombre de ces écoles accueillent des étudiants étrangers. Pour les écoles de province, ouvrir une antenne à Paris confère une dimension supérieure vis-à-vis des nouveaux arrivants en France. La logique inverse peut également être vraie : la province est attractive pour les étudiants soucieux de ménager leur pouvoir d’achat, notamment pour se loger, avec des loyers inférieurs à la moyenne parisienne.

Pendant toute la durée de la crise sanitaire, les étudiants ont appris à composer avec l’enseignement à distance, protocole inédit jusqu’ici. Cela a-t-il eu un effet dissuasif sur le choix d’ouvrir de nouveaux campus ?

Pas du tout, pour la simple raison que l’enseignement à distance renforce le besoin, pour les étudiants, de se retrouver au sein de locaux physiques. Pour des jeunes qui débarquent souvent dans une ville qu’ils ne connaissent pas et sont contraints d’opter pour des petites surfaces afin de se loger, le fait d’avoir un campus physique et multi-serviciel pour se retrouver tous ensemble est presque indispensable. De plus, du point de vue de l’apprentissage, nous savons que la pédagogie est plus efficace lorsqu’elle s’exerce de façon comodale (mix entre le distanciel et le présentiel). Les outils numériques doivent s’intégrer dans un modèle hybride plutôt que sur du 100 % distanciel.

Le même phénomène est à l’œuvre dans le tertiaire, où même les startups s’aperçoivent que leurs équipes ont besoin de se retrouver régulièrement, aussi bien pour l’efficience de leur travail que pour entretenir le sentiment d’appartenance à l’entreprise.

Il convient aussi d’ajouter que les écoles s’engagent le plus souvent sur des baux longs. Les immeubles dans lesquels elles s’installent deviennent de fait des investissements sécurisés et assez recherchés. De plus, investir dans l’enseignement est toujours valorisant pour l’image et la renommée des investisseurs. Après, ce marché reste de niche : l’année dernière, l’on comptait « seulement » 62 000 m2 pris à bail par les écoles, sur les 1,8 million de mètres carrés totalisés par le marché tertiaire.

[1] Galileo Global Education rassemble 54 écoles dans 13 pays dans les domaines des arts, de la création, du design, de la communication et du management.
[2] Ionis Education Group compte 26 écoles ou entités.

David Bourla (Knight Frank) : « pour les écoles, il est stratégique de s’implanter dans des quartiers tertiaires »