Après plus d’un an de crise sanitaire, quels sont aujourd’hui les grands enjeux pour les experts immobiliers ?

Eric Delépine : la crise a bouleversé les acquis, mais également accéléré les transformations sur toute la chaîne immobilière ; modes de travail, analyse des tendances marché, développement foncier, critères environnementaux… L’immobilier est devenu le sujet numéro un au sein des entreprises et de nos clients. Nous avons fait le choix, en 2006, d’imposer un ADN à notre offre immobilière, basée sur les principes d’indépendance et de sur-mesure. Aujourd’hui, 15 ans plus tard et à travers cette crise, ces principes ne font que conforter notre modèle et s’imposent comme gage de valeur en cette période de doutes.

Nous pensons chez CEI que cette crise a confirmé la nécessité de s’accompagner d’un bon expert et qu’il est primordial de revaloriser notre métier d’expert immobilier : formation, certification et expériences des experts, indépendance et absence de conflit d’intérêt, défense des seuls intérêts du client qui sollicite une expertise sont des exigences essentielles et non négociables, qu’il faut renforcer et défendre. C’est ce que nous faisons chez CEI depuis 2006.

Pour notre métier, les enjeux sont multiples et de taille. Comment arbitrer les valeurs et identifier les éléments clés d’un dossier dans un marché incertain dont les comparables sont aujourd’hui le reflet du passé ? Comment prendre en compte les fluctuations des différents marchés, par typologies, par secteurs… avec des effets très variables dus à la crise ? Pour prendre des extrêmes, nous pouvons citer les actifs de logistique et d’hôtellerie, qui la vivent de manière opposée.

Comment peuvent-ils y faire face ?

Jacques Patron : plus que jamais, l’expert immobilier doit être ni soupçonné ni soupçonnable. L’accompagnement de nos clients débute dès la première prise de contact. La définition de la mission est primordiale pour y réaliser ce qui pour nous est essentiel, un travail sur-mesure et indépendant. Nous pensons qu’il est important d’avoir une réflexion multicritère, fondée sur la notion de valeur pensée sur le long terme et non de prix à l’instant donné. Raisonner en terme de valeur et non de prix. Cette crise appelle à une revue et une déontologie rigoureuse du travail de l’expert.

Dans un constat d’une judiciarisation de la vie économique, notre maîtrise des mécanismes et processus de contentieux judiciaires et fiscaux nous permet d’être régulièrement sollicités, soit par les tribunaux en direct soit par des particuliers et entreprises.

Le développement du télétravail vous amène-t-il à modifier votre regard et vos évaluations en matière de bureaux ?

Eric Delépine : l’impact du télétravail est l’exemple même de cette réflexion de long terme. On a tout entendu et lu concernant le futur des bureaux, là aussi avec des avis parfois extrêmes. Oui, le télétravail va prendre de l’ampleur, se légitimer, mais probablement pas autant que certains l’imaginaient. Il y aura une utilisation des bureaux différente, davantage d’espaces collaboratifs, de lieu de vie… cela va induire une baisse de la demande de bureaux, couplée à une exigence de réduction de la densification des espaces…

Comme toujours en période de crise, les bons secteurs et les bons immeubles seront toujours demandés. Même s’il y aura des libérations de bureaux par certaines entreprises qui voudront réduire leurs surfaces, ces surfaces devraient être relouées sans trop de problèmes.

En revanche, les localisations sans demande et les immeubles anciens risquent de pâtir de cette crise.

Attention, toutefois, à la fin d’année lorsque les aides de l’Etat vont s’arrêter. Les risques de défaillance sont élevés et, donc, des surfaces tertiaires pourraient se libérer…

De même, les difficultés rencontrées par le commerce au cours de cette crise ont-elles modifié votre analyse du secteur ?

Jacques Patron : encore davantage que pour le bureau, la qualité des localisations est essentielle. Mais cela ne suffit pas. Même dans les meilleures rues, des boutiques sont vides et le droit au bail a quasiment disparu (rue François 1^er, par exemple). Les défaillances risquent de se multiplier. Là aussi, l’expérience consommateur change et le commerce se réinvente. En tant qu’expert nous devons en tenir compte.

