Le 16 mars 2020, le ministre de la Santé luxembourgeois a ordonné, sous réserve de quelques exceptions, la fermeture générale de toute activité commerciale et artisanale exercée dans des locaux ouverts au public (ci-après les « Mesures gouvernementales »).[1] Ces mesures ont eu comme conséquence immédiate que les commerces en question ont été, du jour au lendemain, privés de tout revenu. En conséquence, l’impact des obligations respectives sous les contrats de bail conclus par ces sociétés est devenu un sujet de discussions entre les bailleurs et les preneurs. Bien que les locataires occupant des bureaux aient, du fait de leur activité, et du moins en théorie, pu continuer à exercer leur activité, ils ont néanmoins également été sensiblement affectés par la crise actuelle et les mesures adoptées par le gouvernement. Le paiement de leurs loyers risque, ainsi, de les mettre en difficulté financière.

A ce stade, le gouvernement et le parlement ont pris un nombre très limité d’initiatives (I) et l’absence de mesures gouvernementales substantielles nécessite une analyse basée sur les principes généraux (II). En l’absence de mesures spécifiques liées aux contrats de bail, les entreprises peuvent néanmoins recourir aux mesures économiques, financières et fiscales prises par le gouvernement pour lutter contre la crise du Covid-19 (III).

(I) Un nombre limité d’initiatives prises au niveau étatique

Les autorités étatiques n’ont pas envisagé, du moins à ce jour, d’introduire de mesures qui impacteraient directement l’exécution des baux comme, par exemple, la suspension temporaire des paiements de loyers ou l’obligation d’accorder des réductions de loyers ou même des dispenses de loyers.

La seule mesure affectant directement les baux est la suspension des expulsions en matière de bail à usage d’habitation et de bail commercial durant l’état de crise (article 5 du règlement grand-ducal du 25 mars 2020).

Par ailleurs, les baux peuvent être affectés indirectement étant donné que les audiences de plaidoiries de toute affaire non urgente ont été refixées à après la fin de la période de l’état de crise.

(II) Application des principes généraux aux droits et obligations des parties

(A) Existence de dispositions contractuelles spécifiques

Afin de déterminer l’impact des Mesures gouvernementales sur les obligations des parties liées par un contrat de bail, il est nécessaire de vérifier si le contrat de bail en question contient une clause applicable à cette situation (par exemple, suspension de l’obligation de paiement de loyer en cas d’impossibilité d’exploiter).

(B) Obligation de payer le loyer durant la période d’application des Mesures gouvernementales

A cet égard, nous estimons qu’un preneur n’est autorisé à solliciter ni la résiliation du contrat de bail, ni la suspension de l’obligation de paiement du loyer, ni même une réduction de loyer. En effet, le bailleur n’est pas tenu de garantir le preneur de tout trouble qu’un tiers pourrait apporter à la jouissance paisible des lieux loués. Les Mesures gouvernementales sont, à notre avis, à qualifier de tels troubles et le bailleur ne peut, dès lors, être tenu responsable envers le preneur du fait que l’exercice de l’activité du preneur a été temporairement prohibée par les Mesures gouvernementales. En conséquence, le bailleur est autorisé à exiger du preneur l’exécution de son obligation de paiement de loyer conformément aux stipulations du contrat de bail.

Comme indiqué plus haut, la crise du Covid-19 et les Mesures gouvernementales sont exceptionnelles et il sera nécessaire d’attendre les premières décisions rendues en la matière afin d’avoir confirmation que les principes généraux seront effectivement maintenus dans le contexte de la crise.

(C) Possibilité pour le preneur d’opposer certains mécanismes juridiques pour tenter de suspendre ou de réduire ses obligations contractuelles

Les preneurs peuvent tenter d’invoquer les mécanismes juridiques décrits ci-après qui, en temps normal, ne sont pas appliqués ou sont appliqués uniquement dans des conditions très restrictives puisque l’application des dispositions contractuelles convenues entre les parties est supposée prévaloir :

droit général des débiteurs de demander des délais de paiement dans des conditions spécifiques (article 1244 § 2 du Code Civil) ;
obligation générale d’exécution de bonne foi des contrats : un bailleur qui insiste, dans des circonstances exceptionnelles, à une application stricte des dispositions contractuelles peut, le cas échéant, être qualifié de mauvaise foi ;
théorie de l’imprévision : nous n’avons pas connaissance de décisions ayant accepté cette théorie, mais les tribunaux ont, dans le passé, pu décider qu’elle pouvait être appliquée si des conditions d’application très strictes sont remplies.

(III) Aides financières et fiscales Covid-19 à destination des entreprises

(A) Aides financières mises en place par le gouvernement

Un certain nombre de mesures d’aide ont été mises en place par le gouvernement et s’adressent à tout citoyen, indépendant ou entreprise, qui remplit les conditions à son obtention et en fait la demande. Il s’agit, notamment, d’aides répondant aux besoins de liquidités qui facilitent le financement bancaire, tendent à sauvegarder l’activité dans les domaines d’activités essentielles, à maintenir l’emploi, à protéger les entreprises en difficulté, à soutenir le secteur culturel et les entreprises exportatrices, à aider les startups, à encourager la recherche et l’investissement luttant contre le Covid-19 et à garantir une certaine tolérance administrative au niveau des cotisations sociales.

