Contrairement aux différents messages véhiculés sur les réseaux sociaux et par les medias, souvent initiés par l’industrie croissante du coworking, qui préconisaient la fin du bureau en ville due à la généralisation du télétravail que l’on pourrait d’ailleurs considérer, de surcroît, davantage subi que souhaité -, le bureau ne s’est jamais porté aussi bien. Tel un phénix renaissant de ses cendres, l’immeuble classique de bureaux des centres-villes métropolitains se réinvente et devient la denrée rare tant pour les investisseurs que pour les utilisateurs.

Le constat est d’autant plus frappant pour le marché parisien. On se souviendra de l’offensive des grands acteurs du coworking et des autres fournisseurs de services hôteliers immobiliers, dont Paris était devenu le terrain de jeu privilégié avant la Covid dans une économie majoritairement portée et encouragée par l’effervescence des startups, prenant à bail, en moyenne, plus de 80 % des surfaces louées de plus de 2 000 m2 par an. Ce qui avait alors accentué, juste avant la crise Covid, la pression sur un marché de bureaux historiquement tendu.

Un marché de bureaux parisien sclérosé

Malgré une volonté publique cohérente d’un urbanisme de transformation cher à la Mairie de Paris, avec l’idée de mieux répartir géographiquement les emplois tertiaires dans des programmes mixtes et équilibrés, et contrairement aux idées reçues, il n’a jamais été aussi urgent de développer l’offre traditionnelle de bureaux parisiens. Le développement frénétique d’incubateurs et de nombreux espaces de coworking dans la Capitale il y a 15 ans pose aujourd’hui crucialement la question de « Paris Ville Monde », notamment des sièges de grandes entreprises qui ont besoin de centralité et qui sont en recherche de jeunes talents et continuent à assurer l’attractivité de la Capitale en tant que locomotive économique de la région francilienne.

Il n’a d’ailleurs jamais été aussi préoccupant de développer l’offre traditionnelle de bureaux pari- siens ; le marché est aujourd’hui sclérosé. Selon MBE Conseil, on enregistre un taux de vacance extrêmement faible, particulièrement dans le QCA à 3,1 % au premier trimestre 2021, en chute libre par rapport aux 5 % enregistrés entre 2014 et 2019, et toujours à des niveaux bien inférieurs à la moyenne francilienne de 7 %.

La tension sur le marché locatif et sur le marché de l’investissement devient préoccupante. La plupart des projets d’immeubles de bureaux sont pris à bail avant même leur livraison, tel l’immeuble « Maison Bayard », réalisé par l’agence Axel Schoenert, commercialisé à 70 % six mois avant sa livraison auprès de locataires comme la société de conseil en immobilier d’entreprise Strategies and Corp, le producteur indépendant d’énergie renouvelable Neoen et le cabinet d’avocats d’affaires Dechert. De même pour l’immeuble « UFO » situé rue des Jeûneurs, dans le 2ème arrondissement de Paris, occupé par LeBonCoin, le groupe ayant fait l’acquisition, auprès de Raiffeisen Immobilien via une Vefa, de la totalité du bâtiment près d’un an avant sa livraison.

Alors que la sortie de crise se précise, que l’activité économique reprend dans tous les secteurs et que tous les indicateurs économiques confirment une nette reprise, cette situation d’un marché immobilier de bureaux sclérosé dans le quartier d’affaires de la Capitale doit nous interpeller. Il est, en effet, inutile de rappeler que dans la compétition internationale que se livrent entre elles les villes-monde pour capter talents et investissements, disposer d’une offre de bureaux à la hauteur de ses ambitions est un prérequis indispensable à l’attractivité de la Capitale.

Les salariés, impatients de retrouver leur bureau

Par ailleurs, de plus en plus d’études soulignent qu’une majorité de salariés souhaitent retourner dans leurs bureaux. L’expérience du télétravail imposé par la crise sanitaire a accéléré les mutations économiques et sociales des entreprises et notamment engendré de nouveaux besoins d’espaces de travail adaptés aux attentes des salariés. C’est ce que révèlent les résultats de l’étude académique « Mon bureau post-confinement II & III », enquête réalisée en ligne, respectivement, en septembre 2020 et avril 2021 et qui étudie la manière dont les employés de bureau appréhendent leurs espaces de travail post-confinement (mode de travail idéal dans l’espace tertiaire, répartition idéale du temps de travail entre le bureau en entreprise, à la maison ou dans les tiers-lieux…).

