« Should I stay or should I go ? » : l’intitulé de la célèbre chanson du groupe londonien The Clash illustre parfaitement la problématique à laquelle se retrouvent confrontés nombre d’entreprises ayant élu domicile, plusieurs années en arrière, au sein du quartier d’affaires de La Défense. La situation réelle serait pourtant moins catastrophique que veulent le faire croire certains commentateurs, avançant que les tours seraient vides, le quartier complètement déserté.

Pierre-Yves Guice, directeur général du quartier depuis novembre 2020, en pleine période pandémique, nuance grandement les avis alarmistes : « nous avons constaté peu, voire pas de départs fracassants d’entreprises consécutivement à la crise. Les quelque 180 000 travailleurs antérieurs au Covid sont toujours là, ils ont juste échelonné leur présence, tant en termes d’horaires que de jours en semaine ». Entre les jours de télétravail et les horaires différés imposés par beaucoup de grandes entreprises à leurs salariés, les impressions de concentration, de marée humaine déferlant sur la dalle aux heures de pointe, se font moins ressentir. « Aujourd’hui, certains salariés peuvent arriver à 10h, d’autres repartir à 15h… L’engorgement des transports en commun desservant La Défense se fait moins sentir aux horaires classiques d’arrivée et de départ, 8h30-9h le matin et à partir de 18h le soir » poursuit Pierre-Yves Guice. « Ce sont les manières de vivre et de pratiquer le quartier qui ont changé, pas la fréquentation globale ! ».

Malgré tout, certains chiffres ne mentent pas. Les presque 15 % de taux de vacance actuel, soit le triple de celui enregistré avant le Covid, sont irréfutables. Tout comme le ralentissement de l’activité transactionnelle depuis plusieurs mois. Malgré tout, Pierre-Yves Guice dit avoir constaté « un retour rapide de performances locatives dans la moyenne d’avant-crise ».

Des axes d’amélioration

Si la situation n’est pas aussi catastrophique que régulièrement présentée, même si le taux de vacance pourrait grimper jusqu’à 18 ou 20 % selon les prévisions les moins optimistes, la crise met en exergue des défaut structurels du quartier, peu compatibles avec les nouvelles exigences de notre époque. Si comparaison n’est pas toujours raison, François Trausch, CEO et CIO d’Allianz Real Estate, a toutefois tenu à mettre La Défense en perspective avec quatre autres grands quartiers d’affaires de par le monde : Hudson Yarde (New York), Marina Bay (Singapour), Shinjuku (Tokyo) et Canary Wharf (Londres).

Selon lui, le quartier français dispose de cinq grands axes d’amélioration pour « se mettre à niveau » de ses concurrents internationaux : bâtir un axe pour les vélos et les piétons depuis la Porte Maillot afin de faciliter les trajets jusqu’à son lieu de travail en privilégiant les mobilités douces ; « dé bétonner » et verdir le quartier ; amener davantage de mixité dans l’utilisation des immeubles (tertiaire, mais aussi logements, commerces et, pourquoi pas, campus universitaires verticaux installés dans les tours) ; faire en sorte que davantage de culture s’invite sur la dalle (la jeunesse, via l’installation de campus, peut y contribuer) et, enfin, réfléchir à une nouvelle gouvernance des lieux. « Une privatisation du quartier pourrait permettre de faire avancer certains projets, d’investir davantage dans la modernisation des lieux » fait valoir François Trausch.

Plus globalement, il utilise le terme de « wellness » (bien-être), passant par une grande végétalisation (un parc de 7 hectares conçu et aménagé par le paysagiste Michel Desvigne devrait voir le jour à l’horizon 2027) et une offre culturelle dynamisant un quartier qu’il présente comme bien plus morne et figé que ses homologues britannique, américain, japonais ou singapourien.

Des surfaces plus petites

Au-delà de ces recommandations, certaines initiatives méritent d’être soulignées, à l’image du parc cité plus haut. Concernant les projets immobiliers, quelques acteurs ont pu présenté leurs réalisations, à l’image de Grégory Frapet (Primonial REIM) ou Bruno Donjon de Saint Martin (Unibail-Rodamco-Westfield). Ce dernier a évoqué les tours Sisters, dont les travaux ont démarré en 2017 et la livraison est programmée pour 2025. URW en est l’investisseur principal. « Avec les tours Sisters, la mixité s’est faite avec une combinaison d’équipements s’adressant à tous les publics : résidents d’hôtel, employés des bureaux, mais aussi aux visiteurs » affirme Bruno Donjon de Saint Martin. Du côté de Primonial REIM, c’est le futur projet mixte « Odyssey » (livraison en 2026), qui retient l’attention. « Odyssey, ce sont trois bâtiments : 60 % de bureaux et 40 % d’usages mixtes. Une mixité qui va également s’exprimer dans les commerces en pieds d’immeubles, ainsi qu’avec un rooftop » avance Grégory Frapet.

Tous s’accordent à dire que les usages des bureaux vont évoluer, notamment sous l’effet d’une demande plus accrue en flex office. Pour Christophe Burckart, directeur général d’IWG, « la prise à bail traditionnelle, dite 3-6-9 (contrat de neuf ans minimum, résiliable à intervalles de trois ans), pourrait devenir obsolète ». Des surfaces plus petites, réduisant ainsi les coûts de loyers des entreprises locataires, pourraient être privilégiées dans le cas où le télétravail se généraliserait et les présences sur site s’échelonneraient pour faire en sorte que le moins de collaborateurs possible y soient présents au même moment. D’où l’intérêt d’une plus grande mixité au sein des immeubles, associant le tertiaire à d’autres types de services, comme le prouvent les deux exemples précités.

Espace disponible sous la dalle

D’un point de vue purement écologique et environnemental, La Défense ne peut s’exonérer d’un certain nombre de responsabilités qui lui incombent. « Paris La Défense souhaite mettre les enjeux sociaux et environnementaux au cœur du développement du quartier » indique Pierre-Yves Guice. « Nous allons devenir le premier quartier d’affaire post-carbone ». Elisabeth Laville, fondatrice de l’entreprise engagée Utopies, confirme la nécessité de prendre en compte cette question et s’interroge : « La Défense pourra-t-elle passer d’un quartier d’affaires à un territoire ? ».

Une alternative intéressante à « l’agrandissement par le haut », c’est-à-dire l’élévation systématique de nouvelles tours toujours plus hautes, pourrait se faire… sous la dalle, qui recouvre une sorte de mille-feuille inutilisé. Sous terre sommeille ainsi plus de 20 000 m2 de surface inexploitée. La dalle avait été posée pour séparer les fonctions à destination des usagers du quartier de celles à vocation techniques ou logistiques. C’est là que se situe « la Cathédrale », un espace de 15 mètres sous plafond construit dans les années 1970 en prévision de l’arrivée du métro 1, avant que celui-ci ne soit bâti en aérien. Autant d’espaces disponibles pour aménager de nouveaux espaces, pourquoi pas de loisirs (boîtes de nuit, bars, terrains de sport…), afin de drainer une nouvelle population, en semaine et même le week-end. Avec de tels projets, pas sûr que « should I go » soit encore longtemps d’actualité…

Quartier La Défense : un futur à repenser...