Dans ce contexte, parmi les premiers concernés figurent, bien entendu, les conseils à qui s’adressent ces demandes. Ils sont donc également les mieux placés pour, non seulement analyser le marché, mais aussi les nouvelles caractéristiques des bureaux souhaités par les grandes entreprises. C’est pourquoi la rédaction d’« Immoweek » a choisi, pour ce segment des grandes surfaces, d’interroger quatre des principaux conseils de la place sur la conjoncture dans ce créneau spécifique, mais aussi sur les évolutions de la demande d’après-Covid…

Pour ce qui concerne la conjoncture, le marché locatif des grandes surfaces de bureaux semble se présenter cette année sous de meilleurs auspices qu’en 2020 lorsqu’il avait été touché de plein fouet par la crise sanitaire.

Un marché encore convalescent

« Nous assistons à un rebond des transactions locatives de plus de 5 000 m2 par rapport à 2020 avec 33 transactions réalisées au 30 août dernier pour un volume de 333 000 m2, en hausse de 33 % » fait valoir Eric Beray. Même si le directeur associé du pôle bureaux grandes opérations Ile-de-France de BNP Paribas Real Estate Transaction France fait aussi remarquer que « cette performance demeure nettement inférieure à la moyenne décennale en grandes surfaces (-37 %), signe que le marché 2021 reste encore convalescent ». Et de préciser « quelques grandes tendances fortes : l’attractivité renforcée des quartiers d’affaires traditionnels et notamment le « Croissant Ouest », avec La Défense et Paris QCA ; un gabarit moyen autour de 10 000 m2 (à comparer à 14 800 m2 en 2019), pénalisé par l’absence de « jumbo deals » de plus de 30 000 m2 et l’accélération des organisations en « flex office » qui découlent du télétravail (deux jours par semaine, en moyenne) ; l’industrie en tête, suivie de près par les TIC (technologies de l’information et de la communication, ndlr), pour ce qui est des secteurs d’activité et seuls les immeubles offrant des performances environnementales et RSE fortes trouveront preneurs, au regard notamment des dispositions du Décret tertiaire imposées aux grandes entreprises ». Effectivement, pour Ludovic Delaisse, « le marché des surfaces supérieures à 5 000 m2 tourne la page d’une année 2020 catastrophique ». Le directeur général de Cushman & Wakefield France, « head of agency » en veut « pour preuve les 23 transactions signées à mi-parcours de 2021, soit autant qu’en 2020 dans son intégralité. Les volumes transactés (222 700 m2) sont en très légère hausse (+3% en un an) et affichent une géographie favorable au « Croissant Ouest » et à la Deuxième Couronne. Les signatures se sont enchaînées à La Défense (quatre à ce jour) sur des surfaces comprises entre 7 000 et 26 000 m2 ». Le conseil précise que « neuf signatures sur des surfaces de bureaux supérieures à 5 000 m2 ont été enregistrées au cours du deuxième trimestre 2021, portant ainsi à 23 le nombre de transactions relevées depuis le début de l’année ; c’est autant qu’en 2020 dans son intégralité ! La nouveauté du trimestre tient à la croissance de la taille moyenne des bureaux transactés : 8 600 m2, en moyenne, au premier trimestre et 11 300 m2 au deuxième. Ce segment de marché, fortement éprouvé en 2020, reprend donc des couleurs dans une dynamique qui devrait se poursuivre au second semestre à mesure que les entreprises réinvestissent les sujets d’organisation immobilière. La très grande majorité des transactions supérieures à 5 000 m2 à date s’est concentrée sur le « Croissant Ouest » (61 400 m2 traités en huit signatures, dont trois en Boucle Nord), à La Défense (58 500 m2 avec quatre signatures, dont trois au deuxième trimestre) et en Deuxième Couronne (54 900 m2 répartis sur cinq transactions). Paris, qui avait animé le marché en 2020, reste, pour l’instant, en retrait de cette dynamique dans une configuration de marché portée par de nombreuses transactions sur des surfaces de 1 000 à 5 000 m2 ».

