Le plan France Relance met l’accent sur la rénovation énergétique, à la fois du parc résidentiel (social et privé) et du parc tertiaire : quels sont les objectifs en matière de logements et surfaces de bureaux traités ?

Nous consacrons 6,7 milliards d’euros à la rénovation des bâtiments dans le plan France Relance, qui s’ajoutent à ce que nous faisions déjà. Ce montant se répartit entre 2 milliards d’euros pour le résidentiel privé, 500 millions pour le logement social et 4 milliards pour les bâtiments publics, sans oublier les 200 millions d’euros destinés aux TPE-PME qui rénovent leurs propres locaux. En tout, nous cherchons à déclencher l’équivalent de 15 milliards d’euros de travaux, ce qui représente potentiellement 55 000 nouveaux emplois. Avec MaPrimeRénov’, notre objectif est d’aider 400 000 à 500 000 nouveaux ménages en 2021, indépendamment des autres aides qu’ils pourront solliciter en complément.

Peut-on revenir sur le détail des montants consacrés à ces objectifs ? Y aura-t-il une « régionalisation » des enveloppes et si oui, laquelle ?

Pour les logements, il s’agit d’une aide nationale, simple et efficace, accessible partout sur le territoire. Pour le logement social, les enveloppes seront dépensées localement, comme c’est le cas habituellement, avec une programmation faite sur la base des besoins de rénovation connus. Pour les bâtiments de l’Etat, les appels à projets sont nationaux, mais la grande majorité des projets, ceux qui atteignent un montant inférieur à 5 millions d’euros, seront instruits et sélectionnés au niveau régional par le préfet. Enfin, pour les bâtiments des collectivités, les circuits bien connus de la DSIL (dotation de soutien à l’investissement local, ndlr) laissent pleinement la main aux préfets pour aider les communes et les départements. Cela fait l’objet d’une programmation régionale, évolutive selon les consommations. Le but est que cet argent aille le plus vite possible dans l’économie et nous donnerons donc la priorité à ceux qui engagent rapidement les projets de chantier.

La crise sanitaire et la crise économique qui nous frappent ont rendu les Français prudents, avec une accentuation de leur tendance à épargner. Pensez-vous que les aides seules déclencheront l’engagement de travaux de rénovation ?

Nous remarquons qu’avec la crise sanitaire, les Français se sont aussi plus intéressés à leur logement. Avec le confinement, le confort chez soi est devenu un sujet majeur et il est clair que cela pousse des ménages à engager des travaux de rénovation. La nouvelle aide à la rénovation, MaPrimeRénov’, a déjà dépassé les 100 000 demandes depuis le 1er janvier et ce, malgré le confinement, alors qu’il n’y a eu que 83 000 demandes en 2019 sur l’ancienne aide, « Habiter Mieux Agilité ». Pour les ménages les plus aisés, les primes étant plus avantageuses pour les deux prochaines années, nous espérons que cela aura un véritable effet déclencheur. A certains égards, les Français qui ont plus épargné ont constitué de quoi engager des travaux lourds qu’ils n’auraient peut-être pas envisagés sinon.

La question de la transition énergétique (même si les plus modestes sont les plus victimes de précarité énergétique) ne concernera-t-elle pas que les tranches de revenus les plus aisées et, sans doute, les plus protégées de la crise ?

La transition énergétique concerne et doit concerner tout le monde. Avec MaPrimeRénov’, nous avons donc décidé d’aider tous les ménages à rénover leur logement pour accélérer le rythme des rénovations. Néanmoins, les aides varient en fonction des revenus et les ménages modestes sont davantage soutenus que les ménages aisés. Cela répond à un double impératif, de justice sociale et d’urgence écologique. La dynamique du nombre de dossiers déposés cette année, alors qu’elle n’était ouverte qu’aux ménages modestes jusque-là, montre que la demande existe bel et bien dans toutes les catégories socio-professionnelles.

S’agissant de la rénovation des logements, quelle action en faveur des particuliers qui ont souvent du mal à s’y retrouver dans les montages des dossiers ? Et comment « assainir » un marché où les escrocs (entreprises qui flouent, d’une manière ou d’une autre, les clients) sont présents ?

