L e premier changement majeur fut celui de l’innovation financière. L’importation des outils anglo-saxons de la finance a fait évoluer les systèmes de financement de l’immobilier. Le deuxième changement a davantage affecté les immeubles eux-mêmes ; il a mis l’accent sur la recherche d’immeubles intelligents, c’est-à-dire flexibles. Autre sujet majeur, la RSE et la transition énergétique. Il impose aux banques de mettre l’accent sur la finance durable et donc, par exemple, de financer en priorité des immeubles bas carbone. La crise sanitaire provoque un changement d’une autre nature. Jusqu’à présent attaché à un lieu, son bureau, le salarié aura désormais le choix entre son bureau, son logement et un tiers-lieu. Il va donc être nécessaire de séduire les salariés pour les faire revenir au bureau. « C’est un changement structurel » analyse Harold de Villemandy. Nécessaire pour développer l’énergie créatrice et permettre le lien social, le bureau doit devenir attractif.

L’année 2020 s’est traduite par une légère baisse de production et 2021 marque des difficultés, notamment en logement car les opérateurs peinent à obtenir des permis de construire purgés. Les promoteurs, même s’ils sont prudents en demandant des permis dont la densité est inférieure à celle du PLU, doivent souvent réviser à la baisse leurs ambitions. Harold de Villemandy pointe, ici, un risque de crise de l’offre.

En dépit de la situation sanitaire, Harold de Villemandy a pu mener à bien quatre opérations majeures d’un volume compris entre 150 à 200 millions d’euros et certaines ont même été conduites à un rythme plus soutenu qu’à l’ordinaire. Il s’agit du futur siège d’Interparfums, rue de Solférino ; du refinancement d’un portefeuille d’Ehpad et de crèches ; du financement d’un immeuble de bureaux « en blanc » dans Paris et celui d’une holding familiale. La dureté des temps n’affecte pas la confiance d’Harold de Villemandy. Il estime qu’il faut compter pour demain « moins de bureaux, mais mieux ». Il anticipe une réduction du volume des transactions,

mais pas pour les bureaux neufs. En revanche, un grand volume d’actifs va être frappé d’obsolescence et la crise se portera sur le parc ancien non renouvelé. Il invite à prendre garde aux actifs anciens et si- tués loin de Paris, pour lesquels on peut douter de la capacité à redevenir attractifs.

Au fond, reprenant la célèbre formule « il faut que tout change pour que rien ne change », Harold de Villemandy appuie les vertus du changement. Les immeubles vont évoluer, le respect des critères RSE sera primordial. Toutefois, la capacité des im- meubles à générer des cash-flows restera. Les changements touchent les immeubles, mais des perspectives demeurent. Quant au logement, les besoins structurels sont également très forts.

Son fil rouge reste le client car « les clients sont passionnants » dit-il, observant que les professionnels qui se consacrent au financement immobilier sont, le plus souvent, pris par cette passion et restent dans l’immobilier.

Après avoir connu des contacts fort divers entre ceux des étudiants, d’abord lors de son cursus d’ingénieur en génie industriel, puis lors d’un troisième cycle de gestion finance à l’IAE de Paris et ceux des appelés du contingent de son service militaire, il débute son parcours professionnel chez Bouygues comme conducteur de travaux. Il se sou- vient de cette étape comme un excellent lieu de formation et d’une école de bon sens.

Après une étape chez CLF Immo en tant que chargé d’affaires, il rejoint Paribas en 1993 comme chargé d’affaires immobilières. En 2000, il est directeur du centre d’affaires professionnel de l’immobilier. Depuis 2019, il est directeur des professionnels de l’immobilier, réseau France de BNP Paribas.

Ce grand golfeur n’est pas encore au terme du par- cours ! Conscient d’abord que son entreprise est en ordre de marche pour relever les défis des années qui s’ouvrent, il est aussi attentif à convaincre des jeunes à rejoindre son métier. Sa passion et sa confiance dans l’avenir sauront, à n’en point douter, se rendre communicatives auprès des plus jeunes collaborateurs.