Marie-Laure Leclercq de Sousa souligne, également, qu’à la fin du premier semestre, « près de 247 000 m2 avaient été commercialisés dans le segment des grandes surfaces via 24 transactions, par rapport à 12 transactions de ce type au premier semestre 2020 ». Et la directrice France du département « leasing markets advisory » de JLL de préciser que « le mois de juillet dernier a été particulièrement actif pour les grands utilisateurs avec huit nouvelles transactions finalisées. Ainsi, à fin août, plus de 326 000 m2 avaient été placés dans le segment des surfaces de plus de 5 000 m2, une performance en hausse de 33 % en un an ». Avec des transactions qui «ont porté pour majorité sur des immeubles de l’Ouest francilien ».

De même, Grégoire de La Ferté affirme que « la dynamique est bonne avec un nombre de transactions qui a doublé par rapport à 2020 ». Néanmoins, le directeur général adjoint de CBRE France, en charge des activités « advisory occupiers » et Agence bureaux Ile-de-France souligne, lui aussi, que « le point commun de ces transactions reste la réduction de surface cible intégrant plus de « flex » et un recentrage sur les sites tertiaires mieux desservis. Les immeubles neufs ou restructurés sont privilégiés, répondant mieux aux problématique d’aménagement post-Covid ». Bref, « moins de mètres carrés, mais des mètres carrés de qualité », même s’il « est, cependant, compliqué de généraliser un modèle unique car chaque entreprise est différente et se place dans une démarche de « test and learn » qui lui permettra, à terme, de développer une organisation qui lui sera propre ».

L’ensemble mixte de La Poste du Louvre (Paris 2ème) ©Dominique Perrault

Perspectives positives

Quant à l’évolution de ce créneau de marché, pour le directeur général de Cushman & Wakefield, « la seconde partie de l’année 2021 s’appuie sur de très bonnes bases et va être dynamique. Les entreprises orchestrent le retour de leurs collaborateurs au bureau et envisagent plus sereinement leur future organisation immobilière ». En soulignant que « les discussions avec les partenaires sociaux sont très avancées, la visibilité sur le télétravail et son impact est meilleure, les réflexions d’organisation sont mûres : en bref, la poursuite de la dynamique va être présente avec des utilisateurs qui ont nourri leur réflexion et qui doivent maintenant actés des décisions »…

« Les demandes exprimées chez CBRE reste à un niveau équivalent à celui de 2019 (2020 n’étant pas une période de référence pour le premier semestre), voire meilleur dans certains secteurs géographiques » affirme le directeur général adjoint de CBRE, pour qui « ce signe positif de redémarrage du marché est particulièrement prégnant dans Paris intra-muros où la demande est proportionnellement plus élevée que dans d’autres territoires. Nous observons, également, un effet d’opportunité sur des secteurs centraux qui s’inscrit pleinement dans la stratégie des entreprises d’attraction et de rétention des talents, plus séduisants pour les collaborateurs. Cette tendance est également perçue dans les grands projets au travers des nombreux appels d’offres auxquels nous sommes amenés à répondre depuis le début de l’année. Tous les secteurs d’activité sont concernés par ces sollicitations d’utilisateurs et s’expriment sur tous les territoires d’Ile- de-France. La demande exprimée sur le Nord-Est francilien est en évolution, mais le retard reste difficile à rattraper. L’expression est plus forte et des projets d’envergure se profilent. La qualité des projets développés sur ce territoire et leur approche environnementale très poussée savent susciter l’intérêt des utilisateurs. L’équation qualité/ accessibilité/labellisation/coût économique est particulièrement favorable. Cependant, la demande reste compliquée dans le Nord de l’Ile-de-France, notamment sur les demandes publiques et parapubliques qui seront freinées par l’approche des élections présidentielles ». Au final, selon Grégoire de La Ferté, « il est probable que les chiffres ne reflèteront pas le dynamisme de ce marché d’ici la fin de l’année. Les réflexions ne sont pas encore abouties et les délais de mise en œuvre restent longs. Une partie des négociations en cours se concrétisera en 2022.

