En matière de rénovation énergétique, les choses sont désormais claires :

– le temps du constat, du comptage, de l’état des lieux est définitivement révolu. Et il ne peut servir de prétexte à l’inaction. A quoi sert-il en effet de gloser davantage pour savoir s’il y a 4,8 ou 5,2 millions de logements énergivores de classe DPE F ou G ? Et qu’apporte en pratique cette dispute entre spécialistes pour savoir s’il y a vraiment 3 millions de logements vacants, comme le dit l’Insee, alors qu’on sait que la mobilisation de 10 % de ce chiffre suffirait au bonheur de tant de personnes mal logées et exposées ainsi aux dérèglements du climat ? L’enjeu est en tout cas tel qu’il justifie l’action ;

– le temps de la planification est aussi largement dépassé. Et la perspective d’un nouveau plan, si elle devait exister, ne saurait justifier des positions d’attente. Des plans publics, parfois incantatoires, souvent efficaces, balisent le chemin à l’horizon 2050, en complément de la loi de programmation dite Grenelle-1 du 3 août 2009 qui a clairement fixé le cap. Chacun sait où aller et à quel rythme marcher, dès hier, sans attendre demain ;

– le temps – ou plutôt la tentation – de la feuille blanche est aussi désormais proscrit : quelques équipes ministérielles ont ainsi, cinq ans après le Grenelle, imaginé de remettre à plat le projet, d’initier des concertations, de construire un nouveau programme, comme si rien n’avait été fait avant leur arrivée, comme si le jour devait succéder à la nuit… Heureusement la tentation fut de brève durée, se contentant de bannir la référence au Grenelle, sans que la politique publique ne varie en effet de la programmation ancrée en 2007 pour deux générations. Et c’est heureux que cette continuité de l’action publique ait pu ainsi se caractériser. Il arrive encore qu’un animateur de colloque s’obstine à reposer les mêmes questions sans mesurer que le train avance et que les sujets se présentent autrement qu’au lendemain du Grenelle, mais c’est là heureusement une exception sans conséquence ;

– le temps de l’opposition stérile entre construction et rénovation est lui aussi largement révolu : chacun comprend aujourd’hui qu’il faut à la fois construire là où les besoins sont patents, de préférence en zone dense, mais qu’il faut aussi rénover l’existant et l’adapter aux défis actuels. En somme, rénovation et construction sont les deux piliers de la production immobilière, voués à se conforter l’un l’autre : on doit en effet prendre soin dans le même mouvement des 30 millions de ménages déjà logés mais exposés aux défis évoqués plus loin, et des 300 000 nouveaux ménages qu’on loge chaque année dans les logements par principe performants ;

– le temps de la controverse entre les tenants de l’incitation-accompagnement et ceux de l’obli- gation-coercition est lui aussi derrière nous: une obligation est à l’œuvre dans le champ tertiaire, une autre, fruit de la Convention citoyenne pour le Climat, est posée dans le parc résidentiel à usage locatif, des obligations indirectes existent (diagnostics et audits, embarquement de la performance énergétique à l’occasion de gros travaux…), la règle- mentation environnementale gouverne les constructions nouvelles désormais bas-carbone. Bref, un arsenal obligatoire, pesé au trébuchet, est en place et se suffit à lui-même: laissons le développer ses effets ! ;

– et le temps du doute n’assaille plus grand-monde : les canicules successives de cet été auront, hélas, éprouvé dans leur chair et leur santé les plus fragiles d’entre nous, ceux qui, dotés de ressources modestes, occupent des logements mal isolés où le chaud fait de plus grands ravages encore que le froid. Et que dire de ceux qui ont vu leur logement exposé aux incendies, attestant d’une façon d’habiter en territoire diffus mal adaptée au réchauffement.

En somme, comme le ministre de la Ville et du Logement l’a déclaré en intervenant en juillet dernier à l’université Palladio de la ville de demain : « il faut maintenant poursuivre et accélérer ». Et en effet, devant l’amplification croissante des dérèglements climatiques, le temps de la mobilisation générale et du changement de braquet est largement arrivé.

« Maintenant que nous savons quoi faire, organisons- nous sans délai ! »

Mobilisation générale : le temps n’est plus celui des voltigeurs, celui où l’on pouvait s’offrir le luxe d’observer sans bouger les défricheurs de chemins, ceux qui devancent le train. Maintenant que nous savons quoi faire, agissons sans délai ! Le temps d’aujourd’hui est celui de la société en mouvement, qui, dans sa globalité et sa diversité, s’approprie la démarche et marche de concert : l’Etat a fixé le cap, dressé le cadre, mis en place les aides requises et développé, à travers France-Renov, l’information, le conseil et l’accompagnement dont les plus fragiles ont besoin. A chacun de nous, à sa place, de prendre maintenant la suite et de s’engager : les élus locaux à qui l’Etat doit clairement passer le témoin des projets et des ressources : leur rôle d’animateur de l’action locale est ici essentiel ; les entreprises du bâtiment et de l’immobilier, comme celles de la mesure et de la prescription, qui doivent rapidement constituer des groupements capables de proposer des rénovations globales ; les architectes appelés à coordonner l’action de rénovation et à imaginer son insertion dans des projets plus amples de renouveau urbain ; les banquiers et assureurs attendus pour mettre en œuvre des financements dédiés et garantir la performance promise aux maîtres d’ouvrage ; les industriels et producteurs de matériaux et équipements dont on espère la conception et la distribution de produits décarbonés, bien calibrés, adaptés aux besoins de rénovations performantes ; les associations chargées de lutter contre le mal- logement et d’accompagner les plus fragiles, elles aussi, pour qu’elles déploient à grande échelle cette main tendue si nécessaire…

