Vous avez pris la présidence de QUARTUS peu de temps avant le début du confinement. Quels furent donc vos débuts dans ces circonstances un peu particulières ?

J’ai, en effet, été nommé le 3 mars dernier président de QUARTUS, soit à peine deux semaines avant l’annonce du confinement. Ce fut en conséquence singulier, mais ce moment que nous avons dû vivre a eu un effet accélérateur qui m’a permis d’intégrer rapidement les données de l’entreprise, son organisation… Ma chance est que QUARTUS était déjà une entreprise très « digitalisée » et ceci a facilité, dès le début du confinement, le travail des collaborateurs dont la sécurité et la santé étaient et sont toujours nos priorités. Ces priorités ont, d’ailleurs, conduit notre politique tout au long de la période de confinement, tout comme elles ont conduit celle de l’ensemble des acteurs qui se sont attachés à prendre soin de leurs salariés, prestataires ou sous-traitants qui travaillent sur les chantiers. Au sein de QUARTUS, chacun s’est montré pleinement investi, quelle que soit sa fonction dans l’entreprise. Nous avons, par ailleurs, veillé à ménager notre trésorerie. Dans les faits, la période m’a permis de tisser un lieu fort, peut-être plus fort qu’il ne l’aurait été sans cela, avec les équipes.

Qu’en a-t-il été du retour sur les chantiers ?

Le retour sur les chantiers se passe bien, dans une unité d’action de l’ensemble des acteurs. Il était, en effet, important que chacun participe au portage du risque pour essayer de reconstruire, ensemble, plutôt que de jouer les uns contre les autres. Ceci a particulièrement bien fonctionné tout au long de la période qui vient de s’écouler. Mais il faut continuer d’être attentifs car nous sommes dans une zone de fragilité, et sans solidarité il ne sera pas possible de franchir ces moments difficiles qui risquent de durer.

Quelle feuille de route allez-vous dessiner pour QUARTUS ?

S’agissant des grandes orientations et en accord avec les actionnaires, nous allons poursuivre le développement de l’entreprise et accroître sa rentabilité, avec comme ambition la fabrication de la ville. Notre projet d’entreprise est construit autour de cette action de responsabilité dans laquelle nous voulons nous engager face aux grands défis de la société, en particulier ceux du climat et de la cohésion sociale. A ce grand leitmotiv, j’ajoute l’esthétique urbaine qui, pour moi, est un sujet important. Stendhal ne dit-il d’ailleurs pas que « la beauté est une promesse de bonheur » ?

Comment se déclinent ces orientations ?

Par un travail, à la fois sur le « hard » ou la structure de nos bâtiments, en faisant appel, pour nos constructions, à des matériaux ou des matières comme le bois, la pierre ou la terre crue. Je viens d’ailleurs de donner le feu vert pour la construction, à Sevran, d’une usine de production de produits en terre crue pour le bâtiment. Nous travaillons également sur le « soft », qui inclut tout ce qui concerne les usages, la mutualisation de l’énergie à l’échelle des copropriétés, la nature en ville et les jardins, l’activation des socles et l’animation à l’échelle du piéton. Tous ces sujets seront déclinés en actions concrètes, dans le cadre d’une co-construction en cours avec les équipes. La volonté est de s’appuyer sur l’existant, le code génétique de l’entreprise.

Cette crise a des effets assez immédiats sur le secteur immobilier, comment analysez-vous cela ?

Le temps perdu (des mois de développement, des permis de construire non déposés et non délivrés, des terrains non maîtrisés) est réel, ce qui signifie que durablement, au moins pendant deux ans, le marché sera tendu, très sous offreur, en particulier s’agissant du logement.

Quels impacts directs ?