Les espaces de travail dans des immeubles de bureaux classiques avec postes de travail attitrés attirent le plus les employés de bureaux : près de 80 % de l’échantillon s’accorde sur une très nette préférence pour le bureau attitré, qu’il soit fermé (63 %) ou en open space (16 %), alors que les espaces de travail non attribués ne reçoivent que 9 % des suffrages (5 % pour le flex office et 4 % pour le travail en espaces de coworking). Le retour au bureau dans l’entreprise semble largement plébiscité par les salariés qui souhaitent y consacrer plus de la moitié de leur temps de travail au détriment des tiers-lieux et espaces de coworking (respective- ment, 55 % du temps de travail, contre 6 %). L’alternative du coworking dans des tiers-lieux reste, ainsi, très peu envisagée par les répondants de l’enquête. Pensés comme des espaces d’innovations tournés vers le numérique et la création, les tiers-lieux ont pris principalement la forme d’espaces de coworking et ont concerné, dans un premier temps, les indépendants, les auto-entre- preneurs ou les startups, et dans un second temps, les salariés des entreprises du numérique. Le coworking séduirait significativement davantage les cadres que les salariés qui privilégient davantage le poste attribué fermé ou en open space.

Il est à noter que les salariés travaillant dans Paris intra-muros sont les plus impatients de retrouver leur bureau, comparativement aux salariés travaillant en région francilienne (respectivement 64 %, contre 58 %). Ce constat est encore plus mar- quant pour les salariés des quartiers les plus investis par les bureaux (QCA, La Défense, principales villes de la première couronne, 66 %), plus impatients de retrouver leur bureau que ceux des autres secteurs (55 %), y compris les autres arrondissements parisiens.

Le bureau de demain doit être mieux qu’à la maison

Suite à la crise sanitaire, l’immobilier tertiaire connaît d’importantes mutations. L’immeuble de bureaux s’impose, désormais, comme un outil de management devant répondre à la diversité des besoins des utilisateurs. L’impact du numérique sur l’organisation des sociétés et l’évolution des façons de travailler avec la généralisation du télétravail à l’ensemble des salariés ont radicalement transformé l’architecture et l’agencement des immeubles de bureaux.

Ces nouvelles façons de travailler vont de pair avec la recherche d’ambiances multiples pour répondre aux besoins selon les tâches et les moments de la journée. Les synergies entre architecture, aménagement intérieur et fonctionnement de l’entreprise génèrent des lieux ayant un impact direct sur le chiffre d’affaires. Au côté du management du locataire, l’architecte devient le scénariste d’immeubles destinés à attirer des talents et à favoriser l’échange, la créativité et la recherche. Avec la crise, il intervient à présent dès en amont aux cotés non seule- ment de l’utilisateur, mais également des investisseurs. C’est le cas, par exemple, de l’immeuble « UFO » qui accueille aujourd’hui, dans le 2ème arrondissement parisien, les bureaux du groupe Leboncoin et que l’agence Axel Schoenert architectes a restructuré pour le compte de la banque autrichienne Raiffeisen Immobilien.

Favoriser la transparence, apercevoir les autres créent un sentiment d’appartenance. Bien que certaines entreprises nécessitent une confidentialité, elles ont un siège vitré et transparent avec de nombreuses terrasses et espaces extérieur.

Le Covid en tant qu’électrochoc n’a fait que confirmer une tendance déjà existante depuis plus de dix ans : le sens et la fonction accordée au travail évoluent et sont perçus comme un vecteur d’épanouissement et de relance sociale. La crise sanitaire aura accéléré cette tendance et révéler le caractère essentiel du contact humain en entreprise. Aussi, le bureau a encore de beaux jours devant lui, mais dans une conception renouvelée. Il devient un espace dédié au travail en équipe et au partage. Le bureau statique devient, aujourd’hui, plus dynamique. L’immobilier tertiaire doit à l’avenir répondre à ces défis pour faire du bureau un véritable lieu de vie.

La qualité de vie des lieux de travail est aujourd’hui un facteur de succès et un avantage concurrentiel pour attirer les nouveaux talents, de plus en plus exigeants. Ce sont les typologies d’espaces de travail et la flexibilité des lieux qui s’adaptent aux utilisateurs et non l’inverse. Il est possible de travailler dans les zones de restauration ou les coins café qui deviennent également des lieux de réunion. Ainsi, chacun des utilisateurs a la possibilité de se sentir bien dans un endroit qui lui correspond et ce, à tout moment de la journée.

Bien que la possibilité de conserver une partie du télétravail soit aujourd’hui envisagé, le fait de passer plus de temps en présentiel avec les collaborateurs est aujourd’hui indispensable. Les utilisateurs ont de nouvelles attentes. Ils sont plus exigeants et leur lieu de travail, qui se trouve en concurrence avec leur domicile, doit satisfaire leurs attentes. Les entreprises sont contraintes de revoir leurs espaces de travail et de les penser différemment, en adéquation avec la problématique actuelle car le lieu de travail prend une place importante et le retour au bureau est souhaité dans la plupart des entreprises. L’appétence pour le bureau est revenue après les précédents confinements. L’enjeu est de maintenir un lien, une culture d’entreprise. L’immobilier revient à un niveau stratégique, on ne parle pas seulement de choix de matériaux ou de décoration, mais de modes de vie au travail. L’espace de travail de demain se met au service de la stratégie de l’entreprise qui travaille en transversalité avec les architectes. Les futurs bureaux ressemblent au bureau que les collaborateurs souhaitent. Avec une idée majeure suite à la crise sanitaire : le bureau de demain ne doit pas être comme à la maison, mais mieux qu’à la maison.