La mobilisation générale ici réclamée concerne ainsi tous les acteurs de façon qu’une offre de travaux et de services, pertinente et performante, disponible sur l’ensemble du territoire, soit déployée : cela appelle à avancer groupé ; c’est la condition de toute massification de l’action, en quantité et qualité, sans laquelle les ménages maîtres d’ouvrage rechigneront à entreprendre des rénovations dignes de ce nom. Et cette mobilisation collective doit commencer, chacun à sa mesure, par des efforts de sobriété énergétique qui, s’ils ne constituent pas des actes de rénovation, répondent à un impératif sociétal immédiat et prépare nos esprits à faire davantage en rénovant nos locaux.

Cette mobilisation répond aux exigences du développement durable en maniant en même temps l’action écologique (limiter consommations et émissions), l’action économique (réduire les consommations et corrélativement développer une filière d’entrepreneurs de la rénovation globale) et l’action sociale : nous sommes tous invités à monter dans le train, personne ne doit rester sur le quai même si certains ont évidemment besoin d’un accompagnement plus étroit, plus intense.

Changement de braquet : l’idée ici portée est double, au-delà de la mobilisation collective réclamée. Il s’agit, d’une part, de modifier l’échelle géographique d’intervention et, d’autre part, d’ouvrir le champ thématique de l’action.

Du côté spatial, l’idée est simple et commence à faire heureusement consensus : cessons d’agir à l’échelle du logement ou du bâtiment et comprenons vite que l’échelle pertinente est celle de l’îlot, du lotissement, du quartier, de la centralité urbaine. Le mode d’intervention est éprouvé et disponible, s’apparentant à la création d’une zone d’aménagement ou à la contractualisation d’opérations programmées du type Opah. Chacun sait en effet que ces mobilisations, inscrites dans l’unité de lieu, de temps et d’action, présentent une efficacité singulière, comme l’illustrent brillamment les programmes Action cœur de ville ou Petites villes de demain. En somme, ce changement d’échelle incite à d’autres modes de communication au sein de la société : les ménages, qui ont compris le besoin de rénover leur logement, doivent suivre les projets municipaux ou intercommunaux menés par les autorités locales et accepter de se joindre aux opérations programmées lancées dans leur espace de vie. Et ce sont, dorénavant, les élus locaux qui doivent devenir leurs principaux interlocuteurs, ceux à qui les financements sont mis à disposition et l’autorité reconnue. Aux territoires d’organiser l’action concertée ; à l’Etat de mettre les collectivités territoriales en mesure de réussir l’action.

« Aux territoires d’organiser l’action concertée ; à l’Etat de mettre les collectivités territoriales en mesure de réussir l’action »

Du côté thématique, l’idée est aussi simple : il faut relever simultanément les différents défis qui assureront, à partir du parc existant, un habitat pour chacun, sans se focaliser à l’excès sur la seule rénovation énergétique des logements et lieux de vie. Ainsi, il faut ensemble s’attaquer à ces défis bien identifiés qui préoccupent avec raison notre société : le défi environnemental et pas seulement énergétique où le poids carbone du bâti est maîtrisé et où la maîtrise de l’eau, la qualité de l’air, la biodiversité, le recyclage et l’économie circulaire, la production d’énergie renouvelable… sont interrogés et incorporés aux projets ; le défi sanitaire de nature à assurer santé et bien-être des occupants, étant observé que le logement est appelé à être le lieu par excellence où ce défi doit être relevé en raison du vieillissement des habitants qui exigeront demain le soin à domicile ; le défi démographique permettant aux plus âgés de disposer d’un logement adapté à leur maintien à domicile : et il faut saluer à cet égard la perspective prochaine de déploiement de de MaprimeAdapt’, construite sur le modèle de MaprimeRenov’ et favorisant la réalisation de ces travaux d’adaptation indispensables (dans un pavillon, descendre la chambre qui est à l’étage, remplacer la baignoire par une douche, transformer le garage attenant à usage d’habitation…) ; le défi d’usage conférant aux locaux une capacité de muter en fonction de l’évolution des besoins, de rendre possible changement et réversibilité d’usage. Embarquons donc chaque fois que possible la rénovation énergétique dans ces rénovations bas- carbone et d’usage, que la société espère.

C’est un nouveau regard sur le bâti qui est ainsi porté, identifiant le chemin de progrès, déjà balisé, qu’il nous faut emprunter ensemble : résolument car le temps est venu ; avec enthousiasme car il est temps de comprendre ce qu’un habitat ainsi choisi va apporter à notre vie de tous les jours ; et sans laisser personne sur le bord du chemin car la reconstitution sociétale du vivre-ensemble l’exige.

Un extrait du livre de Philippe Pelletier (actuel président du Plan Bâtiment Durable), paru aux Editions du Moniteur, à lire sans tarder.

Philippe Pelletier (Plan Bâtiment Durable) : le temps de la rénovation des bâtiments