Comment s’est comporté le marché du résidentiel en 2020 ?

Magali Marton : 2020 a été une année record, avec un volume de transactions d’investissement en résidentiel dans une fourchette de 5,5 à 6 milliards d’euros actés par les acteurs institutionnels ; nous devrions, selon toute vraisemblance, lorsque la consolidation de l’ensemble des chiffres aura été effectuée, atteindre même 7 milliards d’euros. Le marché du résidentiel reste donc soutenu.

Et quels résultats pour Cushman & Wakefield ?

Chrystèle Villotte : les confinements n’ont pas porté de coup d’arrêt à l’activité et nous avons continué à être interrogés sur des arbitrages et des volontés de positionnement manifestées par de nouveaux entrants sur le marché. A l’image des résultats du marché résidentiel dans l’ancien (près d’un million de logements vendus), nous avons réalisé une très belle année 2020 et, quatre ans après sa création, le département dédié de Cushman & Wakefield poursuit son développement. En 2020, nous aurons ainsi vendu pour plus de 290 millions d’euros d’actifs en habitation.

Qu’en est-il de la typologie de ces ventes ?

Chrystèle Villotte : une grande majorité de ventes portent sur des actifs existants, deux ventes de programmes en Vefa, l’une à Neuilly et l’autre dans le cœur de Paris. Nous avons, par ailleurs, réalisé de bons résultats dans le secteur de l’immobilier de santé, avec la vente en « sale and lease back » pour le compte de Korian et auprès de Lifento et d’Icade, de cinq Ehpad (établissement hébergeant des personnes âgées dépendantes, ndlr). Ces opérations représentent un total de plus de 410 lits. Les doutes et les incertitudes liés à cette crise sanitaire n’ont pas suspendu l’activité des institutionnels, bien au contraire, et concernant l’activité santé, celle-ci est donc toujours très dynamique ; elle le sera encore davantage dans les mois qui viennent sous réserve que des actifs à céder soient sur le marché…

Pourquoi cela ?

Chrystèle Villotte : au-delà du drame humain que représente la crise du covid-19, la thématique de la santé et du bien-être sanitaire des individus retrouve une place centrale dans nos vies et nos besoins immobiliers. Le système de santé français a ses forces, mais aussi ses faiblesses et le secteur privé est appelé à la rescousse dans la mise en place d’une offre de soins complémentaires qui nécessitent un immobilier dédié. Le besoin en immobilier de santé pour accueillir et soigner les personnes sera donc encore plus important tant côté médico-social (Ehpad) que sanitaire. La consolidation d’un secteur encore très fragmenté est en cours ; les besoins de capitaux pour augmenter la taille et le nombre des établissements (cliniques, structures de soin…) sont importants, offrant des opportunités pour des « sale & lease back » ou des partenariats opérateurs/investisseurs immobiliers.

Vous avez évoqué les Ehpad, les cliniques, qu’en est-il des résidences de services ?

Magali Marton : nous en dirons plus très bientôt, mais, d’ores et déjà, certains opérateurs majeurs du secteur de la santé ont racheté des exploitants et développent, pour d’autres, une offre qualitative et quantitative de résidences seniors non médicalisées ; la frontière entre la santé et le résidentiel s’amenuise donc pour donner naissance à des modèles hybrides qui viendront s’inscrire dans le parcours résidentiel des individus.

Et plus précisément les résidences seniors ?

Magali Marton : nous devrions enregistrer entre 500 et 600 millions d’euros d’investissements en 2020, dont la très grande majorité dans le cadre de Vefa (vente en état futur d’achèvement, ndlr). Il faudra être vigilant sur les livraisons qui vont intervenir, essentiellement quant à la qualité, l’emplacement de ces résidences, afin de s’assurer qu’elles trouveront des locataires.

Chrystèle Villotte : des schémas de développement de telles résidences loin des cœurs de ville posent question. Le tiercé gagnant est la résidence services pour seniors autonomes, dans un tissu urbain qui permet les échanges et dans un logement adaptable afin que les personnes puissent recevoir, si elles le souhaitent, de la visite. Il y a peut-être ici un nouveau modèle à inventer ou tout au moins à valider par des exploitations fructueuses.

