Un besoin de toucher-à-tout qui l’a poussée tout naturellement à vouloir maîtriser tous les aspects du secteur… même les plus techniques. « Au début de ma carrière, je me suis dit que si je voulais me faire une place dans le milieu de l’immobilier, je devais impérativement savoir de quoi je parlais. Donc, pour être crédible, j’ai voulu commencer par le chantier. Même si je savais pertinemment que je ne resterai pas dans cette branche pendant dix ans, c’était pour moi un socle à acquérir. C’était très formateur car je me suis tout de suite retrouvée à devoir gérer de grosses responsabilités et j’ai aussi beaucoup appris sur la gestion des équipes ».

Il faut dire qu’à 36 ans, cette diplômée de l’Ecole Centrale Paris, passée par Bouygues Construction, la Société Foncière Lyonnaise (SFL) et Affine, n’a pas peur des défis. Et surtout pas celui de créer sa propre société il y a maintenant près de deux ans. « J’ai toujours eu dans un coin de ma tête cette envie de fonder mon entreprise personnelle. Je suis quelqu’un de très autonome dans mon fonctionnement. J’aime être libre de mes décisions et l’idée de mener de A à Z les projets qui me sont confiés me porte ». Alors, lorsque l’opportunité s’est présentée au moment de la fusion-absorption de la foncière Affine par la Société de la Tour Eiffel, elle l’a saisie sans hésiter. Car, pour cette boule d’énergie qui reconnaît dormir très peu, pas question de laisser traîner quoi que ce soit. « J’apprécie quand cela va vite même si je ne précipite jamais les choses. Quiconque me connaît sait que je ne suis pas quelqu’un d’impatient ». Juste une jeune femme déterminée… A commencer par faire de l’immobilier à SA manière. « En ce sens, mon passage par la SFL a joué un rôle de déclencheur. Mon travail sur le dossier « #Cloud.paris » m’a permis de comprendre comment faire en sorte que les gens se sentent bien sur leur lieu de travail en insérant des services supplémentaires dans un im- meuble de bureaux ».

Depuis, cette ambition de remettre la notion de collectif au centre du projet immobilier ne l’a plus quittée. Au point d’avoir fait du concept japonais du MA le nom de sa société. « J’ai découvert la notion du MA en lisant un ouvrage de l’architecte nippon Tadao Ando dont j’admire énormément le travail. Dans la culture japonaise, le MA est le vide qui crée du lien. A l’échelle de la ville, il est l’équivalent de la place. Autrement dit, un endroit vide où les hommes se rejoignent. A mon niveau, j’essaie donc d’ouvrir l’écosystème immobilier à d’autres milieux en faisant participer, au sein de chaque projet, des acteurs venus de mondes différents afin que chacun apprenne de l’autre ».

Une volonté de collaboration que cette musicienne adepte de la batterie depuis quinze ans revendique dans les dossiers traités par son entreprise. De l’assistance en maîtrise d’ouvrage pour la construction de la tour The Link (futur siège de Total), à La Défense, à celle de la réhabilitation d’un ancien corps de ferme dans les Yvelines avec la création d’un site de maraîchage et de production de céréales anciennes, en passant par un projet de maisons individuelles en bois, Justine Culioli s’attache à créer de la valeur en mêlant tous les horizons. Son objectif ? Renouveler la fabrique de l’immobilier en plaçant l’humain au cœur de tout. « Je suis convaincue que la réussite ne peut jamais se faire seule et que c’est des rencontres que naît le Beau ». Et en matière de beauté, cette collectionneuse d’art premier africain, qui arpente les salles d’expositions pour « s’évader et se ressourcer par l’art », sait de quoi elle parle.

Anne-Lise Defrance

LE PORTRAIT DES NOMMES

Edmond de Fels (associate director, département investissement – Ivanhoé Cambridge)

« Champion d’obstacle »

« Un pur produit universitaire » : c’est ainsi que se définit Edmond de Fels, 33 ans, « associate director » au sein du département investissement d’Ivanhoé Cambridge. Un profil un peu inattendu dans le monde de l’immobilier où les grandes écoles de commerce sont souvent le parcours obligé.

Issu d’une famille « assez financière », il est titulaire d’une licence et d’un Master 1 en Finance d’entreprise à la Sorbonne et d’un Master 2 de Banque-Finance à Assas. S’il a mis « du temps à trouver sa voie », plusieurs stages, réalisés au cours de ses études, l’ont guidé dans ce sens. Son « vrai premier pas en entreprise », il le fait chez KPMG comme auditeur junior. Une « très bonne formation », où il « apprend la rigueur », mais regrette « un manque de diversité dans les dossiers ». Le stage suivant est accompli chez Vinci Concessions en tant qu’assistant chargé d’affaires dans les financements structurés. Un stage « très technique avec des projets concrets ». Il vient à l’immobilier un peu par hasard à l’occasion d’un stage chez Ivanhoé Cambridge, en janvier 2014, alors qu’il avait fini ses études. Il intègre le département finance. Une formation « expresse », reconnaît-il, « au sein d’une équipe dynamique qui savait aussi prendre le temps d’expliquer ». Initialement, ce stage était « sans opportunité d’embauche ». Méka Brunel, alors DG Europe, lui propose un poste de chargé d’affaires directement rattaché à elle, « une expérience très transversale ». Définitivement embauché, il se spécialise par la suite en rejoignant l’équipe investissements dirigée par Arnaud Malbos, directeur des investissements Europe. Une opportunité qui se révèle être un vrai tremplin. De trois personnes, l’équipe a grandi pour atteindre une dizaine de collaborateurs, en charge de couvrir tout le marché européen. Analyste principal, Edmond de Fels, ancien champion du saut d’obstacles à cheval, gravit trois échelons en quatre ans. Il intervient désormais sur différentes classes d’actifs : de la vente du plus gros centre commercial à Madrid jusqu’à l’acquisition de fonds logistiques en 2020. Il apprécie tout particulièrement le côté relationnel humain de ce métier : « pouvoir interagir avec les « brokers », être en négociation, cela a un côté stimulant ».