La crise a fait prendre conscience à chacun qu’il était important de prêter davantage d’attention et de soin à soi, aux autres, à notre environnement et plus largement à la planète. Les modes de travail vont certainement évoluer, avec une place conséquente à l’avenir du télétravail dans les pratiques managériales. Au sein de l’entreprise, la distanciation physique va, par ailleurs, imposer de nouveaux modes de gestion des espaces. Cette crise a entraîné des remises en question et démontré que les entreprises qui avaient anticipé le passage au digital étaient les mieux équipées pour faire face de manière efficace. Dans le logement, il n’a échappé à personne que ceux qui ont la chance de posséder un extérieur, balcon, terrasse ou jardin, ont mieux vécu le confinement que ceux qui n’en avaient pas. Les volumes, les espaces ont de la valeur. Le sujet de la logistique urbaine est, lui aussi, crucial et la démonstration a été faite que nos métropoles n’étaient pas complètement équipées en la matière. QUARTUS, qui dispose d’un savoir-faire sur ce sujet de la logistique urbaine, compte jouer ici un rôle encore plus important.

Quelle conséquence sur l’évolution des différents marchés ?

Je suis très confiant concernant le marché du logement : l’Etat est investi, les besoins sont immenses, les taux d’intérêt restent bas et les stocks sont faibles. Les fondamentaux sont présents et la Bourse, chahutée, conduit les ménages à investir plutôt dans la pierre. Je ne suis donc pas très inquiet, même si l’impact de la situation sociale aura des conséquences, en particulier sur le marché de la primo accession.

Concernant l’immobilier de bureau, la donne est différente : le tissu des entreprises est profondément touché, même s’il est difficile, à ce jour, d’en prendre la pleine mesure. Toute projection serait hasardeuse, mais il semble évident que l’évolution des modes de travail pourra influencer notamment l’agencement des bureaux : comment respecter la distanciation physique sur des plateaux paysagers denses ? Cette crise sans précédent pose également la question du flex office. Quid du télétravail à l’avenir ? Enfin, se posera la question des loyers en Ile-de-France et dans le QCA : comment vont-ils évoluer ? Et comment vont se comporter les grands investisseurs ? Là aussi, il est trop tôt pour le dire.

Et la logistique ?

Le marché de la logistique est aussi amené à évoluer. La logistique urbaine jouera certainement un rôle accru dans la fabrication de la ville. Ce segment de marché séduit fortement aujourd’hui les investisseurs.

Dans ce contexte incertain, peut-on être autre chose que pessimiste ?

Oui, car si l’incertitude demeure, cela ne nous empêche pas d’avancer et de continuer à signer de belles transactions ! Dernière preuve en date, l’acquisition en Vefa, par Ivanhoé Cambridge, de notre opération « Joya » de 50 000 m2 développée avec notre partenaire Europequipement à Fontenay-sous-Bois (94). Cette signature de l’un des plus grands deals de cette année en début de période de confinement témoigne de la confiance des acteurs institutionnels dans le savoir-faire de nos équipes. Nous avons procédé à la signature attendue puis confirmée, pendant le confinement, de manière digitale.

Quels autres changements est-il possible d’envisager, par exemple dans la manière de faire la ville ? Ou peut-être la fin des métropoles ?

Une notion s’est invitée pendant cette crise sanitaire : l’urbanisme des temps, ou quand le temps des villes devient l’élément clé de l’urbanisation post Covid. Une autre manière de penser la ville, et en particulier la vie dans la ville, s’impose. Cela concerne, par exemple, la mise en place d’horaires décalés pour les transports, les sujets des mobilités douces, les nouveaux modes d’organisation des bureaux. Quant à la fin des métropoles, je n’y crois pas et la priorité est surtout de rendre les villes vivables, de fabriquer des villes qui prennent soin du vivant. Je pense que les Français (mais pas seulement, c’est sans doute universel) auront, eux aussi, envie de prendre davantage soin d’eux et des autres, c’est un fait à prendre en compte plus que jamais.

Emmanuel Launiau (QUARTUS) : "notre ambition, la fabrication de la ville"