Un peu plus de quatre mois après le déclenchement d’une crise sanitaire et économique sans précédent de mémoire de conseil en immobilier d’entreprise, les marchés locatifs pansent leurs plaies et essaient d’identifier quelques facteurs de rebond pour les mois à venir. Le premier impact – et, sans doute, le plus spectaculaire – tient dans la baisse très significative des volumes transactés (entre -30 et -50 % selon les classes d’actifs considérées) ; elle s’accompagne, dans certains secteurs, d’une hausse de la vacance qui devrait s’amplifier au cours des prochains mois, ouvrant la voie à des ajustements de loyers. Tel est l’environnement dans lequel les investisseurs – acquéreurs ou vendeurs – doivent aujourd’hui évoluer tout en se projetant sur des stratégies et des durées de détention plus au moins longues, dans un paysage immobilier tertiaire au sens large traversé par des changements structurels profonds et durables (télétravail, digitalisation de l’économie, e-commerce…).

Une prime de risque immobilier toujours attractive

Commençons ce tour d’horizon par un élément de cadrage qui ne devrait pas évoluer à court et moyen terme, à savoir la position de la Banque Centrale Européenne quant aux taux obligataires, toujours aussi bas, maintenant de facto la prime du risque immobilier à des niveaux attractifs pour les investisseurs institutionnels. Au sein de cette communauté hétérogène, les compagnies d’assurances, qui ont signé une jolie performance au 1^er semestre 2020 avec 3,4 milliards d’euros d’acquisitions, sont aujourd’hui dans une situation incertaine qui pourrait inverser la donne quant à leur exposition au compartiment immobilier. La pierre-papier – SCPI et OPCI – résiste plutôt bien avec des niveaux de collecte pour le 2^ème trimestre dont on comprend qu’ils pourraient être inférieurs par rapport à l’an passé, mais qui les dotent toujours de capacités financières importantes pour leurs investissements. Dans ce trio de tête, les fonds d’investissement, qui occupaient la pole position en 2019 (plus de 19 milliards d’euros d’acquisitions l’an passé, mais seulement 3,7 milliards d’euros relevés au 1^er semestre 2020), sont aujourd’hui confrontés, entre autres, à la problématique d’un financement et d’une dette immobilière plus chers, plus sélectifs et davantage gourmands en capitaux propres.

Résilient commerce, porteuse logistique

Le décor est planté, les acteurs sont en place, reste à écrire l’intrigue immobilière des prochains mois. Elle n’est pas unique car c’est une histoire à tiroirs. Tout d’abord, et c’est sans doute le principal, le marché de l’investissement a continué de fonctionner avec peu d’opérations annulées pendant et après le confinement, quand bien même des ajustements de prix ont été relevés sur quelques signatures. Les valeurs d’acquisitions restent tout à fait cohérentes et traduisent une volonté des investisseurs de « repricer » le risque à sa plus juste valeur. En marge du bureau, qui concentre 70 % en moyenne des capitaux investis, les actifs commerciaux font preuve d’une belle résilience dans un climat de défiance extrême et de fragilisation du « business model » de certaines enseignes ; les opérations en cours de négociations concernent des pieds d’immeubles, mais également des centres commerciaux. De leur côté, les plateformes logistiques surfent sur une vague porteuse que la crise du Covid vient amplifier et plus d’une centaine d’investisseurs sont désormais actifs sur ce marché. La demande des chargeurs (grande distribution alimentaire ou spécialisée, e-commerçants entre autres) et des logisticiens va continuer à dynamiser un marché où des autorisations administratives de plus en plus difficiles vont contenir le renouvellement de l’offre neuve et maintenir sous tension les loyers et les taux de rendement.

Bureaux : taux extrêmement bas dans le « core »

Côté bureau, si dans un premier temps nous avions envisagé une décompression des taux de rendement sur les actifs « core », les dernières transactions viennent nous démentir et reflètent des taux extrêmement bas. Les investisseurs renouent, ainsi, avec une lecture stricto sensu des critères attachés à cette stratégie d’investissement, c’est-à-dire le meilleur immeuble dans la meilleure localisation et au loyer de marché. La performance du taux de rendement est au rendez-vous pour des actifs 100 % loués, adossés à des périodes fermes longue durée. D’autant plus si l’actif est parisien ou situé dans des secteurs où l’offre est et restera sous contrôle (Neuilly/Levallois, Boucle Sud ou la Première Couronne Est). Ailleurs en Ile-de-France, mais aussi dans une certaine mesure en régions, la lecture du marché est brouillée par des incertitudes sur la capacité des valeurs locatives de ces actifs à résister au double phénomène du ralentissement de la demande placée et de la hausse de la vacance. Dans une stratégie parfaitement inverse, les immeubles « value added » ont également les faveurs des investisseurs/acquéreurs, sous réserve que la décote de prix – entre 15 et 40 % – soit au rendez-vous et que la localisation de l’actif lui permette de traverser le cycle actuel. Reste, pour finir ce tour d’horizon, le cas spécifique du « core + » qui s’avère être finalement le plus challengé par les candidats à l’acquisition. Peu d’opérations de ce type ont été finalisées, amenant ainsi la question de son évolution… à tel point qu’on peut se poser la question de voir le « core + » glisser vers le « value-added » et, par conséquence, à ses valorisations spécifiques. En conclusion, le marché se fragmente donc entre le « core » « pur » et le « value added », et cette polarisation binaire du marché de l’investissement en immobilier d’entreprise pourrait nous accompagner pendant encore quelques mois…

Nils Vinck (Cushman & Wakefield) : investissement, une "histoire à tiroirs"...