Quelle est l’histoire de ce projet présenté comme le « plus grand campus tertiaire en bois du monde » ?

Philippe Zivkovic : l’histoire commence il y a quatre ans, avec l’acquisition de ce terrain situé à Nanterre (92) et pour lequel un appel d’offres, lancé il y a dix ans, avait été déclaré infructueux. Ce foncier appartenait à la société Smurfit Kappa (entreprise de fabrication d’emballages à base de papier, ndlr). Nous l’avons recontacté et acheté, sans condition suspensive, avec BNP Paribas, ces 17 hectares. Ensuite, nous avons obtenu de la part de la ville et de la préfecture, une modification du plan local d’urbanisme (PLU), la création d’une Zac, un permis de démolir, un permis de construire. Icawood, le fonds discrétionnaire, que nous gérons et dans lequel est associé Ivanhoé Cambridge, a rejoint le projet avec d’autres investisseurs afin de lancer les travaux. En septembre dernier, nous avons ainsi lancé, « en blanc », ce projet, qui développe 125 000 m2 de bureaux et dont la livraison est prévue fin 2022 (pour le « shell and core »). Nous réaliserons ici un campus de bureaux en bois comme jamais il n’en a été réalisé jusqu’alors dans le monde…

Quelles sont les grandes caractéristiques d’« Arboretum » ?

Philippe Zivkovic : il y en a deux principales. D’abord le format, celui d’un immense campus, développé sur 9 hectares ; ensuite, l’enjeu de la santé et du bien-être. Pour imaginer un projet qui réponde à ces deux exigences, nous avons fait appel à des scientifiques et des médecins.

Ceux-ci ont réalisé des études sur trois thèmes qui nous semblaient prioritaires : le stress et la fatigue liés au travail ; la maladie et la pandémie et, enfin, le bien-être. Dans cet univers (cet entretien s’est déroulé dans la « marketing suite » prototype de ce que seront les bureaux, ndlr), nous proposons des locaux d’une très grande clarté, grâce à des bureaux entièrement vitrés sur une hauteur d’au moins 2,50 mètres, des allèges basses, des espaces extérieurs au moins égaux à 10 % de la surface des bureaux, ainsi qu’une hauteur minimale de trois mètres, grâce à la suppression des faux plafonds. Nous avons également été très attentifs à la qualité de l’air, avec un renouvellement et une purification de l’air ambiant toutes les sept minutes.

Le bois est-il le meilleur choix (c’est en tout cas le vôtre) pour répondre à ces questions de santé ?

Philippe Zivkovic : Oui, car le bois possède des vertus que n’ont pas les autres matériaux. Des études ont été réalisées montrant que le pH (potentiel hydrogène, ndlr) du bois étant acide, les microbes sont tués plus facilement que sur d’autres supports. Par ailleurs, des chercheurs américains et japonais ont prouvé que travailler dans des bureaux en bois contribuait au bien-être avec, comme conséquence, un ralentissement des battements cardiaques, par exemple.

Guillaume Poitrinal : le bois est bon pour la santé, mais pas seulement. La démarche de Woodeum et WO2 est rationnelle et elle l’est à plus d’un titre : ce qui est bon pour la santé des utilisateurs est aussi bon pour la planète. Nous sommes, dans tous nos programmes, en avance sur le sujet du bas carbone — rappelons qu’à la fin de l’année aucun immeuble ne pourra passer outre cette exigence. Et, grâce à la norme RE 2020, la France va prendre le leadership mondial en la matière puisqu’aucun autre pays n’obligera les constructeurs à ce calcul de l’empreinte carbone du bâtiment sur son cycle de vie. Aujourd’hui, cette démarche nous porte, comme elle porte cette opération d’« Arboretum », qui est certainement la plus grosse opération « en blanc » depuis « Cœur Défense ».

Quel est le montant de cet investissement ?

