Globalement, votre position internationale vous amène à porter quel regard sur les marchés immobiliers tels qu’ils se sont présentés en 2020 dans le cadre de la crise sanitaire ?

La baisse de l’activité d’investissement immobilier observée dans le monde et particulièrement aux Etats-Unis est logique dans un contexte de récession et d’incertitude. En revanche, la demande reste forte en Asie et en Europe, même si elle est sensiblement plus sélective. L’Asie est, en effet, le premier marché à être sorti de la récession et c’est aussi le mieux positionné, aujourd’hui, en terme d’investissement.

Quant à l’Europe, même si le volume total d’investissements s’est inscrit en baisse, il a été soutenu par l’activité des investisseurs domestiques. La recherche de produits de qualité a soutenu, voire fait baisser les niveaux des taux de rendement « prime » dans les domaines de la logistique, mais également des bureaux bien loués et situés au centre des grandes capitales. Certaines différences sectorielles se sont creusées : la logistique et le résidentiel se sont montrés particulièrement résilients, tandis que les prix continuent à baisser dans le secteur du commerce, qui attire moins les investisseurs. Comme lors de toute crise, nous avons aussi remarqué une hiérarchisation des valeurs selon les profils de risque et la qualité des sous-jacents.

Une crise est aussi une opportunité de transformation : nombre de tendances de fond identifiées fin 2019 et sur lesquelles nous avions commencé à investir se sont accélérées et confirment notre stratégie dans certaines classes d’actifs. C’est le cas des nouveaux modes de travail qui questionnent le rôle du bureau, ou encore des achats en ligne, qui rebattent les cartes du commerce de détail et créent des besoins importants en logistique. Ce qui renforce d’autant plus l’importance de la gestion d’actifs dans notre stratégie et l’adaptation de notre patrimoine à ces nouvelles tendances.

Nous pouvons citer de nombreux projets de notre portefeuille qui répondent déjà aux nouvelles attentes des collaborateurs. C’est le cas d’« Arboretum », un projet exceptionnel de campus de 126 000 m2 de bureaux et services bas carbone dans lequel nous sommes investis via notre partenariat avec Icawood : un vrai pari que nous avons pris il y a deux ans, mais qui se révèle, aujourd’hui, totalement en phase avec les nouvelles pratiques de travail. Nous faisons bouger les lignes du bureau avec des projets innovants comme des ensembles mixtes, avec « Alte Post » (Berlin), « Voltaire » (Paris) ou « Duo » (Paris), ou encore des projets de campus de bureaux dédiés au secteur médical, pharmaceutique, et recherche & développement (« life science parks »).

On assiste à un accroissement des considérations des investisseurs vis-à-vis des critères ESG dans le monde et à une attention accrue portée aux sujets liés à la santé et au bien-être. A titre d’exemple, en Asie, les investisseurs demandent désormais un certificat pour le bâti, d’une part (LEED ou autre) et pour les employés, d’autre part (WELL, par exemple). Une tendance que l’on observe de plus en plus souvent en Europe et que nous avons su anticiper puisque nous prenons systématiquement en compte les critères ESG dans le développement de notre portefeuille.

En Europe, quelle analyse des marchés français par rapport à leurs concurrents ?

L’Allemagne, dominée par les investissements « core », notamment en bureaux, et la France, soutenue par les investisseurs domestiques et les taux d’intérêt bas, sont des marchés qui ont mieux résisté que le Royaume-Uni, qui a souffert des incertitudes liées au Brexit et à la pandémie. Nous avons pu continuer à opérer et à investir dans ces trois marchés grâce à nos équipes sur place, là où d’autres investisseurs internationaux ont été pénalisés par les restrictions de voyage.

Il existe des différences structurelles entre les grands marchés européens. Alors que nous cherchons à investir dans des ensembles mixtes, ceux-ci sont plus difficiles à trouver en France, car culturellement, les bureaux et les résidences y sont souvent séparés. C’est moins le cas en Allemagne, où la mixité des usages est plus répandue.

Dans le secteur de la logistique, en France et en Allemagne, les prix sont plus attractifs, notamment sur les opportunités de développement, par rapport au Royaume-Uni où les taux sont déjà très compressés. Enfin, nous avons observé en France, à partir de juin, un ajustement des valeurs sur les investissements opportunistes et « value add », qui ont profité aux investisseurs n’ayant pas besoin de recourir à la dette, comme c’est notre cas. Nous avons saisi cette occasion pour créer et façonner des produits encore mieux adaptés à la conjoncture et aux nouvelles tendances.

Quels investissements pour Ivanhoé Cambridge en 2020 dans l’Hexagone ?

Alors que nous pensions que l’année serait atone, nous sommes restés très dynamiques : au total, plus d’1,2 milliard d’euros ont été investis ou engagés en Europe à travers une dizaine de transactions directes et indirectes, dont plus de la moitié en France.

