Etrange cette notion du taux d’effort pour le commerce. Pourtant, pendant des années, cette expression a été adoptée par le milieu de l’immobilier commercial.
Habituellement, ce sont les banquiers qui retiennent une telle formule pour imaginer le montant d’un prêt à accorder en fonction des revenus de l’emprunteur potentiel. Passé le seuil de 30 %, le prêt est refusé.
Pour le commerce, il s’agirait de comparer un chiffre d’affaires, celui de l’exploitant, avec le loyer, les charges, travaux, taxes locales payés. Rien à voir avec le prêt puisqu’il s’agit de la mise à disposition d’une boutique. Cependant, ce mode de calcul a été tout de même accepté.
On doit s’interroger sur la pertinence d’une telle notion, d’autant que le bailleur ne cesse de répéter qu’il n’est pas l’associé de son locataire…
Sérieusement, et en dehors d’un aspect purement légal, il faut bien reconnaître que la valeur d’un bien relève de sa rentabilité. Le loyer est donc le moteur de la valeur de l’immeuble. C’est donc dans cette situation que les locataires, notamment en centres commerciaux, se sont progressivement et, tout de même volontairement, retrouvés.
Compte tenu de la nouvelle situation, cette notion a-t-elle encore du sens ?

Proportionnalité du loyer et du Covid

Traditionnellement, le taux d’effort retenu est de 10 à 15 % pour le prêt-à-porter et autres ; de 5 à 7 % pour la restauration et le loisir, et entre 2,5 et 4 % pour la grande distribution alimentaire notamment.
Compte tenu de la défaillance de la commercialité dans certains centres, à partir du moment où le taux est supérieur à 20 %, le locataire prend l’initiative de quitter son local, que ce soit dans le cadre d’une période triennale ou en fin de bail.
En l’absence de chiffre d’affaires au cours de la période de confinement et pour laquelle la force majeure serait retenue, ou l’exception d’inexécution, ou le fait du prince ou l’imprévision (loi 10/2016), ce type de taux d’effort n’a plus de sens.
Il faut donc confronter le taux d’effort avec les nouvelles méthodes du commerce imposées par cette pandémie.

Taux d’effort et mesures barrières

La boutique doit être un lieu sûr : gel, masques, distance de séparation, gants… La vitrine n’est plus un lieu où se trouvent exposés la nouvelle collection, c’est un lieu d’attente. Celle-ci peut embarrasser la vitrine du voisin. Dans les centres commerciaux, le mall lui-même peut devenir ce lieu d’attente. L’un des salariés est positionné pour interdire l’accès à plus de 3 ou 10 clients, selon la surface du local. Dès lors, il est donc impossible de raisonner comme habituellement sur des taux de rendement au mètre carré.
Le taux de transformation est nécessairement très important car le client qui a attendu 10 minutes devant la boutique va vraisemblablement mettre à profit son attente.
Cependant, est-ce encore la même boutique ?
Difficile, dans ce cas, de reprendre l’expression « shopping plaisir », affublé d’un masque, de gants et de lotion hydro-alcoolique dans une boutique !

Taux d’effort et taux de rendement

Le taux de rendement a toujours été le seul véritable critère pour le commerçant.
Dorénavant, la surface retenue pour calculer ce rendement sera nécessairement modifiée. Certaines surfaces seront sacrifiées sur l’autel de la prudence sanction. Les cabines d’essayage devront être repensées. Les vêtements essayés, mais ceux non retenus devront être retraités. Les zones de paiement seront positionnées ou remplacées par des terminaux mobiles. Les vitrines devront être nécessairement repensées. Ainsi, les boutiques dites « bonbonnières » (5 mètres/5 mètres) vont vraisemblablement disparaître, toujours pour des raisons sanitaires.
L’expert judiciaire qui devra apprécier la boutique en fonction de ces pondérations devra tout autant redéfinir ses coefficients.
Le taux d’effort sera, au regard de ces nouvelles configurations, mis dans la catégorie des vieux bibelots.

Le Covid et la valeur locative

Même si nombreux sont les baux où le propriétaire a inséré un loyer de marché (dont on n’a toujours pas de vraie définition compte tenu du caractère mouvant de la notion), le loyer lors du renouvellement doit être examiné au regard des dispositions visées à l’article L.145-33 du Code de Commerce, et notamment sur les obligations.
Dans la mesure où les obligations sont imposées par la pratique commerciale nouvelle, il faudra dorénavant reprendre des abattements sur ce motif.
En tout état de cause, le taux de rendement au mètre carré va nécessairement diminuer et le taux d’effort n’aura vraiment plus aucun sens, que ce soit au niveau économique ou juridique.
Cette notion était, de toute façon, inadaptée à l’activité et aux risques connus. Faut-il rappeler que la notion d’effort renvoie au coureur de marathon qui, avant de se lancer pour parcourir 42,195 km, fait son test cardiaque, dit test de l’effort, lequel lui évitera la crise cardiaque ?
Et puisque cette crise inédite à l’origine sanitaire devenue économique profonde, sera longue, alors il est peut-être judicieux d’utiliser le vocabulaire de la médecine. Un bon diagnostic pour une thérapeutique « adaptée » pour trouver rapidement un remède efficace et durable. Et cela pour éviter une « mort » rapide au tribunal de commerce ou lente au tribunal judiciaire.
Le diagnostic sera établi par la combinaison d’une analyse « sur mesure » à la fois juridique et économique faite par des experts d’expérience (ayant vécus des crises !). Ce diagnostic permettra par concertation une thérapeutique bien acceptée (on ne soigne bien que celui qui veut guérir !). Un remède pourra ainsi être rapide (2 semaines) et pertinent, permettant une négociation menée en moins de 4 semaines afin de ramener l’effort locatif global à un niveau économiquement viable.
« Le Roi est mort, vive le Roi » disait-on sous l’ancien Régime.

Commerce : le taux d'effort est-il mort ?