Bertrand Desjuzeur

LES PORTRAITS DES NOMMES :

Julien Béraud (directeur associé – Edmond de Rothschild)

L’union fait la force

Les mariages réussis, il connaît ! A 47 ans, Julien Béraud est un entremetteur. Présenter les futures moitiés, mettre en avant leurs atouts, les laisser se séduire l’un l’autre et les mener jusqu’au contrat, voilà ce qui plaît à cet ingénieur de formation passé par Arthur Andersen, EY et Icade avant de rejoindre Edmond de Rothschild au poste de directeur associé il y a maintenant cinq ans.

« Les fusions-acquisitions, c’est accompagner des entrepreneurs qui se posent des questions sur leur devenir. C’est les soutenir dans leur logique de transmission ou d’évolution de leur société. Ma mission est donc de mettre en relation ces hommes avec des investisseurs financiers qui aspirent à prendre des participations dans l’immobilier ». Mais derrière le pur point de vue financier, c’est tout l’aspect humain qui tient particulièrement à cœur à cet amateur de kayak, qui regrette aujourd’hui de ne pas pouvoir pratiquer davantage. « Il y a beaucoup d’affect dans les rencontres que je fais avec ces entrepreneurs. En travaillant sur leur dossier, je touche à leur intimité au sens où je suis présent à un moment important de leur parcours, qu’il s’agisse de céder leur société ou de la développer ».

Une responsabilité qui appelle à ses yeux à beaucoup de devoirs. « Je suis exigeant avec moi-même comme avec mes équipes car nos clients nous font confiance et s’en remettent à nous pour leur avenir personnel. Ils nous confient leur vie via leur entreprise et nous n’avons pas le droit de les décevoir ». Et, en la matière, l’année 2020 a été riche en émotions. A commencer par l’union célébrée entre REI Habitat, spécialiste de la promotion immobilière bas-carbone, avec AXA Investments Managers – Real Assets, et, pour objectif commun de former un major de la construction bois issue des forêts françaises. Ou encore, par la participation prise par Magellim dans le capital d’A Plus Finance.

Mais pas question pour Julien Béraud d’en dévoiler trop. Lui qui se qualifie d’« homme discret » aime à conserver une certaine retenue. A peine s’autorise-t-il une comparaison entre son métier et sa passion pour le jardinage. « Avec les fleurs, comme avec les dossiers que je traite, il faut être patient et attentif. Il faut savoir les aider à pousser et à se développer sans jamais les brusquer »…

Anne-Lise Defrance

Laurent Camilli (managing partner – Clearwater)

Toujours une solution !

Après une formation financière à Dauphine, Laurent Camilli a débuté sa carrière avec la Générale des Eaux dans le financement de grandes opérations de promotion à La Défense.

En 1991, il fonde Auxiliaire de Finances et accompagne des fonds de grands groupes comme Cargill ou Goldman Sachs pour l’acquisition de portefeuilles. Nouvelle étape avec Close Brothers. Maniant dette senior ou mezzanine, Laurent Camilli jongle avec les outils financiers pour optimiser les solutions financières et fiscales. A travers la sophistication croissante des outils, vaste est le champ des possibles, mais il s’agit d’élaborer la solution adaptée au client. Surtout, il observe que l’innovation financière trouve son sens quand elle est au service d’un projet. En 2010, Laurent Camilli fonde Clearwater avec une douzaine d’associés de sa précédente entreprise. Fort de 42 personnes à Paris, Clearwater rassemble aujourd’hui 220 personnes réparties dans neuf pays d’Europe.

« Au service du client », un impératif qu’il réaffirme volontiers : l’important n’est pas le premier mandat obtenu, c’est de poursuivre une relation dans la durée.

Le métier suppose une bonne dose d’imagination pour créer les solutions et les faire valider par les spécialistes, avocats ou notaires, voire par le biais d’un rescrit à l’administration, tant en matière financière, juridique, fiscale que d’urbanisme.

