Que désignent les plans annexés aux actes de copropriété ?

Il faut déjà savoir que le règlement de copropriété est une obligation légale faisant office de cadre contractuel (décret de 1955) ; il est assorti d’un état descriptif de division de ladite copropriété. Ce dernier a vocation à définir quelles sont les parties communes et quelles sont les parties privatives et ce, dans le but de calculer les quotes-parts et les charges appliquées aux différents copropriétaires. Il est à noter qu’un acte de copropriété peut être modifié à tout moment.

Concernant l’état descriptif de division, un géomètre le réalise lors de la création d’une copropriété ; il est ensuite intégré par un notaire dans le règlement de copropriété de sorte qu’il n’y ait qu’un seul et unique document de référence. Pour le dire de façon simple, ce document a été créé dans le but d’organiser la vie en commun et de savoir qui doit payer quoi. Le syndic de l’immeuble doit disposer de la grille des charges répertoriant les tantièmes possédés par chaque copropriétaire afin d’assurer le bon fonctionnement, l’entretien et la conservation de l’immeuble.

Pourriez-vous expliquer en quoi consiste la décision rendue par la Cour de cassation en juin 2022 et que vous contestez ?

Tout démarre par une situation anodine : une dame possédait un terrain et a décidé de déposer un permis de construire valant division ; dans les faits, elle souhaitait édifier deux maisons sur ce terrain et, à terme, le diviser en deux entités distinctes. Elle a finalement vendu le terrain accompagné du permis de construire valant division à une tierce personne qui a poursuivi les travaux et qui souhaitait vendre l’un des deux terrains. En cours de route, elle a été obligé de les mettre sous le régime de la copropriété horizontale. Les deux terrains se jouxtaient et disposaient d’un chemin d’accès commun, ce dernier étant à l’origine du litige. La copropriété a été créée avec son état descriptif de division pour deux lots ; un plan réalisé par l’architecte a été annexé à cet acte au moment du dépôt de permis de construire.

Seulement, l’acquéreur de l’une des deux maisons s’est montré mécontent car, selon lui, la voie d’accès commune empiétait sur son terrain. Il a donc fait un procès à son voisin en affirmant que ce dernier ne pouvait pas lui opposer l’argument du plan annexé à l’état descriptif de division car ce dernier n’avait pas été réalisé par un géomètre-expert. L’argument a, dans un premier temps, été rejeté par le tribunal, puis par la Cour d’appel avant d’être accueilli, de manière très surprenante, favorablement par la Cour de cassation. Cette dernière a même expliqué, pour justifier sa décision, que le monopole des géomètres-experts « porte sur les plans et les études servant à fixer les limites foncières ».

C’est ce monopole des géomètres-experts que vous contestez ?

Exactement. Il faut savoir que le monopole des géomètres-experts a été décrété par la loi du 7 mai 1946, qui indique dans son article 1 que leur monopole concerne les travaux et les études servant à fixer une limite foncière. Le problème est que la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu, en juin 2022, une décision qui se heurte à une jurisprudence constante de la troisième chambre civile (spécialisée en matière immobilière) qui affirme, depuis 1995, qu’en copropriété, il n’existe pas de ligne divisoire ; il n’y a qu’une seule et même propriété appartenant à plusieurs copropriétaires. Il est donc impossible d’établir des bornages dans une copropriété, où l’indivision forcée est ce qui fait foi.

Or, que nous dit la décision rendue par la première chambre de la Cour de cassation au mois de juin 2022 ? Que l’état descriptif de division doit être réalisé par un géomètre-expert parce qu’il établit une limite divisoire. Sauf que c’est impossible, pour les raisons précitées. Comment le monopole des géomètres-experts peut-il s’exercer dans un domaine où il n’existe pas de limites foncières, à savoir une copropriété ? C’est kafkaïen !

En quoi cette extension de monopole impacte-t-elle d’autres professionnels ? Qui lèse-t-elle et pourquoi ?