A titre d’exemple, on peut notamment citer les mesures suivantes[2] :

Aide financière générale à destination des entreprises : aide financière remboursable accordée à toutes les entreprises pour un montant maximal de 500 000 euros par entreprise. Cette aide est déterminée sur LA base des frais de personnel et des charges de loyer de l’entreprise pour la période de crise ; les charges de loyer étant, toutefois, plafonnées à un montant mensuel de 10 000 euros ;
Indemnité forfaitaire de 12 500 euros à destination des entreprises employant entre 10 et 20 personnes ;
Indemnité forfaitaire de 5 000 euros au profit des entreprises de moins de 10 personnes, obligées de fermer ou d’arrêter leurs activités et qui, sans avoir fait l’objet d’une telle mesure, subissent une perte d’au moins 50 % de leur chiffre d’affaires au cours de la période allant du 15 avril 2020 au 15 mai 2020 ;
Indemnité forfaitaire de 5 000 euros au profit des entreprises de moins de 10 personnes qui n’ont pas été autorisées à reprendre leurs activités ou qui, bien qu’ayant été autorisées à les reprendre, subissent une perte d’au moins 50 % de leur chiffre d’affaires au cours de la période allant du 15 avril 2020 au 15 mai 2020.

(B) Aides fiscales de soutien aux entreprises

Dès le 17 mars 2020, le gouvernement a annoncé un certain nombre de mesures fiscales destinées à garantir la continuité de l’économie luxembourgeoise.

Ainsi, les personnes morales réalisant un bénéfice commercial qui connaissent des problèmes de liquidités en raison de la pandémie, peuvent demander, et ce, sans application d’intérêts de retard :

une annulation ou une réduction de leurs avances trimestrielles de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal des premier et deuxième trimestres de l’année 2020[3]. La demande de réduction doit, toutefois, être dûment chiffrée et motivée. Les demandes d’annulation sont acceptées d’office pour les contribuables éligibles ;
un délai de paiement de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur la fortune de quatre mois pour tout impôt dont l’échéance se situe après le 29 février 2020[4]. Les demandes de report sont acceptées d’office pour les contribuables éligibles.

Par ailleurs, la date limite pour la remise des déclarations d’impôts est reportée au 30 juin 2020.

Un projet de loi introduisant cette dernière mesure, ainsi que d’autres prorogations ou suspension de délais (délai de prescription des créances fiscales, effets des privilèges et hypothèques prévus en matière de recouvrement des contributions directes et des cotisations d’assurance sociales, délai de réclamation et de recours, par exemple), suit actuellement le processus législatif et devait être adopté prochainement…

Des mesures fiscales à l’attention du marché immobilier sont également actuellement en cours de discussions en matière d’impôt sur le revenu, octroyant, entre autres, au bailleur une réduction fiscale pouvant aller jusqu’à 10 000 euros en fonction des réductions de loyer accordées au preneur. Dans le cas où le bailleur a plusieurs preneurs, la déduction fiscale maximale s’élèverait à 500 000 euros.

En matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), le ministère des Finances a annoncé que l’administration remboursera tous les soldes créditeurs TVA en dessous de 10 000 euros. Par ailleurs, l’administration fiscale a annoncé qu’un éventuel dépassement d’une date limite de dépôt pour les déclarations de TVA ne sera pas sanctionné administrativement. Cette tolérance s’applique jusqu’à indication contraire par l’administration.

L’administration fiscale a clairement rappelé que la retenue prélevée sur les salaires par les entreprises est exclue de toute demande de délai de paiement.

En conclusion, ceci n’est qu’une palette des mesures annoncées et elle sera très probablement complétée et adaptée en fonction de l’évolution de la situation.

Des appels à la solidarité des propriétaires ont, par ailleurs, été lancés et certaines communes ont annoncé suspendre, voire renoncer aux loyers des locaux commerciaux pour la durée de la crise.

On observe, ainsi, sur le marché que locataires et propriétaires sont enclins à l’ouverture de discussions commerciales, afin de permettre aux locataires de faire face à des problèmes de liquidités ponctuels.

[1] Ces mesures ont été confirmées par Règlement grand-ducal du 18 mars 2020 ayant notamment proclamé l’état de crise.

[2] Au vu du grand nombre de mesures, cette énumération est limitative/n’est pas exhaustive.

[3] Modèle de demande d’annulation disponible sur le lien suivant : https://impotsdirects.public.lu/fr/formulaires/contribuables/annulation-avances-trimestrielles.html

[4] Modèle de demande de délai de paiement disponible sur le lien suivant : https://impotsdirects.public.lu/fr/formulaires/contribuables/delai-paiement.html

Elisabeth Adam et Michel Nickels (Elvinger Hoss Prussen) : "Luxembourg, l'impact du Covid-19 sur l’exécution des contrats de bail et aides étatiques aux entreprises"