Les décisions de justice rendues, jusqu’à ce jour, à la suite de désaccords sur l’abandon ou le rééchelonnement des loyers et des charges sont essentiellement des décisions de première instance rendues en référé ou par le juge de l’exécution c’est-à-dire par un juge qui n’a pas vocation à statuer sur le fond.

Ces premières décisions doivent donc être appréhendées avec circonspection ; elles permettent toutefois d’établir un panorama des leviers invoqués par les preneurs, de confronter les arguments de chacune des parties au bail et de faire un point sur la position des tribunaux.

Jurisprudences et commentaires

Le juge des référés de Paris et la Cour d’appel de Lyon statuant sur une ordonnance de référé ont rappelé la position classique de la Cour de cassation selon laquelle la force majeure ne peut s’appliquer à une obligation de payer^[1].

^[1] TJ Paris, 26 oct. 2020 n°20/53713 (référé) ; CA Lyon 31 mars 2021, n°20/05237 (statuant sur une ordonnance de référé)

Une telle position est conforme à la lettre de l’article 1218 du Code civil selon laquelle l’effet exonératoire de la force majeure suppose que l’obligation ne puisse plus jamais être exécutée.

Toutefois, certaines décisions témoignent d’un infléchissement sur l’appréciation de l’impossibilité d’exécution que suppose la force majeure, notamment en affirmant que le preneur « ne démontre pas une insuffisance de trésorerie qui l’empêcherait d’exécuter son obligation de débiteur, à savoir le paiement du loyer »^[2].

A noter qu’il n’existe à ce jour aucune décision appliquant de manière effective la force majeure à une obligation de payer.

^[1] TJ Paris, 26 oct. 2020 n°20/53713
^[2] T. com. Lyon, 17 nov. 2020 n°2020J00420 ; dans le même sens : CA Grenoble, 5 nov. 2020 n°16/4533

Jurisprudence et commentaires

Les décisions rejettent unanimement l’exception d’inexécution au motif que le bailleur n’a pas manqué à son obligation de délivrance^[3].

Une telle solution sera-t-elle maintenue lorsque c’est la fermeture d’un type de bâtiment qui est visé, comme c’est notamment le cas des centres commerciaux non alimentaires supérieurs à 20 000 m² dont la fermeture est exigée, pour une durée indéterminée, aux termes du décret du 30 janvier dernier ?

^[3] CA Grenoble, 5 nov. 2020 n°16/04533 ; TJ Paris, 26 oct. 2020 n°22/55901 et n°20/53713 ; TJ Paris, 21 janv. 2021 n°20/5575 ; T. com Lyon, 17 nov. 2020 n°2020J00420 ; CA Riom, 2 mars 2021 n°20/01418 (statuant sur une ordonnance de référé) ; CA Lyon 31 mars 2021, n°20/05237 (statuant sur une ordonnance de référé) ; TJ Paris 25 février 2021, n°18/02353 (décision ayant fait l’objet d’un communiqué du TJ)

Jurisprudence et commentaires

Les juges des référés et de l’exécution ont rendus des décisions contradictoires, aux termes desquelles l’assimilation de la fermeture administrative à l’hypothèse d’une destruction de la chose louée est tantôt retenue^[4], tantôt rejetée^[5

Néanmoins, une première décision au fond du Tribunal judiciaire de La Rochelle^[6] a fait application de l’article 1722 du Code Civil en affirmant : « il est de droit qu’une décision administrative ordonnant la suspension de l’exploitation équivaut à la perte de la chose louée. Cette perte peut être partielle dès lors que la fermeture présente un caractère provisoire ».

Cette dernière solution est critiquable et non conforme à une jurisprudence constante selon laquelle l’impossibilité d’exploiter la chose louée conformément à sa destination ne peut être assimilée à une destruction au sens de l’article 1722 du Code Civil que si elle est absolue et définitive^[7].

^[4] JEX Paris 27 octobre 2020 n°20/81460 ; JEX Paris 20 janvier 2021 n°20/80923

^[5] TJ Strasbourg, ref, 19 février 2021, n°20/00552 ; CA Lyon, 31 mars 2021, n°20-05.237 (statuant sur une ordonnance de référé)

[6] TJ La Rochelle, 23 mars 2021, n°20/02428

^[7] Voir en ce sens : Cass. 1ère civ, 5 juillet 1965, Bulletin ; Cass. 3ème civ, 17 octobre 1968, Bulletin ; Cass. 3ème civ, 2 juillet 2003, n°02-14.642, Bulletin ; Cass. 3ème civ, 29 novembre 2005, n°04-18.609 ; Cass. 3ème civ, 8 mars 2018, n°17-11.439, Bulletin

Jurisprudence et commentaires

Le tribunal judiciaire de Paris statuant en référé rejette la demande en paiement d’un bailleur d’arriérés de loyers au motif qu’il existe une contestation sérieuse et renvoie, ainsi, au juge du fond le soin de « déterminer si la société S. peut s’appuyer sur les dispositions de l’article 1195 du Code Civil pour lui demander une adaptation du contrat pendant cette période »^[8].

^[8] TJ Paris, 21 janv. 2021 n°20/5575

Jurisprudence et commentaires

La plupart des décisions prennent en compte les mesure d’accompagnement que le bailleur a accepté de consentir .

Si la responsabilité contractuelle du bailleur venait à être mise en cause, le preneur pourrait prétendre à l’allocation de dommages et intérêts dont le montant sera difficile à déterminer mais qui, en tout état de cause, devrait correspondre à la perte de chance du preneur de pouvoir obtenir une réduction ou une annulation du loyer, et non en la compensation de l’avantage non obtenu.

Pierre Popesco, Chloé Strasser et Suzy Lasry (BCLP) : les renégociations de baux à l'heure du Covid