Globalement, quel(s) impact(s) sur les valeurs ?

Eric Delépine : de la prudence, de l’analyse approfondie, notamment sur l’appréciation des taux et des primes de risque. Les valeurs que l’on observe soit se stabilisent soit fléchissent légèrement, mais cela s’analyse au cas par cas et par secteur… Chez CEI, l’expertise immobilière est pensée comme de la dentelle, les statistiques ce n’est pas notre métier !

CEI travaille régulièrement avec la puissance publique. Quelles nouvelles initiatives ?

Jacques Patron : les établissements publics nous sollicitent pour notre culture immobilière large et une expérience terrain poussée, conforme aux principes de la RICS. Notre cabinet est d’ailleurs regulated by RICS depuis 2011 et la majorité de nos experts disposent de certifications à titre individuel (RICS, Tegova).

L’Etat s’est engagé dans une amélioration de la gestion de son patrimoine et de ses prises à bail. CEI a développé ses activités de conseils depuis près de deux ans et participe notamment, à travers le marché OptiBaux 2, à la renégociation des baux de l’Etat. A titre d’exemples, nous avons accompagné le ministère de la Culture dans ce qui peut s’apparenter à un schéma directeur immobilier de plusieurs réserves muséales et l’AMF dans la renégociation des baux de son siège parisien. La période apparaît favorable à ces réflexions de stratégie immobilière pour un certain nombre d’établissements.

A travers la Caisse des Dépôts et Consignations et la Banque des Territoires, des investissements vont être mis en œuvre pour accompagner les collectivités (Action Cœur de Ville) et redynamiser des communes (en déclin), qui pourraient retrouver un second souffle avec l’essor du télétravail.

Nous avons également mis en place une offre dédiée aux communes et collectivités, dénommée IVA, visant à Identifier, Valoriser et Arbitrer les patrimoines immobiliers de ces acteurs publics.

Plus généralement, quel(s) développement(s) pour CEI ?

Eric Delépine : avec Baptiste Franceschi, directeur du développement, CEI poursuit depuis deux ans sa « mue » et son développement, avec une diversification de nos activités et la refonte de notre identité visuelle, site internet… Nous sommes persuadés que le métier d’expert immobilier doit être revalorisé et la notion de conseil est, selon nous, aujourd’hui indissociable du parcours client CEI.

Nous mettons depuis deux ans beaucoup d’énergie dans le développement de notre branche conseil et stratégie immobilière et nous sommes ravis de la confiance de nos clients en la matière. Nous accompagnons des entités publiques et des clients privés dans la négociation des baux, l’accompagnement à la cession ou l’acquisition, les réflexions sur la transformation des immeubles permettant d’en améliorer la valorisation. Nous avons également mis en place de nouveaux outils, dédiés à l’analyse et la valorisation de parc immobilier (audit de parc).

Nous travaillons beaucoup sur des expertises nécessitant des méthodologies complexes comme en hôtellerie ou pour des villages vacances, mais aussi pour la prise en compte de baux à construction avec détermination de redevance. Nous maîtrisons les calculs de différenciation de valeur terrain et construction ou nue-propriété et usufruit (y compris usufruit temporaire)… Les baux commerciaux sont notre quotidien.

Nous sommes très actifs dans notre développement et nous sommes dans un processus de démarches actives, accentuée par l’arrivée d’un nouveau directeur général chez notre actionnaire (Scet) en la personne de Romain Lucazeau. Le plan de vol qui se dessine avec notre actionnaire ouvre de nouvelles perspectives. La Scet, groupe Caisse des Dépôts, est un actionnaire respectueux de l’indépendance de ses filiales et nous permet de maintenir un accompagnement sur-mesure de nos clients dans le respect de l’indépendance de nos travaux.

Jacques Patron et Eric Delépine (CEI) : « raisonner en terme de valeur et non de prix »…