L’année 2020 restera une année particulière à bien des égards… La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid 19 s’est mutée en une crise financière sans précédent dans l’ensemble des économies développées, dont la France, crise doublée – confinement oblige – par des mutations profondes dans nos habitudes de vie, de déplacement, de consommation et de travail. Mi-mars, les entreprises ont dû quasiment du jour au lendemain repenser leur modèle organisationnel en accordant une place nouvelle à la pratique du télétravail ; accélérateur d’une tendance structurelle de libéralisation du lieu de travail, la crise sanitaire ouvre donc un champ immense de réflexion pour les entreprises et l’immobilier qui l’arbitre s’en trouve logiquement impacté. La première et immédiate conséquence de cette crise se lit dans les volumes de transactions enregistrées depuis le début de l’année : avec à peine 16 signatures pour un volume total de 258 300 m2 à fin septembre, le segment des surfaces de plus de 5 000 m2 paie un lourd tribut dans le ralentissement du marché des bureaux en Ile-de-France. Rappelons qu’en 2019, 73 prises à bail ou ventes de bureaux totalisant 880 600 m2 avaient été recensées sur des grands gabarits tertiaires et le million de mètres carrés avait été dépassé en 2018. La décélération de la demande est donc indéniable et devrait accompagner la dynamique du marché tertiaire francilien tant que dure la crise sanitaire, c’est-à-dire a minima en 2021. Les entreprises sont, en effet, davantage mobilisées sur des questions liées à la poursuite de leur activité que des projets immobiliers. Leur retour dans les agendas des entreprises devrait être précédé d’un questionnement sur le rôle désormais dévolu au siège social et, plus généralement, à celui de l’immeuble de bureau, en plus des arbitrages classiques sur la localisation à privilégier.

Une évolution sensible dans la géographie des chantiers

Face à la soudaineté de cette crise et de cette demande en pleine phase de recomposition, promoteurs et investisseurs n’ont eu d’autre choix que de poursuivre leurs chantiers d’immeubles de bureaux. Selon nos toutes dernières informations, le volume des livraisons de l’année 2020 pourrait s’élever à un peu plus d’1 million de mètres carrés – à comparer à 1,3 million de mètres carrés estimés avant le confinement – et un volume sensiblement égal en 2021. D’une façon ou d’une autre, le marché tertiaire francilien devra donc composer avec deux années de forte production et une évolution sensible dans la géographie de ces chantiers : encore assez présents dans la Capitale (près de 313 000 m2 livrables en 2020), ils vont se déplacer vers La Défense et le Croissant Ouest (respectivement 240 000 m2 et 230 000 m2 attendus en 2020), puis vers l’Ouest et la Première Couronne en 2021 (respectivement, 384 000 et 347 000 m2). Le taux de pré-commercialisation des opérations en cours de construction en Ile-de-France s’élève à 60 % en ce qui concerne les livraisons attendues en 2020, avec des variations de 30 à 80 % selon les secteurs considérés et 30 %, en moyenne, pour les réalisations prévues en 2021. Ce qui veut donc dire qu’il y a, aujourd’hui, 1,5 million de mètres carrés de bureaux en cours de construction et disponibles à la commercialisation. Une revue de détail s’impose pour appréhender la dynamique de chaque secteur de marché…