Guillaume Poitrinal : le montant de l’investissement s’élève à 650 millions d’euros, avec un tour de table constitué, et c’est à souligner, post Covid. Nous sommes soutenus à la fois par la communauté des investisseurs et par des patrons d’entreprises qui nous disent que s’ils devaient déménager, ce serait pour un bâtiment bas carbone. Le post Covid pour les bureaux, ce sera « moins, mais mieux » ; c’est notre conviction, à Philippe Zivkovic et à moi-même, une conviction partagée par les utilisateurs avec lesquels nous parlons. Et, si le télétravail va perdurer pour certains, de nombreux salariés seront de retour au bureau, parfois à temps plein. Mais ils n’y reviendront que s’ils s’y sentent mieux pour travailler qu’ils ne le sont chez eux. L’entreprise, le lieu de travail, est un espace de rencontres et d’échanges qui restera nécessaire.

Et comment faire pour que les salariés « se sentent bien » sur leur lieu de travail ?

Guillaume Poitrinal : les arguments de bien-être sont essentiels pour inciter au retour au bureau. Ici, un bâtiment entier sera dédié à la formation et aux réunions ; un autre sera consacré au sport, avec un centre de sport de 2 500 m2, ce qui n’a jamais été réalisé auparavant dans un campus de bureaux. Le tout, au cœur d’un parc de 25 hectares, dont 9 sont privatifs pour le campus. Pour le retour des salariés au bureau, et pour faire gagner l’écologie, il faut que celle-ci bénéficie à tous, qu’on ne soit plus dans une démarche punitive.

Cela signe-t-il, selon vous, la fin des tours ?

Philippe Zivkovic : je ne sais pas, mais la certitude est qu’il faut apporter des réponses aux sujets anxiogènes que nous connaissons actuellement. Nous avions lancé la démarche de ce campus avant le Covid et il s’avère qu’elle s’inscrit dans le sens de l’histoire.

Guillaume Poitrinal : les tours vont certainement devoir se réinventer, à l’image de ce que certains architectes proposent aujourd’hui. Il y aura certainement un rééquilibrage, à la demande des utilisateurs qui souhaitent désormais autre chose. Ceux-ci aiment pouvoir ouvrir les fenêtres, accéder à un extérieur et, éventuellement, pouvoir travailler hors les murs du bureau. Dans ce programme « Arboretum », grâce à la démultiplication des escaliers imaginée par les architectes, la facilitation des circulations verticales, nous avons créé un produit anti-Covid puisque l’un des vrais sujets de ce virus est la concentration de la population en espace clos et confiné. Ce qui ne sera pas le cas ici.

Philippe Zivkovic : le risque pandémique est un risque que nous, promoteurs, devons désormais prendre en compte avec les autres risques que sont l’inondation, l’incendie, le terrorisme et l’attaque informatique.

Lancer « Arboretum » avant la crise et découvrir que l’ensemble répond plutôt bien aux exigences imposées par le virus, peut-on parler de bonne intuition ?

Guillaume Poitrinal : l’intuition est davantage celle qu’il faut désormais créer des produits, non plus pour les entreprises, mais pour les salariés. C’est l’utilisateur ultime, celui qui va vivre dans ces lieux au quotidien, dont la voix compte.

Et quel sera le loyer pour « Arboretum » ?

Philippe Zivkovic : le montant est fixé à 370 euros (HT, HC)/m2.

Guillaume Poitrinal : ce loyer n’est clairement pas différenciant par rapport à d’autres immeubles de bureau, mais il y a, dans cette innovation que constitue ce campus, la même révolution que le moteur électrique pour la révolution automobile ou que les énergies renouvelables pour les énergéticiens traditionnels. Nous sommes sur d’autres technologies, avec une multitude d’innovations et, pourtant, nous louons au même prix que pour un immeuble traditionnel.

Avez-vous d’autres opérations de bureaux de grande envergure en projet ?

Philippe Zivkovic : oui, nous allons, par exemple, lancer un programme de bureaux dans le 18ème, rue Poissonnier : nous avons gardé un socle de béton et développons une opération de 30 000m2 en structure bois, avec terrasses, balcons et 20 % de surfaces extérieures, ainsi que des patios. On y trouvera du coworking, une brasserie, une salle de fitness, des lieux ouverts aux riverains pour éviter de créer des « forts » et faire que l’opération de bureaux soit un élément constitutif de la ville. On y trouvera aussi une résidence étudiante de 3 500 m2.

