La politique du logement, ou plus exactement les pistes pour tenter d’en définir une, ressemble généralement au concours Lépine selon trois angles : l’angle privé, bailleur individuel ou institutionnel, qui revendique la plus grande liberté (pas d’entrave) ; l’angle social, protéger les plus modestes soit par une législation favorable au locataire et/ou par le financement de constructions réservées aux personnes les plus défavorisées (rappelons, cependant, que 60 à 70 % de la population est éligible au logement social !) ; l’Etat enfin qui, dans l’incapacité de mener une politique audacieuse, a élaboré toute une série de dispositifs de défiscalisation pour favoriser le marché locatif ou d’aides aux personnes.

Le Logement, « une pétaudière »

Le logement est symptomatique du mal français et, à vrai dire, une pétaudière avec des injonctions contradictoires. Des exemples ? Il faudrait maîtriser la cherté du logement, mais les frais de mutation, calculés ad valorem sur le prix du bien apportent chaque année de larges contributions aux collectivités et à l’Etat. L’écologie ? La loi Climat qui se met en œuvre cette année peut entraîner, à terme, la disqualification de plusieurs millions de logements (prévision autour de 5 millions et, sans doute, 30 à 50 % en plus), risquant d’aggraver la pénurie de logements. Comment financer la rénovation de ce parc (pourtant utile) ? Comment former les artisans ?

Il manque un angle : celui du citoyen, rarement interrogé. On pense pour lui, on conçoit des immeubles, des aménagements, des quartiers, des villes. Mais que veut-il vraiment? Le divorce semble prononcé entre penseurs de l’habitat, sociologues, promoteurs, urbanistes, édiles et population. Depuis des années, les Français ont globalement acquis la conviction que leurs élus nationaux n’étaient plus en capacité de les aider et de trouver des solutions à leurs problèmes. Ils se sont donc pris en main autour d’un sujet pivot : leur domicile. Le choix de l’implantation est central car il conditionne la carte scolaire, la qualité des équipements, la sécurité, réelle ou ressentie, les transports en commun, le trajet domicile-travail. Au prix de grands sacrifices, ils ont tenté de se retrouver dans des zones vivables, c’est donc la loi du marché qui l’a emporté entre offre et demande, aboutissant à une archipelisation de l’immobilier. A défaut d’écouter le citoyen, il faut entendre le marché qui commence à parler. Que dit-il ? Le mouvement de balancier repart progressivement dans l’autre sens : aux concentrations urbaines se dessine une démétropolisation avec un centre de gravité qui s’est déplacé en périphérie, essentiellement en direction des villes moyennes. Ces dernières sont les grandes gagnantes de la pandémie car elles cumulent tous les avantages : ville à la campagne et campagne à la ville. Les progressions des prix sont spectaculaires à l’ouest du pays, au nord de la Loire, alors que les plus grandes villes françaises stagnent. Chaque année, Paris enregistre plus de dix mille personnes qui fuient la Capitale, des dizaines de classes ferment… faute d’enfants. Ces départs (Jean Viard parlait de 500 000 habitants qui auraient quitté l’Ile-de-France) ne s’expliquent pas seulement par l’attrait de la verdure : les Français mettent en avant l’insécurité des grandes villes, le prix de l’immobilier, les longs trajets pour aller travailler dans des centres urbains, le coût de la vie. C’est donc un curieux mélange de besoin d’identité, de sécurité, d’épanouissement personnel, de choix et de coût de la vie, de se mettre au vert qui prend le dessus. Et si ce mouvement était annonciateur de bonnes nouvelles, de repeuplement de nos régions, de circuits courts, d’un autre rapport au travail, en un mot d’un réaménagement du territoire ?