Anne Peyret

Mai-Lan de Marcilly (director, real estate private equity – KKR)

« Plus d’un tour dans sa Manche »

Pas de Brexit pour Mai-Lan de Marcilly ! Arrivée chez LaSalle à Londres dès sa sortie de l’Essec en 2009, cette Française de 35 ans a évolué outre-Manche, passant chez PGIM avant d’intégrer, en 2013, comme « director, real estate private equity », la nouvelle équipe de KKR consacrée à l’immobilier français.

Aujourd’hui, elle partage son temps entre sa résidence à Hampstead, avec ses deux petites filles, et Paris, à raison de trois jours par semaine. « Le marché français ne peut se couvrir que depuis Paris… Même si, en ce moment, cela me vaut beaucoup de tests PCR ! ».

Il faut dire qu’en dépit de la crise sanitaire, KKR a su avoir le nez creux. L’investisseur a partagé son activité française en 2020, d’une part entre la logis- tique, avec la prise de participation majoritaire dans la foncière Etche et, de l’autre, à travers Newton Offices, dans le bureau flexible dans les grandes métropoles régionales, acquérant en Vefa, avec Tivoli Capital, un portefeuille neuf de grande qualité à Lyon, Lille, Sophia-Antipolis, Toulouse, Bordeaux ou Nantes. Coup de chance ? Que nenni, explique-t-elle : « c’étaient des thèmes que nous avions identifiés avant la pandémie, avec les besoins de plus en plus forts du e-commerce et la demande de bureaux flexibles. La Covid a été un accélérateur de tendances et nous avons pu mettre le pied à l’étrier avant la vague de capitaux que l’on constate aujourd’hui ».

Prochainement, KKR compte déployer une stratégie de campus résidentiels en Europe, tout en pré- parant la reprise dans l’hôtellerie, que Mai-Lan de Marcilly gère aussi au niveau européen, anticipant de « véritables années folles », en dépit d’un manque de produits de bonne facture et des risques accrus pour le secteur. Pour ce qui est l’avenir de l’immobilier, Mai-Lan de Marcilly le voit « tourné vers le serviciel au plan technique et un peu plus divers au niveau humain ». La diversité est, en effet, son rayon : d’origine vietnamienne, adepte de la course à pied, passionnée d’électro et de rock, cette expatriée est surtout une lectrice assidue, à raison d’un livre par semaine, tournée vers les classiques en littérature française (Emile Zola, Joseph Kessel, Albert Cohen…) et les contemporains pour les auteurs américains et asiatiques (Bret Easton Ellis, Jonathan Franzen, Haruki Murakami)…

Arthur de Boutiny

Daniel Noeltner (senior investment manager – Ardian)

« This is America »

Né et élevé à Montmartre, parti suivre son père producteur de cinéma à New York, puis Los Angeles, étudiant à l’université Concordia de Montréal et à l’Essec : à 31 ans, Daniel Noeltner a déjà vu du pays ! Engagé chez Ardian en 2014 à l’issue de son stage de fin d’année, il intègre « par hasard », à sa création en 2017, l’équipe real estate d’Ardian menée par Stéphanie Bensimon et est « senior investment manager » depuis 2021.

« Petite étoile dans la constellation Ardian », jeune équipe d’immobilier a tenu devant « cette grande vague » de la crise sanitaire. Le 14, rue des Pyramides (1er) a été vendu en Vefa à la Caisse de Retraite du Personnel Navigant, et le 46-48, avenue de la Grande Armée (17ème), cédé à BNP Paribas Cardif et loué par Sanofi. Daniel Noeltner travaille aussi sur les réhabilitations lourdes, la commercialisation des actifs du portefeuille et les levées de fonds. « Quand je vois l’actif de l’avenue de la Grande Armée, je me dis qu’il a traversé les deux guerres mondiales et tous les tumultes du 20ème siècle, et je suis donc confiant dans l’avenir » confie-t-il, à l’instar de son équipe.

« Le plus dur avec la crise, c’est de ne pas rencontrer les gens. J’y ai pensé au décès de Bernard Madoff : ceux qui le rencontraient physiquement ne le sentaient pas. La confiance, les visites d’immeubles et le contact humain sont ce qui manque le plus » constate-t-il. « Ce que j’aime dans l’immobilier, c’est la croisée des mondes : on est en même temps avec les architectes, les compagnons de chantier, les investisseurs, les bureaux d’études, les équipes d’encadrement… Peu de métiers permettent cette complexité selon moi ».

De son côté américain, Daniel Noeltner a hérité l’aspect idéaliste et emphatique, ainsi que l’amour du travail d’équipe et des grands espaces : ce passionné d’histoire aime emmener sa compagne sur les traces des grands explorateurs de l’Amérique du Nord, tels que Lewis et Clark. Avec un père producteur, il était naturel qu’il aime le cinéma et les séries : il a profité du confinement pour dévorer « Le Bureau des Légendes », « A la Maison Blanche », « Les Soprano »… Mais en bon Parisien, il est aussi un fervent supporter du PSG !

Arthur de Boutiny

"Créatrice de valeur" : le portrait de Justine Culioli, lauréate de la Pierre d'Or 2021 "Avenir"