Quel regard portez-vous sur le marché de l’immobilier tertiaire ?

Philippe Zivkovic : on assiste à un ralentissement des mises en location, avec 1,3 million de mètres carrés commercialisés attendus cette année. Les stocks sont relativement faibles (2 % à Paris et 6 % pour le reste de l’Ile- de-France) et le nombre de lancements de programmes va se réduire. Dans le même temps, le produit bureau doit évoluer : 80 % du parc est ancien, dont une part est obsolète. Le marché de l’investissement, lui, reste actif, avec de fortes liquidités et les marchés financiers restent plutôt favorables.

Guillaume Poitrinal : aujourd’hui, la demande peut être affectée, mais elle existe toujours et je suis persuadé que cette demande, à l’avenir, va être extrêmement exigeante. Pour un grand groupe du Cac 40, changer simplement de lieu pour louer plus grand ou plus petit n’a pas de sens. Le moment est charnière et on observe que la question du réchauffement climatique est un vrai sujet pour toutes les entreprises. Toutes, sans exception, disposent d’une stratégie bas carbone. Ce qui était parfois de la cosmétique chez certains, est devenu une réalité, exigée par les clients, les salariés et les financiers. C’est pourquoi je suis convaincu qu’il y aura peu de vacance pour les vrais immeubles bas carbone, avec une demande supérieure à l’offre.

C’est un plaidoyer pour le bois et vos programmes…

Guillaume Poitrinal : nous sommes peu nombreux à maîtriser la construction bas carbone et constituons, avec les quelque cent personnes qui composent le groupe, l’équipe la plus expérimentée en la matière. L’ingénierie dont nous disposons est exceptionnelle et nous a permis, elle aussi, de prendre de l’avance dans le secteur. Les architectes et les entreprises que nous avons convertis à notre technologie confortent encore cette avance.

Le bois, justement, qui permet vos programmes, n’est pas majoritairement du bois français. Pourquoi et cela va-t-il changer ?

Guillaume Poitrinal : nous possédons aujourd’hui des exploitations forestières et travaillons les forêts, mais il manque en France un outil industriel pour répondre aux gros volumes de bois CLT dont nous avons besoin, pour le bureau ou le logement. L’an prochain, ce volume devrait, pour Woodeum et WO2, dépasser 35 000 m3. Or, l’usine Piveteau, la principale en France, espère produire 25 000 m3 en 2021. C’est très en dessous de nos seuls besoins. C’est pourquoi nous nous fournissons aussi auprès de Stora Enso, groupe suédo-finlandais qui possède des usines de CLT en Autriche, en Suède et en République Tchèque.

Comment faire autrement ?

Philippe Zivkovic : nous appelons de nos vœux un investissement industriel important en faveur de ce CLT qui est une vraie innovation technique et permet de construire la ville. La France est riche en forêts, riche en promoteurs engagés dans cette démarche bas carbone. Il nous faut donc cet outil industriel.

Guillaume Poitrinal : un plan de relance a été annoncé, c’est donc le bon moment de mettre de l’argent public sur la table pour aider des scieurs et charpentiers à s’équiper d’outils technologiques, d’outils sophistiqués. Le problème de la filière bois est qu’elle dépend de plusieurs ministères, ce qui ne simplifie rien. Il faudrait un ministre de la forêt et du bois, comme il en existe un pour la mer. Le potentiel de développement est énorme et l’importance du bois, stockeur de carbone, est essentielle pour notre empreinte écologique. Nous fabriquons des puits de carbone en utilisant du bois qui a capturé du CO2. Ce bois remplace des matériaux très émetteurs de CO2. Nos immeubles deviennent, ainsi, de véritables puits de carbone pour des centaines d’années.

Guillaume Poitrinal et Philippe Zivkovic (Woodeum) : "avec "Arboretum", nous inventons l'immeuble anti-Covid !"