Pour informer, conseiller et accompagner, nous avons développé un réseau de conseillers sur une grande partie du territoire, qui fournit un interlocuteur privilégié des ménages sur les questions de rénovation énergétique : le réseau FAIRE. En les contactant, vous bénéficiez de conseils neutres et gratuits pour vous repérer et monter votre dossier de rénovation. Quant aux fraudes, j’ai pris le sujet très au sérieux dès le début, avec mes collègues Agnès Panier-Runacher (ministre déléguée auprès du ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, chargée de l’Industrie, ndlr) et Julien Denormandie (ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, ndlr).

Nous avons pris des mesures efficaces: interdiction dans la loi de démarcher au téléphone pour des offres de rénovation thermique—c’est une première —, simplification de la procédure de remontée des signalements, mise en place de contrôles aléatoires sur les chantiers, augmentation des contrôles par tous les organismes impliqués. Nous restons vigilants, mais il est évident que nous avons beaucoup progressé et les artisans de qualité le reconnaissent.

Vous souhaitez alléger le Code de la Construction et faciliter les lancements de projets — un chantier auquel votre prédécesseur s’est notamment attaqué —, mais les difficultés semblent bien souvent causées par une administration centrale qui aime beaucoup la norme : comment faire pour simplifier malgré ce penchant naturel assez français ?

La réécriture du Code de la Construction est en cours de finalisation et elle est guidée par une philosophie très nouvelle : des obligations de résultat ou de performance, qui laissent de la latitude aux professionnels et à l’innovation. La simplification administrative est un combat à mener sans cesse et nous persévérons. Mais n’oublions pas aussi que les normes répondent à des demandes très fortes de la société et des Français : des logements plus sains, plus sûrs, plus accessibles…

Construire plus « vert », c’est aussi parfois privilégier des matériaux ou procédés constructifs différents : bois, chanvre, terre crue… Est-il envisagé un « soutien » particulier pour les promoteurs qui produiront bas carbone ? Ou pour les logements qui seront « vertueux » ?

Dans la RE 2020 à venir, nous mettrons au centre l’analyse de l’impact carbone tout au long de la vie du bâtiment, et notamment lors de sa construction. En utilisant ce critère, de fait, cela favorisera l’incorporation de matériaux biosourcés, qui se développent déjà beaucoup. Il y a la construction bois, qui concerne déjà plus de 10% des nouvelles maisons, mais aussi beaucoup de solutions mixtes, entre techniques « classiques » et utilisation de biosourcés.

Les promoteurs ou le monde du bâtiment attendent beaucoup du projet PLF, notamment sur le maintien d’un soutien à la production via des aides à l’achat : est-ce toujours à l’ordre du jour ?

Les dispositifs Pinel et PTZ seront prolongés. A ce propos, une concerta-tion est en cours sur les évolutions à apporter à ces dispositifs. Le Gouverne- ment déposera un amendement durant l’examen du projet de loi de finance (PLF) à ce sujet.

La question des investisseurs institutionnels (hors CDC Habitat ou In’Li) sera-t-elle un sujet dans le PLF 2021 ? Avec, par exemple, des exigences en matière de transition énergétique à l’égard de ces investisseurs ?

Les investisseurs institutionnels sont de moins en moins présents sur le marché. Le ministère du Logement veut faciliter leur retour et réfléchit à des modifications du régime du logement locatif intermédiaire pour cela. Il n’est pas certain que cela puisse aboutir dès ce projet de

loi de finances, mais cela restera notre objectif. Concernant la transition énergétique, les investisseurs interviennent dans le bâtiment neuf, qui sera prochainement concerné par la nouvelle règle- mentation environnementale des bâtiments neufs RE 2020. Elle sera garante des exigences nécessaires en matière de respect de l’environnement.

Qu’attendez-vous des professionnels afin d’assurer la réussite, dans son aspect immobilier, du plan de relance ?

C’est une mobilisation collective qui permettra la réussite du plan de relance. Elle engage les professionnels, mais également les élus qui valident et autorisent les projets. J’attends des premiers qu’ils continuent à se mobiliser pour proposer une offre de logements abordables, dans les territoires qui en ont besoin, en étant à l’écoute des attentes locales. Cela signifie des projets de qualité, mixtes, concertés avec les élus et les populations. J’appelle les collectivités à rattraper les retards pris pendant le confinement dans l’examen des permis de construire, mais aussi à favoriser les projets denses, sur des fonciers déjà artificialisés. C’est le sens de l’aide à la construction durable et du fonds friches, autres mesures que je porte dans le plan de relance.

Emmanuelle Wargon : "la transition énergétique concerne et doit concerner tout le monde"