Quel bilan dressez-vous du financement des professionnels de l’immobilier l’an passé ?

La fin de l’année 2023 sera restée sur la même tendance que le premier semestre pour le secteur de la construction : au vu des chiffres de novembre, le nombre de logements construits sur un an devrait s’établir en-dessous de 300 000. En 2022, il était de 367 000, soit une baisse significative sur un an. Le secteur souffre à la fois de l’impact de l’inflation sur les prix de production des logements, qui augmentent de l’ordre de 15 % sur deux ans, et de la hausse des taux d’intérêt qui pénalise la rentabilité des opérations. La tendance récente sur les permis de construire, en lien notamment avec le principe du zéro artificialisation net (Zan), prévu par la loi Climat et résilience, laisse penser, malgré une légère et très récente inflexion, que la crise se prolongera encore en 2024.
Dans ce contexte, la Banque des Territoires a financé la construction ou l’acquisition de plus de 83 500 logements sociaux, soit un niveau comparable à celui de 2022. Le secteur social fait des efforts importants pour maintenir sa production dans un contexte économique difficile. Pour ce faire, nous l’avons accompagné avec tout un panel de mesures de soutien portées par la Banque des Territoires. Il a aussi bénéficié du gel du taux du livret A, décidé par les pouvoirs publics en août 2023, auxquels sont adossés les emprunts des bailleurs sociaux. Cette décision forte s’est immédiatement traduite par une croissance de 40 % des montants que nous avons accordés au secteur HLM entre juillet et septembre comparativement à la même période en 2022.
En outre, nous avons aussi financé la réhabilitation de plus de 105 000 logements du parc social existant, soit une croissance de 33 %, ce qui marque la forte dynamique des bailleurs sociaux en matière d’amélioration de la performance de leur parc immobilier existant. C’est une progression très encourageante.

On dit que les banques procèdent, si besoin est, à des opérations de refinancement, illustrant ainsi leur volonté de ne pas engager de ventes forcées. Qu’en pensez-vous ?

Je rappellerais, tout d’abord, que la Banque des Territoires n’est pas une banque commerciale, elle ne s’adresse pas directement aux particuliers, et n’est donc pas confronté à la gestion de ce type d’opérations. Mais l’orientation des banques est, ici, certainement la bonne : si le réaménagement d’un prêt immobilier permet d’éviter la vente forcée, c’est certainement la bonne action à retenir.

Comment voyez-vous évoluer cette L’intégration des critères environnementaux, activité de financement cette année, dans le cadre d’une stabilisation des taux d’intérêt ?

Comme je l’ai dit, au niveau du secteur, la crise devrait encore se prolonger en 2024. Toutefois, la première moitié de l’année pourrait voir les taux se stabiliser, ce qui donnerait enfin une respiration au marché et favoriserait le retour progressif des acheteurs.
La Banque des Territoires redoublera ses efforts pour soutenir la production de logements sociaux. Nous ferons aussi le maximum pour le développement du logement intermédiaire en finançant notamment les programmes de rachat de Vefa portés par CDC Habitat, notre filiale, ainsi que par Action Logement.

Quels dossiers vous intéressent-ils en priorité ?

Mes priorités sont de deux ordres: soutenir la transformation écologique et énergétique du pays, notamment en matière de logement et œuvrer au soutien de la production de logement social et abordable pour répondre à l’urgence du contexte social.
C’est typiquement ce qui nous a conduit à lancer un nouveau « écoprêt » pour soutenir les rénovations thermiques les plus ambitieuses des bailleurs sociaux; que l’on couplera, d’ailleurs, dans une future version dès 2024 avec notre dispositif data « Prioréno » pour proposer le premier financement de place dont la tarification variera en fonction de l’impact réel de la rénovation entreprise.
C’est, par ailleurs, pour lutter contre les fractures sociales que nous avons récemment lancé des prêts encore plus concessifs pour soutenir la construction de logements sociaux et déployé une enveloppe massive de 5 milliards d’euros afin de permettre l’accélération du logement intermédiaire, en réponse aux orientations du gouvernement.
Si le contexte accentue la difficulté de ne pas opposer les deux dimensions, mon engagement et celui de mes équipes est justement de tout faire pour concilier le vert et le social : je ne doute pas que la Banque des Territoires jouera un rôle central dans l’atteinte de cet objectif.

Accordez-vous une attention particulière à la RSE des projets ?

Bien entendu, les enjeux liés à la prise en compte de la dimension RSE figurent parmi les priorités de la Banque des Territoires et, plus généralement, du groupe Caisse des Dépôts. Ces critères entrent dans l’appréciation des dossiers et pèsent dans nos décisions de financement. Plus particulièrement, les prêts réalisés sur la ressource du Fonds d’Epargne (issue de la collecte des Livrets A, LDDS et LEP) sont conditionnés à des externalités vertes ou sociales et ont des taux qui sont fonction des caractéristiques des projets financés en la matière.
L’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans l’évaluation des projets reflète notre engagement en faveur de la durabilité et répond aux attentes croissantes de nos partenaires et des régulateurs en matière de responsabilité sociale. Ce qui contribue également à atténuer les risques associés aux impacts environnementaux et sociaux, tout en favorisant une gestion financière plus durable, ce qui est essentiel pour un partenaire de long terme

A quelle échéance une baisse des taux d’intérêt selon vous ?

Concernant les taux directeurs, la désinflation en cours et l’affaiblissement de la conjoncture permettent désormais à la BCE d’envisager une baisse des taux en 2024. Il y a encore quelques jours, les investisseurs tablaient sur un desserrement monétaire de la BCE dès le mois d’avril, ce qui nous semble toutefois prématuré : il faut, aux banquiers centraux, davantage de statistiques quant à la désinflation salariale et au redressement de la productivité pour baisser les taux administrés sans regret. Ces données seront disponibles au deuxième trimestre et une fenêtre de tir pourrait ainsi s’ouvrir en juin pour la BCE, mais cela reste une hypothèse ; la dynamique de l’inflation sous-jacente via les salaires ou les comportements de marge des entreprises restent à surveiller, tout comme le contexte géopolitique très chargé qui menace les prix de l’énergie et le coût du fret maritime notamment. Nous pensons que la BCE sera prudente, qu’elle ne voudra pas se précipiter. Des facteurs inflationnistes demeurent et il nous semble que le risque est que la BCE en fasse moins, en 2024, qu’anticipé par le marché.
Les taux longs semblent, quant à eux, être proches de leur pic cyclique. Les taux des crédits à l’habitat profiteront de la baisse des taux de financement des banques à la BCE lors des assouplissements moné- taires que nous venons de mentionner et l’échéance estivale apparaît être un bon horizon pour observer une inflexion. Attention cependant, il n’y aura pas forcément de reflux sensible car sur le marché de capitaux de long terme, sur le marché obligataire où se refinancent aussi les banques, les taux d’intérêt ne baisseront pas autant que les taux directeurs. Les taux longs devraient graduellement baisser, mais en atterrissant à un niveau élevé, sans revenir aux standards d’avant crises. Il faut donc être prudent sur l’oxygène que les baisses de taux offriront à l’immobilier.
Le taux du livret A est gelé jusqu’en février 2025 à 3 %, ce qui apporte aux emprunteurs que sont les bailleurs sociaux et les collectivités locales une visibilité précieuse dans le contexte volatile que nous traversons.

Olivier Sichel (Banque des Territoires) : "l’échéance estivale, un bon horizon pour observer une inflexion des taux"