La pandémie n’a pas freiné le dynamisme de son entreprise. Elle a été accélérateur de tendances per- mettant d’améliorer les façons de travailler, par exemple avec la signature électronique.

Laurent Camilli pilote de 20 à 30 opérations par an, comme la création d’un véhicule pour permettre à un opérateur santé de récupérer à terme son immobilier, sans augmenter sa dette, ou l’accompagnement d’un transporteur logistique avec une cession bail sur 104 000 m2 de logistique en zone portuaire, ou encore un LBO pour le management de Panhard. Si Laurent Camilli est féru de boxe, il préfère évoquer son attachement à la formation. Avec lui, Clearwater s’est engagé pour la Formation de la 2ème chance qui aide des entrepreneurs à se lancer dans une deuxième vie professionnelle. En période de pandémie, il se félicite d’avoir réussi à animer une formation de codage pour des jeunes déscolarisés qui a abouti à créer 19 emplois…

Bertrand Desjuzeur

Priscilla Le Priellec (co-directrice département des financements immobiliers/responsable des pôles financements structurés et promotion immobilière – La Banque Postale)

La Banque Postale comme une startup

Nommée pour la deuxième fois consécutive dans cette catégorie, cette professionnelle de l’ingénierie financière fête cette année son quart de siècle dans la banque et continuement dans le financement de l’immobilier.

Après 15 ans de Crédit Agricole pour commencer, un court passage de vingt mois par la Caisse d’Epargne d’Allemagne et deux années de consulting à Hong- Kong (où elle avait suivi son mari, appris le mandarin et analysé plusieurs financements de projets en Chine continentale), Priscilla Le Priellec est entrée en 2014 dans une très « jeune » banque, créée moins de deux ans plus tôt, La Banque Postale. Pour y faire valoir ce qu’elle avait appris à New-York, Paris, Francfort ou Hong-Kong : le « credit and investment banking » qui n’est pas autre chose, pour elle, qu’« apprendre à prendre des risques, aller se frotter à une culture internationale ou assurer des relais de croissance, étape par étape. Autrement dit participer à faire éclore une startup au sein de la vénérable La Poste… Un savoir-faire acquis de l’expérience et d’une capacité singulière à en faire profiter son équipe. Ce qui lui vaut d’avoir été nommée cette année à la (co)direction cumulée du pôle arrangement et syndication qu’elle avait créé et maintenant du pôle promotion qui vient de lui être confié par La Banque Postale. Un art complet du management qu’elle exerce en même temps depuis dix ans à l’Edhec – dont elle est diplômée, promo 94 – et où elle anime deux séminaires par an (« en présentiel, quelle chance ! ») sur le « real estate valuation and financing » ; un enseignement qui vaut à l’Edhec, « son » école, de gagner 12 places d’un coup dans le dernier classement des meilleurs MBA du « Financial Times » qui en souligne l’« ouverture d’esprit et l’agilité pour inventer des modèles nouveaux ».

Des qualités dont il a fallu faire preuve pour mettre en place Cronos en janvier dernier, ce parc immobilier d’un nouveau type, créé par AXA IM et In’Li au service du logement intermédiaire, et qualifié par la place de première foncière en Europe à être financée à 100 % par un prêt hypothécaire « responsable ». Comprendre que le fondement social du projet (détenir 25 000 logements, dont 20 000 neufs d’ici dix ans en Ile-de-France) comptera autant que sa composante écologique. « C’est l’opération dont je suis la plus fière et celle qui me vaut, sans doute, d’avoir été nommée cette année ». Une opération qui a consisté à sécuriser un prêt à hauteur de 800 millions d’euros, « co-arrangée » avec 12 banques ! La syndication élevée au rang de grand art.

Brice Lefranc

"Innovant financier" : le portrait de Harold de Villemandy, lauréat de la Pierre d’Or 2021 « Innovation Financière »