La logistique a représenté près de 500 millions d’euros de transactions – sur un marché de l’ordre de 3 milliards d’euros – avec, notamment, l’acquisition de Hub & Flow en début d’année ou l’ajout de sites comme Roye en novembre et d’autres engagements pour l’avenir…

Plateforme logistique de 36 000 m2 acquise « en blanc » par Ivanhoé Cambridge, auprès de Catella Logistic Europe, à Roye (80), dont la livraison est prévue au 4ème trimestre 2021.

En plein confinement, nous avons acquis un ensemble mixte à Paris, boulevard Voltaire, pour lequel tout a été réalisé à distance, de son origination jusqu’à sa signature. Nous avons également scellé un beau partenariat avec Greystar pour développer des résidences étudiantes en région parisienne via une joint-venture d’une capacité d’investissement d’un milliard d’euros. Citons l’acquisition de « Joya », un campus de 50 000 m2 de bureaux à Val de Fontenay, qui sera livré en 2022 et particulièrement adapté aux besoins des utilisateurs en termes de coûts d’occupation, de services, de flexibilité des espaces de travail et d’accès à la technologie.

« Joya », campus de 50 000 m2 de bureaux à Val de Fontenay (94), qui sera livré en 2022, également acquis par Ivanhoé Cambridge.

Enfin, la gestion active de notre portefeuille nous a permis d’atténuer les impacts du Covid : par exemple, le chantier des tours Duo n’a jamais cessé de progresser en 2020.

Les tours Duo, dont le chantier « n’a jamais cessé de progresser en 2020″…

Quelle stratégie d’investissement cette année en général en Europe ? Et quel positionnement en France ?

Nous restons concentrés sur notre mission d’atteindre une performance globale à long terme, tout en recherchant à avoir un impact social et environnemental positif.

L’Europe et l’Asie-Pacifique constituent un axe majeur de diversification et de croissance pour Ivanhoé Cambridge. En Europe, nos trois marchés prioritaires restent la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, mais nous sommes ouverts à la diversification géographique avec des pays comme l’Espagne, l’Italie ou des pays nordiques. Nous avons une approche opportuniste et nous sommes très flexibles et à l’écoute des signaux locaux.

En 2021, nous poursuivons et accélérons notre stratégie, avec pour objectif de détenir un portefeuille homogène. Nous nous concentrons sur les thèmes d’investissement prometteurs et le renforcement de nos capacités en gestion d’actifs. Nos classes d’actifs privilégiées demeurent la logistique, le résidentiel, les propriétés mixtes et les bureaux car nous cherchons, avant tout, à répondre aux besoins réels des utilisateurs de nos espaces. C’est pourquoi nous adoptons souvent des stratégies « develop to core ». Nous continuons donc à identifier les opportunités dans les secteurs porteurs (logistique urbaine, centres de données, entrepôts libre-service, bureaux spécialisés R&D…) et prenons systématiquement en compte les critères ESG dans nos stratégies d’investissement.

La localisation des actifs reste un élément clé dans nos stratégies de développement d’espaces mixtes où la connectivité est essentielle. En effet, certains quartiers s’y prêtent mieux que d’autres et offrent une grande diversité d’espace et d’expériences pour leurs utilisateurs.

La gestion d’actifs et les arbitrages font partie intégrante de notre stratégie et nous comptons procéder à des dispositions lorsque la création de valeur a été obtenue afin d’accentuer la transformation de notre portefeuille à long terme.

Et, bien entendu, la livraison de « Duo » en fin d’année marquera une étape très importante pour nous !

Quel volume d’investissement pour la France et quels actifs recherchés ?

Nous n’avons pas d’objectif chiffré, mais nous nous attendons à un rebond de l’activité en deuxième partie d’année. Nous poursuivons sur la lancée d’une année 2020 qui a été très active, toujours en nous focalisant sur la création de valeur.

Si nos efforts porteront particulièrement sur le résidentiel, la logistique, les bureaux nouvelle génération et les ensembles mixtes, nous ne nous interdisons pas de regarder des classes d’actifs alternatives.

Dans le cadre du partenariat conclu l’an dernier avec Greystar, un certain nombre d’actifs sont, ainsi, à l’étude pour développer des résidences étudiantes en Ile-de-France…

De nouveaux partenariats ?

Nous sommes en discussion avec des partenaires sur des marchés sur lesquels nous serions de nouveaux entrants ou sur lesquels nous n’aurions pas encore d’équipes locales. Nous sommes à l’écoute de partenariats qui pourraient permettre de nous développer sur de nouveaux types d’actifs, notamment des classes alternatives comme les résidences pour personnes âgées, les entrepôts libre-service ou les centres de données, par exemple…

Karim Habra (Ivanhoé Cambridge) : « une approche opportuniste »…