Des volumes attendus relativement modérés dans Paris

À tout seigneur, tout honneur : commençons cette promenade francilienne avec Paris. C’est aujourd’hui le secteur qui affiche le nombre de transactions de bureaux supérieurs à 5 000 m2 le plus important avec sept signatures, dont quatre pour le quartier central des affaires (QCA). Les opérateurs de coworking très actifs sur ce marché en 2019 ont laissé la place, en 2020, à un large spectre d’utilisateurs : financiers avec Goldman Sachs, JP Morgan Chase Bank et VYV-Harmonie Mutuelle ; technologies de l’information et de la communication avec Webhelp ou encore conseil avec Boston Consulting Group, locataire d’une partie de « L1ve » de Gecina. Cette grande diversité d’entreprises devrait aider à la commercialisation des surfaces futures de première main disponibles : on compte près de 229 000 m2 de surfaces livrables en 2021 et 2022, dont 112 200 m2 pour le seul QCA, un volume réparti sur treize opérations. La demande des entreprises devrait rester forte dans ce secteur, qui allie centralité et qualité d’insertion urbaine sans égal en Ile-de-France. Les volumes attendus sont relativement modérés (59 000 m2 au quatrième trimestre 2020 et 144 000 m2 en 2021), permettant d’être raisonnablement confiant dans leur capacité à être transactés rapidement d’autant que la division de ces immeubles va permettre une meilleure dynamique de commercialisation ; reste à fixer la performance de ces opérations en terme de valeurs locatives ; elles sont positionnées en haut de fourchette – entre 775 et 900 euros (HT, HC)/m2 – et devront probablement être accompagnées d’ « incentives » plus généreuses (aujourd’hui proches de 13 %) pour faciliter la signature des futures prises à bail. Dans l’hypothèse d’une trésorerie plus contrainte, une alternative pourrait consister à étudier une implantation sur d’autres micro marchés parisiens ; on notera, à ce titre, le desserrement de la production neuve vers les arrondissements de la rive gauche, à l’image de « Biome », une restructuration de 23 000 m2 portée par SFL dans le 15ème arrondissement ou vers le Nord-Est avec la livraison de deux bâtiments dans « Chapelle International » ou, encore, en 2021, avec l’opération mixte de « Morland », dans le 4ème arrondissement.

Une situation plus délicate à La Défense…

La situation est un peu plus délicate concernant le secteur de La Défense, qui a d’ores et déjà vu son taux de vacance augmenter de façon significative, passant de 4,9 % relevés fin 2019 à 7,5 % au terme du troisième trimestre et probablement supérieur à 13 % d’ici six mois. L’officialisation de la décision du regroupement de Total dans « The Link », un immeuble de 126 000 m2 réalisé clé en main, est l’événement majeur de cette année sur ce marché et valide la pertinence d’une implantation dans le quartier d’affaires. Sur des volumes certes plus modestes, mais significatifs, KMPG (5 200 m2) et Sopra Steria (21 600 m2) ont, quant à eux, confirmé leur attachement à La Défense. Il va, cependant, falloir que le rythme des transactions s’accélère pour contenir la croissance de l’offre à court/moyen terme et la correction des valeurs locatives. En effet, un peu plus de 421 000 m2 de bureaux neufs ou restructurés vont venir alimenter le marché entre la fin de l’année 2020 et 2022 ; derrière ce chiffre se cache, en fait, un étalement des livraisons avec deux ou trois tours à inaugurer par an, ce qui laisse le temps d’envisager sereinement la meilleure stratégie de commercialisation. Citons, entre autres, « Landscape » (63 700 m2), porté par Altarea Cogedim et Goldman Sachs en 2021 ; « Hekla » (75 700 m2) en 2022, un projet développé par Hines et cédé à Amundi/Primonial et AG Real Estate ou encore « Altiplano », restructuration d’un immeuble de 45100 m2 propriété d’AXA Reim dont l’achèvement est annoncé en 2023. La commercialisation à la division de ces ensembles de très grand gabarit est envisagée ; elle devrait permettre de s’adresser à une demande plus large en terme de dimensionnement du besoin immobilier sans dégrader les valeurs locatives visées, entre 470 et 570 euros (HT, HC)/m2. Un point d’attention quant au volume d’offres de seconde main doit être mentionné ; ces immeubles existants – un peu plus de 202 000 m2 – représentent une offre concurrente directe aux projets neufs ou aux restructurations.