Plusieurs professionnels sont d’ordinaire habilités à établir un descriptif de division, comme les géomètres topographes. D’abord, expliquons en quoi consiste le métier de géomètre-expert : il s’agit d’une profession d’abord réglementée par le régime de Vichy en 1944 puis confirmée par la loi du 7 mai 1946, qui s’est vu attribuer un monopole sur tous les plans, études et travaux permettant de fixer les limites foncières. En revanche, tous les autres travaux de topographie (mesures, établissement de plans 3D…) sont libres et totalement concurrentiels. Le seul domaine où il existe un monopole a donc trait aux délimitations amiables des terrains. C’est là qu’intervient le géomètre-expert même s’il ne peut pas obliger les propriétaires en litige à se mettre d’accord ; il ne peut que les assister techniquement afin de leur fournir les éléments suffisants pour qu’ils se décident (mesures sur place avec un GPS, étude des plans anciens et des actes notariés…). Si aucun terrain d’accord n’est trouvé, le géomètre-expert est obligé de le constater et il appartient, à partir de ce moment-là, à la partie la plus diligente de saisir le tribunal afin qu’il désigne un expert judiciaire ; ce dernier va remettre un rapport au juge qui aura le fin mot de l’histoire et fixera lui-même la limite foncière.

Les géomètres-experts revendiquaient-ils cette extension de monopole depuis plusieurs années ?

Exactement, ils le revendiquaient précisément depuis 2012 en vertu de ce qu’ils nomment le « principe de la Rochelle ». Voici son énoncé : « l’établissement, et à fortiori la modification, d’un état descriptif de division d’une copropriété, dès lors que celui-ci est accompagné d’un plan dressé au vu de mesures précises, relève de la compétence exclusive du géomètre-expert ».

Que dit l’Autorité de la concurrence en la matière ?

Elle indique clairement ceci, après que nous l’avons saisi en 2017 sur ce sujet : « d’un point de vue économique, réserver les plans annexés aux états descriptifs de division de copropriété aux seuls géomètres-experts reviendrait à leur accorder une rente de situation injustifiée. Avec plus de dix millions de logements en copropriété en France, cela équivaudrait, en moyenne, à réserver à chaque géomètre-expert un monopole sur les plans de plus de 5 000 logements en copropriété. Outre son anachronisme, une telle décision serait totalement inopportune en terme d’efficience économique ». Cette autorité a étudié pendant un an le sujet avant de rendre son avis, elle sait donc de quoi elle parle. Il ne s’agit cependant que d’un avis, non-contraignant pour le législateur.

En quoi les copropriétaires pourraient-ils se voir pénaliser ? Vous évoquez un surcoût estimé à dix milliards d’euros pour ces derniers…

Il y a 1 800 géomètres-experts en France. A titre de comparaison, il y a 30 000 architectes et 70 000 avocats en France. Comme pour chaque situation de monopole, les prix n’auront pas tendance à baisser, surtout que les tarifs ne sont pas réglementés pour cette profession. Les services rendus par les géomètres-experts coûtent déjà le double de ceux découlant de géomètres topographes. Avec ce nouveau monopole, la tendance risque de s’accentuer considérablement.

Quels recours vous restent-ils ?

L’affaire va être renvoyée devant la Cour d’appel de Lyon, la Cour de cassation n’ayant pas le pouvoir de rejuger les faits. Il n’est pas à exclure que la Cour d’appel aille à l’encontre de la Cour de cassation. Une autre solution consisterait en une réforme législative, mais la voie jurisprudentielle n’est pas à exclure, même si elle est beaucoup plus longue. L’autre question soulevée par la décision récemment rendue est la suivante : quid des plans ayant déjà été établis depuis un siècle ? Tous les plans établis depuis 1946 par des non géomètres-experts, qui se chiffrent en milliers, voire en millions, doivent-ils être refaits ? C’est une vraie question…

Romain Carles (avocat) : "l’extension de monopole accordé aux géomètres-experts est injustifiée !"