La Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), dans sa dernière version actée en 2020, précise la trajectoire que nous nous sommes donnée collectivement en matière de lutte contre le changement climatique. Elle est encore plus ambitieuse que la précédente, dont les objectifs n’ont pourtant pas été atteints : à horizon 2050, nous ne viserions plus seulement le « facteur 4 », i.e la réduction de 75 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à 1990, mais bien la neutralité carbone (« facteur 6 »).

Un maître-mot, la rénovation

Pour un secteur comme l’immobilier, dont on s’accorde à considérer qu’il est à l’origine d’un quart environ des émissions de carbone de notre pays, cet objectif est à la fois très structurant et extraordinairement ambitieux car, à la différence d’autres secteurs, il est marqué par une profonde inertie. Par comparaison, dans le secteur des transports, des résultats peuvent être obtenus rapidement, à la faveur du report modal ou d’une bascule de tel ou tel mode de transport vers des énergies moins carbonées (le stock de véhicules est renouvelé, en moyenne, tous les 20-25 ans). Dans l’immobilier, en revanche, il faut compter avec l’ampleur du parc (36 millions de logements, pour ne mentionner qu’eux), la difficulté (économique comme technique) des progrès à y accomplir et leur lenteur (avec une durée de vie des actifs qui peut dépasser cent ans).

Dans l’immobilier, et dans la continuité des règlements et directives de l’Union Européenne, l’Etat s’est donné comme maître-mot, la rénovation. Il a clairement infléchi en ce sens sa politique et ses investissements, comme en témoigne le plan de relance, qui consacre très précisément dix fois plus de moyens à la rénovation qu’à la construction (6,5 milliards d’euros, contre 650 millions d’euros). Le signal adressé au secteur, et plus encore aux élus locaux, est donc clair. Il confirme une tendance déjà observée dans notre secteur, dans l’affirmation d’un objectif de « non-artificialisation », la remise en cause des leviers traditionnels du soutien à la construction HLM ou l’absence de discours volontariste sur la construction.

Un immense défi pour la promotion immobilière

Indiscutablement, ces choix traduisent une cohérence des pouvoirs publics, dans le sens d’un moindre besoin de construire et d’une urgence à rénover massivement. La SNBC la traduit en chiffres, avec un objectif, à terme, de 700 000 rénovations de logements complètes très performantes par an, à rapprocher d’une production de logements qui serait divisée par deux environ, soit 200 à 250 000 en 2050, contre 450 000 en 2019. Même à plus court terme, la SNBC repose sur l’hypothèse d’une forte réduction de la production neuve, avec 320 000 logements par an au cours de la période 2020-2033, couplée à la destruction de 90 000 logements par an.

Cette stratégie s’appuie, en particulier, sur le constat que le parc de logements vacants est important (3 millions de logements concernés selon l’Insee) et progresse rapidement : il suffirait d’y faire des travaux pour les remettre sur le marché. Quantitativement, ce raisonnement se tient, mais il méconnaît la réalité de ce parc vacant, situé majoritairement dans la « diagonale du vide » et inadaptable aux besoins des ménages d’aujourd’hui, pour des raisons liées à la distribution des pièces, à l’accessibilité, à l’éclairage naturel…

Une telle stratégie reposant d’abord sur le parc existant marquerait une nette rupture historique dans un pays qui est redevenu bâtisseur depuis le début des années 2000, et dont les résultats dépassent, sur ce plan, ceux de la plupart des pays membres de l’OCDE. C’est un immense défi pour la promotion immobilière qui, dans un contexte de réduction supposée de son marché de 50 % en 30 ans, devrait adapter ses méthodes et ses produits, dans le sens d’une plus grande sobriété en matériaux, en énergie… Ce serait, en toute hypothèse, un puissant catalyseur de l’innovation dans une industrie immobilière qui, de ce point de vue, a plutôt la réputation d’être en retrait par rapport à d’autres secteurs de l’économie. A ce stade, en tout cas, les solutions permettant l’atteinte de la neutralité carbone à un coût raisonnable ne sont pas encore maîtrisées, voire pas encore connues.

La question se pose de savoir si cette stratégie est la bonne, au regard de l’atteinte des objectifs de réduction des émissions de GES. L’expérience que nous avons accumulée tend, en effet, à montrer que les rénovations du parc de logements existant ne permettent de gagner que deux à trois classes énergétiques, et uniquement en cas de rénovations globales dont on sait qu’elles ne représentent actuellement qu’une part très faible des rénovations. Compte tenu du point de départ (plus de 60 % des DPE (diagnostic de performance énergétique) du parc construit avant 2012 sont situés en classe D et E[1]), cette immense vague de rénovation porterait le niveau de performance de l’existant… en-deçà de celui du parc neuf – à plus forte raison d’un parc neuf encore amélioré par la toute prochaine Réglementation Environnementale 2020 (RE 2020).

Une stratégie nationale de « bonne construction » plutôt que de « basse construction »

L’alternative est donc la suivante pour une large partie du parc de logements actuel : pour respecter l’objectif de neutralité carbone en 2050, est-il plus efficace de détruire et reconstruire ou de rénover ? En terme d’économie d’énergie, la démolition-reconstruction paraît nettement plus efficace, mais la rénovation est plus économe en matériaux comme en production de déchets. De même, si la démolition-reconstruction permet plus facilement d’adapter le parc de logements aux besoins et aux usages des ménages (la qualité ne s’appréciant pas seulement en terme d’émissions de carbone !), elle ne permet de le faire qu’à un rythme relativement modeste (1 % du parc total chaque année, mais davantage en zones tendues).

Les avantages et les inconvénients de chacune des deux options montrent, en réalité, qu’il s’agit d’une fausse alternative et que nous aurons besoin, pour nous adapter au changement climatique, de construire et de rénover massivement.

Là où la SNBC touche juste, en revanche, c’est lorsqu’elle met l’accent sur les transformations attendues du secteur de la construction : inscrire ses projets dans l’enveloppe urbaine existante, favoriser la densité, la mixité fonctionnelle et la réversibilité, s’adapter aux nouveaux modes de déplacements, généraliser l’emploi de matériaux biosourcés et recyclés… Ce sont ces transformations qui permettront de faire de la SNBC une stratégie nationale non pas de la « basse construction », mais de la « bonne construction ».

[1] Source : Fidéli 2018, base des DPE 2017 et 2018 de l’Ademe, modèle Enerter (année 2015)

Alexandra François-Cuxac (FPI) : "la SNBC, une stratégie de la "bonne construction" ?"