Nous avons un sentiment positif, corroboré par les perspectives de croissance économique annoncées par l’Insee à 6,25 % qui portent le marché de l’emploi. Nous maintenons, donc, notre prévision d’un volume de transactions global de 1,4 à 1,6 million de mètres carrés en 2021. En décorrélation de la crise actuelle et sur une échelle de temps plus longue, nous estimons l’impact du télétravail sur les besoins en mètres carrés de bureaux d’une réduction de l’ordre de 15 à 20 % qui devrait s’étaler sur une période de 5 à 8 ans sur l’ensemble de la France »… Chez BNP Paribas Real Estate, en revanche, « nous attendons un quatrième trimestre très dynamique avec la signature d’ici la fin de l’année d’environ 25 opérations supérieures à 5 000 m2 supplémentaires, pour un volume de plus de 330 000 m2 » précise Eric Beray, qui poursuit : « au final, nos perspectives d’atterrissage en 2021 du marché des grandes surfaces se rapprocheront de la moyenne décennale en nombre (65 « deals » par an), mais il restera encore très éloigné du « take up » moyen (875 000 m2) ». De même pour JLL, « l’activité des grandes surfaces sera plus importante que celle observée l’an passé et nous estimons qu’une vingtaine de projets supplémentaires pourraient être finalisés d’ici la fin de l’année 2021 » fait valoir Marie-Laure Leclercq de Sousa, pour qui « après un premier semestre animé essentiellement par des entreprises du conseil, de la«tech», de la finance, du « lifescience » et de l’éducation, nous assistons au retour d’entreprises de secteurs plus traditionnels »…

« Kanal », à Pantin (93) ©Tailora

Des valeurs locatives, fonction des tensions à l’offre

Rien d’étonnant à ce que dans un marché « encore convalescent », l’analyse des valeurs locatives requièrent quelque prudence. « Nous n’observons pas de baisse significative des valeurs locatives en dehors de certains territoires pour lesquels l’offre avait augmenté en 2020 et qui ne voient pas leur stock se consommer » observe Grégoire de La Ferté, pour qui, néanmoins, « il pourrait se créer un effet d’opportunisme des utilisateurs où, même si la valeur faciale reste inchangée, les avantages commerciaux permettront d’atteindre une péréquation financière favorable à l’utilisateur, d’autant que la plupart ont besoin de moins de mètres carrés. Les propriétaires, cherchant à sécuriser leurs actifs, sont enclins à concéder des avantages pour que les utilisateurs se positionnent sur des baux longs »… Pour Marie-Laure Leclercq de Sousa, « les valeurs locatives devraient se stabiliser d’ici la fin de l’année ». Cependant, « le marché devrait se segmenter, entre les immeubles bénéficiant d’une meilleure résilience, en particulier dans Paris et dans les secteurs périphériques moins offreurs comme le Sud et le Sud-Ouest, et les autres marchés, où les disponibilités immédiates atteignent des niveaux importants ».

Ce qui fait dire à Eric Beray : « nous observons un marché à plusieurs vitesses, selon les tensions à l’offre dans chacun des secteurs ». Ainsi, « dans Paris QCA, les loyers moyens résistent globalement, alors que les loyers « prime » atteignent un plus haut historique, dépassant les 900 euros (HT, HC) du mètre carré pour certaines opérations exceptionnelles et les mieux situées. Les grandes entreprises font, finalement, le choix de rester dans Paris QCA, avec des loyers qui demeurent élevés, en contrepartie d’une réduction de surface prise à bail. Dans Paris hors QCA, les performances locatives obtenues en 2018/2019 peinent à être rééditées. Enfin, dans les secteurs les plus offreurs en périphérie parisienne comme La Défense, la Péri-Défense et la 1ère Couronne Nord, les loyers sont clairement orientés à la baisse, avec des mesures d’accompagnement dépassant le plus souvent les 30 % »… Pour Ludovic Delaisse, « sans nul doute, le souci de centralité des utilisateurs fortement motivés par la volonté de voir le retour de leurs collaborateurs va entraîner une attractivité très forte des quartiers d’affaires traditionnels et, plus particulièrement, de Paris QCA. L’absence d’une montée forte du taux de vacance dans ces secteurs va mettre en pression les valeurs et nous allons observer une croissance du loyer « prime » qui dépasse déjà aujourd’hui 930 euros (HT, HC) du mètre carré. A l’inverse, dans certains secteurs de première couronne moins attirants pour les entreprises, nous allons voir un stock qui risque d’augmenter avec une faible demande entraînant la chute des valeurs »…