Nécessité d’une vision

Le prérequis de toute politique du logement repose sur une vision : la France possède un des plus grands territoires européens avec une faible densité (moins de 110 habitants au km²). Il serait donc utile d’accompagner ce mouvement d’exode (relatif pour le moment) qui va de pair avec les nouveaux modes d’organisation du travail (coworking, tiers lieux, télétravail). Le télétravail permet, désormais, de faire ce qui n’était pas possible hier. En devenant un acquis social, il permet aux salariés de redonner du sens à leur vie. Dans un pays qui dispose de zones faiblement peuplées, parfois en voie de désertification, de vacance quasi-structurelle dans le bureau (on estime que 800 à 900 000 m² des 4 millions de m² d’offre immédiate de bureaux en Ile-de-France sont vacants depuis plus de quatre ans), de tensions urbaines, l’une des pistes privilégiées de la politique gouvernementale est la densification. Cherchez l’erreur.

Car le problème du logement, c’est le bureau et vice-versa. Construire du bureau dans des lieux de centralité, c’est éloigner les salariés de leur lieu de travail à cause du prix de l’immobilier. 40 % des salariés choisissent leur futur employeur sur le critère de l’adresse de la société. Développer une entreprise, c’est d’abord penser logement des salariés, confort de vie.

L’incompréhension entre la population et ses représentants

Le choc de l’offre est probablement une illusion à court et à moyen terme pour faire baisser les prix car l’éclatement de la cellule familiale (en 2007, une étude de Paris Dauphine parlait déjà d’un « choc sociologique »), la relative bonne tenue de la natalité, les flux migratoires nécessiteront des besoins qui ne seront pas couverts. C’est, au contraire, le choc géographique induisant celui de l’offre qui peut décongestionner des zones tendues, atténuer la saturation des transports en commun. Ce qui implique de revoir urgemment notre feuille de route car la population est aux antipodes de ses représentants. Elle veut habiter plutôt une maison individuelle en périphérie ou dans une ville moyenne avec un jardin et une voiture. Les pouvoirs politiques veulent la concentrer dans des grandes villes, plutôt dans des tours et plutôt sans voiture. L’incompréhension ne peut pas être plus grande. D’autant que l’indispensable réindustrialisation du pays mobilisera du foncier et de la main d’œuvre… loin des villes. En octobre 2021, Emmanuelle Wargon (ministre déléguée au Logement, ndlr) a dévoilé les conclusions d’une consultation citoyenne dans « habiter la France demain ». La démarche est clairement annoncée : « gagner la bataille culturelle du logement ». Bref, convaincre l’opinion publique qu’il faut « préférer l’intensif à l’étalement, le collectif à l’individuel, la sobriété foncière à l’artificialisation des terres naturelles ». Si nombre d’acteurs se retrouvent dans cette profession de foi, dans l’amélioration des matériaux de construction, le changement des entrées de ville, la transformation de bureaux en logements, la prise en compte des nouveaux modes de vie, la ministre oublie les réalités sociales, la ghettoïsation de certains quartiers, les violences urbaines, les aspirations d’une grande partie de la population à quitter des villes au rythme infernal.

Enfin, le logement social et la situation de nombreuses villes de banlieue réclament un changement de paradigme. La mixité sociale n’existe plus car la politique d’attribution depuis des années est essentiellement fondée sur les plus précarisés. Autre sujet explosif : l’entassement de populations d’origine immigrée dans le parc social (il y a vingt ans déjà, 50 % de la population d’origine maghrébine et turque logeait dans un appartement social) compromet leur avenir. A la différence des Portugais ou des Asiatiques qui ont pris le chemin de l’accession. Il n’y a donc pas de fatalité. Les pays du Nord ont réfléchi à des initiatives visant à ne pas dépasser certains seuils. Pourquoi ce pragmatisme ne prévaudrait-il pas au pays de Descartes ?.

Il est donc fort à parier, au final, qu’au-delà des belles et louables intentions gouvernementales, ce soit le citoyen qui trouve une nouvelle fois la solution…

Laurent Leprévost : "de la nécessité d’une vision"