… et dans le Croissant Ouest

La pression va également être forte sur le Croissant Ouest où près de 384 000 m2 de bureaux vont être livrés en 2021, un record historique. Fort heureusement, plus de la moitié de ces surfaces ont d’ores et déjà trouvé leur futur occupant et il ne reste plus que 185 000 m2 de surfaces à commercialiser, dont 47 000 m2 dans le secteur de Neuilly-Levallois et 113 000 m2 en périphérie de La Défense, le solde assez réduit se répartissant sur la Boucle Sud (35 000 m2 au total, dont 20 000 m2 dans l’opération « Fresk » que livrera Icade à Issy-les-Moulineaux en 2021) et le Nord (15 000 m2). Pour l’heure, la demande des utilisateurs dans ce secteur est faible, une seule transaction de grand gabarit ayant été observée depuis le début de l’année 2020. Ces pôles tertiaires ne manquent pourtant pas d’atouts : une localisation en toute proximité de Paris et un urbanisme abouti pour Neuilly-sur-Seine et Levallois- Perret, et des valeurs locatives hyper compétitives [entre 320 et 420 euros (HT, HC)/m2] pour la Péri-Défense. Cet argument pourrait être décisif pour des entreprises cherchant des surfaces généreuses, mais dans une enveloppe budgétaire contrainte. Quelques opérations de très grands gabarits sont en cours de construction à Nanterre, à l’instar de « Point Carré » (55 200 m2) développé par Foncière Arizona ou « Arboretum », un campus nouvelle génération de 124 000 m2 développé par Woodeum et BNP Paribas Reim et attendu début 2023.

Un vrai challenge en Première Couronne

Achevons ce tour de l’Ile-de-France avec la Première Couronne où les chantiers d’immeubles de bureaux représentent un volume total de 455 000 m2, dont à peine 20 % ont fait l’objet d’une pré-commercialisation. C’est dire le challenge que devra relever ce secteur où l’offre disponible en développement dépasse la barre des 400 000 m2… L’année 2021 va donc être décisive pour la commercialisation des treize opérations en cours de construction et, surtout, pour celles livrables à Saint-Ouen (quatre pour un total de 113 000 m2), épicentre du renouvellement de l’offre neuve de la Première Couronne Nord (176 000 m2 au total). Les volumétries attendues sur le Sud (72 000 m2, dont 56 000 m2 pour le projet « Symbiose » livrable en 2021 par HRO à Bagneux) et l’Est (18 100 m2) paraissent plus en phase avec une demande en cours de recomposition. Attractivité des loyers [de 280 à 420 euros (HT, HC)/m2], mixité des opérations et connexion avec le réseau du Grand Paris Express (lignes 14 et 15 au Sud, et 16 et 17 pour le Nord) sont autant d’arguments qui pourraient trouver écho auprès des entreprises à la recherche de leurs futurs locaux. Le rythme des livraisons va rester soutenu en Première Couronne comme en attestent les 135 000 m2 de bureaux à commercialiser dans des opérations actuellement en chantier livrables en 2022 (99 000 m2, dont 56 000 m2 dans « V2&V3 » d’Allianz Real Estate et la CDC, à Saint-Ouen ou encore 10 000 m2 dans « The Place », un projet porté par GCI à Montrouge) et 2023.

Une relance du marché qui sera bienvenue…

La relance du marché des grandes surfaces de bureaux attendue mi-2021 – date sous réserve de la résolution de la crise sanitaire – est donc bienvenue compte-tenu des volumes d’offres en chantier à traiter pour l’année qui s’annonce. La tâche des promoteurs et investisseurs est rendue complexe par la redéfinition même des besoins immobiliers des entreprises ; la recherche d’un immobilier qualitatif, véritable incarnation des valeurs et de la culture des entreprises et d’une localisation qui permette une ultra mobilité des collaborateurs entre leurs différents lieux de travail devraient, logiquement, favoriser les meilleurs immeubles bénéficiant d’une bonne desserte en transports en commun. Au-delà des opérations en cours de construction qui forment l’actualité chaude du moment, n’oublions pas les projets dotés d’une autorisation de construire. On en compte aujourd’hui un peu plus de 1,4 million de mètres carrés en Ile-de-France et près de 3,3 millions de mètres carrés au stade d’avant-projet. Si la répartition de cette offre future posait déjà question compte-tenu de sa forte concentration en Première et Deuxième Couronne, c’est aujourd’hui l’ensemble de ces projets qu’il convient de réinterroger. Les lancements « en blanc » devraient se limiter aux micromarchés présentant un taux de vacance mesuré. À suivre donc…

Les mètres carrés du futur : deux années de forte production