Revenons sur le résidentiel pur, la concurrence à l’achat est-elle si forte qu’on l’entend ?

Chrystèle Villotte : très clairement. Lors du premier confinement, nous avons constitué un portefeuille de programmes logement en Vefa qui était attendu et a trouvé preneur en un temps record. Nous avons, à la sortie de ce même confinement, lancé la commercialisation pour le compte d’un grand institutionnel d’un très beau portefeuille ; les visites ont été effectuées immédiatement, dans le respect du protocole sanitaire… Le logement est tout simplement au cœur de la préoccupation d’une très grande majorité d’investisseurs dans un souci de diversification du risque et sur un schéma de détention long terme. Une autre preuve de cet engouement tient dans le fait que certains investisseurs ont modifié les statuts de leur SCPI pour y intégrer la possibilité d’acheter du résidentiel. Nous sommes constamment interrogés à un rythme non connu jusqu’alors sur des process d’acquisitions, mais aussi de ventes. De très grands fonds d’investissement, notamment étrangers, sont parmi les acteurs du marché les plus en recherche ; pour certains, il s’agit même de leur première acquisition en résidentiel. Leur force de frappe est puissante.

Avec des conséquences sur les prix ?

Chrystèle Villotte : nous aurions pu penser que le confinement aurait stoppé la surenchère, cela est loin d’être le cas. Sont arrivés sur le marché du résidentiel des « poids lourds » du secteur tertiaire, mais aussi du commerce ; il y a donc eu une accélération dans la course à la recherche d’actifs, le marché n’étant pas par définition extensible. Ce qui nous encourage à mettre en place des process « off market » qui se révèlent pertinents et efficaces. Autre exemple, dans un quartier très prisé de Paris, avec une opération en démembrement de copropriété (que nous avons réalisée avec Agarim) dont nous signerons l’acte d’ici peu, bouclée en un temps très rapide…

Magali Marton : la base du marché résidentiel neuf est traditionnellement un marché de pénurie, mais la situation actuelle crée un précédent dans le niveau très faible du renouvellement de l’offre (moins de 80 000 logements en stock) et le renouvellement de ce stock va prendre des trimestres, voire des années… C’est dire la situation de ce marché. Nos grands clients investisseurs, sans exception, nous ont parlé du résidentiel, du coliving, de la résidence gérée, de la conversion de bureau en logement…

Vous évoquez la transformation de bureau en logement : la formule intéresse-t-elle vraiment ?

Magali Marton : cela a longtemps été un grand mythe, avec beaucoup d’envies, mais peu de concrétisations. La loi Elan a un peu changé la donne en permettant la densification des parcelles, ce qui autorise de construire plus pour compenser. La crise du bureau qui se profile pourrait entraîner la disparition d’une part de la surface d’immobilier tertiaire en Ile-de-France dans une proportion qu’il est encore difficile à mesurer. La transformation d’une partie de ces immeubles en résidences étudiants, seniors, coliving s’envisage donc de plus en plus sérieusement. Le challenge de cette nouvelle décennie est également celui du mixage des usages.

2021 sera donc une « nouvelle belle année » ?

Magali Marton : très certainement, au regard des sollicitations dont nous faisons l’objet. Depuis janvier, nous avons déjà acté, dans le cadre d’une consultation restreinte, pour le compte d’un grand institutionnel, un arbitrage de deux très beaux actifs dans le 16^ème arrondissement autour de l’Étoile et, plus précisément, rue Le Sueur et avenue Victor Hugo, qui représentent près de 7 000 m². Nous terminons également le marketing de trois sujets à Paris et d’autres sujets se profilent, pour des « family offices » et pour des institutionnels, sans oublier l’immobilier de santé. En 2021, nous serons très centrés sur la transformation et l’innovation. Nous disposons, à l’interne, des données et des compétences ; nous savons faire du bureau, du commerce, de la logistique ; notre filiale Design and Build permettra, quant à elle, un diagnostic rapide sur toute opération de transformation. C’est un nouvel enjeu qui se dessine pour les acteurs du conseil que nous sommes…

Chrystèle Villotte et Magali Marton (Cushman & Wakefield) : "2020, année record pour le résidentiel"