Vers toujours plus d’extérieur

Les espaces extérieurs, qui étaient encore optionnels pour les investisseurs, sont aujourd’hui nécessaires. Tandis que le télétravail tend à s’imposer sur le long terme, l’usage et le devenir des espaces de bureaux dans les grandes villes évoluent : terrasses, balcons, patios, rooftop. Si la création d’espaces extérieurs était de mise avant la pandémie, ce sont aujourd’hui des atouts incontournables pour valoriser les bâtiments. Ces prolongements extérieurs modifient l’aspect et la conception de la façade, soumise à une quantité plus importante d’ouvrants. Accentuée par la crise sanitaire, la prise en compte du bien-être des salariés sur le lieu de travail représente depuis plusieurs années un changement majeur pour les immeubles de bureaux. Les entreprises souhaitent aujourd’hui intégrer des espaces extérieurs de manière systématique dans tous leurs projets, n’hésitant pas à générer des vides, à casser des surfaces, à libérer les derniers étages des locaux techniques pour offrir des terrasses accessibles. Pour un projet dans le quartier Charonne (Paris 11ème), l’agence Axel Schoenert architectes crée, par exemple, une seconde façade en retrait d’un mètre par rapport à la rue, pour dégager des balcons. Ce sont des zones privatives et qualitatives auxquelles sont plus attentifs les investisseurs.

Les surfaces extérieures sont utiles pour les besoins de certains labels ou pour le plan pluie, mais elles ne sont pas comptabilisées sur le plan locatif. Au regard de tout ce que les labels peuvent normer et éclairer de manière objective, l’architecte est là pour travailler la relation entre forme et qualité d’usage. Bien conçus, ces espaces extérieurs peuvent accueillir toutes sortes d’activités, de l’espace de repos à la salle de réunion en passant par le potager. Ils offrent, également, des vues imprenables sur la ville et des espaces calmes et paisibles grâce à leur hauteur.

« L’architecte devient le scénariste d’immeubles destinés à attirer des talents et à favoriser l’échange, la créativité et la recherche »

L’exemple de la surélévation de l’immeuble de bureaux « Maison Bayard » (Paris 8ème) illustre parfaitement ce nouvel enjeu en permettant de créer des terrasses végétalisées accessibles aux futurs usagés.

Du côté des maîtres d’ouvrage et des utilisateurs, la solution est bien accueillie. Les immeubles tertiaires mettent à profit les surélévations afin d’offrir des accès extérieurs aux occupants pour prendre l’air, se détendre, mais aussi parfois se restaurer ou pratiquer du sport. La majorité des surélévations ne sont jamais purement minérales : on aménage des espaces verts accessibles, des potagers ou même des ruches, ce qui participe au bien-être des usagers. Les rooftop se développent beaucoup dans le cadre des surélévations, avec des fonctions d’agréments. « UFO », immeuble accueillant le groupe Leboncoin rue des Jeûneurs, illustre également comment la surélévation peut apporter une réelle plus-value à un immeuble existant. La toiture était totalement abandonnée aux installations techniques, asphaltée et accessible seulement par une échelle de service. L’agence Axel Schoenert architectes a végétalisé cet espace d’un peu plus de 1 000 m² rendu accessible par un escalier et un ascenseur. Ce fut un des éléments clés de la restructuration de cette adresse. Dans un contexte de densification urbaine, avec des enjeux environnementaux forts, la surélévation apporte une réponse adaptée, qui permet en même temps de préserver le bâti existant. Aujourd’hui, dans la plupart des métropoles comme Paris, les toitures restent la seule friche existante qui permet de créer des surfaces et d’intégrer la végétalisation.

Par ailleurs, le développement des espaces extérieurs dans les immeubles de bureau est d’autant plus rentable pour l’ensemble des parties prenantes, qu’elle joue en faveur de l’obtention de certifications : BREEAM, HQE, Leed, Well, WiredScore ou autres. Aujourd’hui, on ne fait plus de bâtiments tertiaires non certifiés, sous peine de ne pas trouver d’acquéreurs. La valeur de l’immeuble se chiffre aussi en terme de services rendus à l’occupant et son territoire. Si les toitures terrasses accessibles contribuent au bien-être des utilisateurs, elles sont également végétalisées pour répondre aux exigences de bonne gestion des eaux pluviales et du retour de la nature en ville.

« Le bureau parisien n’est pas mort ! On n’en a jamais eu autant besoin »