« Mondo », 145-153, rue de Courcelles (Paris 17ème)

Donner envie aux salariés de revenir régulièrement au bureau…

Il est clair que « le premier confinement, en mars 2020, a été marqué par l’arrêt brutal du marché et des prises de décision, face à l’absence totale de visibilité des entreprises sur le devenir de leur activité » dixit Loïc Cuvelier. En revanche, selon le directeur du département bureaux grandes opérations Ile-de-France de BNP Paribas Real Estate Transaction France, « à partir du deuxième confinement à l’automne 2020, la crise sanitaire a été nettement moins destructrice de projets, qui ont continué à être instruits et finalisés, aidés en cela par les investisseurs qui ont su répondre au besoin de flexibilité juridique des utilisateurs, notamment en terme de durée d’engagement. Les réflexions organisationnelles comme le « flex office », la mise en place du télétravail déjà amorcés avant le Covid se sont accélérés à marche forcée au cours de cette période. Le bureau a été clairement challengé, mais plus que jamais les contacts entre collaborateurs ont manqué »… Effectivement, pour Ludovic Delaisse, cette période de confinement « a aussi permis aux occupants de repenser l’utilisation du bureau. Alors que le télétravail est devenu un principe accepté au sein de la semaine de travail, les entreprises ont également commencé à modifier leur organisation pour accentuer les avantages du temps de présence du personnel. Le bureau de demain sera un environnement de travail que le personnel ne pourra pas reproduire chez lui via les outils technologiques, un environnement qui favorise l’innovation et la satisfaction du personnel »… Bref, dans un tel contexte, logiquement la demande évolue. Et si Ludovic Delaisse estime qu’« il est encore trop tôt pour voir les nouvelles méthodes de travail au bureau », qui « seront surement plus visibles au cours de l’année prochaine », le conseil cite « quelques premiers effets : « downsizing » (-20 %), recherche de flexibilité (du bail), de centralité, de services aux entreprises, de prise à bail du juste nécessaire, de mobilités douces et intérêt pour les questions environnementales ». Loïc Cuvelier souligne, ainsi, que « d’un point de vue géographique, nous assistons à un recentrage des utilisateurs pour les quartiers d’affaires traditionnels faciles d’accès en transports en commun depuis tout point d’Ile-de-France. Il faut donner envie aux salariés de revenir régulièrement au bureau ! En terme d’organisation, le maître-mot reste la flexibilité dans les espaces de bureaux pour favoriser la mise en place du « flex office », mais aussi des attentes techniques par rapport au renouvellement d’air pur pour maximiser les espaces collaboratifs. Enfin, concernant les programmes immobiliers, la mixité reste un élément différenciant pour attirer des utilisateurs soucieux de trouver un niveau de services plus étoffé»… Et parmi les nouveaux services demandés figurent, notamment, ceux « liés à la mobilité douce, au bien-être et à la qualité de la restauration »… Sans oublier, bien entendu, les enjeux RSE : « les immeubles doivent répondre aux attentes en terme de labels environnementaux, mais ils doivent aussi intégrer une dimension sociale en amont et/ou en aval de la vie de l’immeuble. A l’exemple de l’opération « Grand Opéra » avec le logement temporaire de femmes en difficulté ou de « Stream Building » avec un local prévu pour former les chômeurs en difficulté »…

Quand le bureau devient un « espace de vie à part entière »... (1/2)