Quelle(s) conséquence(s) la crise sanitaire entraîne-t-elle sur le travail d’expert ?

Avec l’absence ou le très petit nombre de références et l’incertitude importante sur les futures tendances du marché, la crise sanitaire complique singulièrement le travail de l’expert en évaluation immobilière qui doit, encore plus que par le passé, faire preuve d’un grand professionnalisme dans la réalisation des missions qui lui sont confiées.

Mais la crise sanitaire est, sans doute, aussi une chance pour notre profession : avant celle-ci, avec l’abondance des capitaux souhaitant s’investir sur le marché français de l’immobilier – et particulièrement sur celui des bureaux en Ile-de-France -, on a assisté à une forte convergence des taux de rendement où les qualités et les défauts des actifs n’étaient plus vraiment pris en compte par les investisseurs.

Dans la situation nouvelle que nous connaissons, nous pensons que l’éventail des taux va à nouveau s’ouvrir et qu’il faudra recommencer à appliquer des primes de risque en réalisant une analyse fine de la localisation des immeubles, de la qualité de leur bâti, de leur concordance avec les nouvelles normes, des caractéristiques et de la solidité financière des locataires et des termes des baux signés.

C’est dans ce cadre que les compétences des experts en évaluation immobilière seront, sans doute, encore plus indispensables que par le passé.

L’extension du télétravail et ses conséquences sur la demande de bureaux vous amènent-elles à reconsidérer votre analyse de ce secteur ?

Même si la tendance est réelle et qu’elle aura forcément un impact sur le marché en terme de performance de prises à bail, il est sans doute encore trop tôt pour avoir une appréhension chiffrée des conséquences de cette tendance. D’autant qu’on ne connaît pas encore la durée du télétravail qui sera mise en place dans les entreprises et que celle-ci sera sensiblement différente en fonction de la taille de l’entreprise.

Cela aura, bien entendu, un impact sur le marché que les évaluateurs immobiliers devront prendre en compte, mais on est loin de la fin du bureau qu’annoncent certains Cassandre.

Il faut, à mon sens, faire preuve de modestie et attendre l’évolution du marché sur un certain délai pour dégager une tendance fiable et pérenne. D’autant qu’il n’est pas impossible qu’on assiste, en parallèle, à une recomposition géographique du marché avec la multiplication de tiers lieux et de « hubs » d’entreprise décentralisés, et le développement du Grand Paris.

De même, l’appétit des investisseurs pour le résidentiel et la logistique modifie-t-il votre regard sur ces classes d’actifs ?

La question est facile : le rôle des évaluateurs immobiliers est de traduire un marché dans leurs expertises et l’évolution récente des taux de rendement des dernières transactions, particulièrement pour ce qui concerne le marché de la logistique, représente une tendance réelle que l’on retrouve, bien entendu, dans les dernières évaluations. Comme à chaque fois qu’une ou plusieurs classes d’actifs attirent particulièrement les investisseurs au détriment des autres, on assiste à une compression des taux et à une hausse des valeurs.

Mais le rôle de l’expert est aussi de ne pas considérer une classe d’actif dans sa globalité : s’il est évident que les entrepôts neufs ou extrêmement récents, qui sont des bâtiments particulièrement sophistiqués destinés à des exploitants de premier plan, valent très cher aujourd’hui, ce n’est pas pour cela que la valeur d’entrepôts de « classe B ou C » datant des années 1990, aux caractéristiques parfois dépassées, a, elle, augmenté dans les mêmes proportions.

Pour l’habitation, le phénomène est un peu différent : la crise sanitaire a montré qu’il s’agit du produit immobilier le plus résilient, et de loin. Et la pénurie réelle de logements en France en fait un actif très recherché. Il ne faut, cependant, pas oublier qu’il y a aujourd’hui énormément d’argent à investir, avec un coût du levier quasiment nul. Si les taux venaient à remonter sensiblement, cet intérêt pour l’investissement en résidentiel pourrait rapidement évoluer. D’autant que certains investisseurs étrangers très actifs aujourd’hui sont les mêmes qui, quelques années auparavant, refusaient de s’intéresser à ce marché, du fait de la trop grande protection du locataire dans le droit français.

Le rôle de l’évaluateur immobilier est donc de prendre en compte les tendances de marché du jour, mais sans avoir la mémoire trop courte.

Qu’en est-il, en revanche, du commerce ?

Depuis le début de la crise sanitaire, le commerce traverse un choc sans précédent qui n’est malheureusement pas terminé et dont les conséquences sur le marché sont encore difficiles à déterminer.

Mais il faut, là encore, faire une différence entre les types d’actifs : les centres commerciaux sont ceux qui souffrent sans doute le plus, mais une baisse des valeurs était déjà entamée avant la crise ; les « retail parks » semblent mieux résister ; quant aux commerces de pied d’immeuble, il faut certainement attendre la fin de la crise pour savoir si les difficultés qu’ils rencontrent sont temporaires ou si elles sont profondes et durables.

Mais la clé principale pour cette classe d’actif, et donc pour les évaluations que réaliseront les experts, reste la qualité et la solidité des enseignes et leur capacité à payer les loyers attendus par les propriétaires.

Quels résultats pour Catella Valuation dans ce contexte ?

Malgré la crise la crise sanitaire, qui a entraîné l’impossibilité d’effectuer des visites pendant près de deux mois et l’absence totale de mission de conseil à l’acquisition, Catella Valuation a réalisé en 2020 l’un de ses meilleurs exercices grâce à la confiance de ses clients.

Nous avons signé de nouveaux contrats pour des expertises règlementées (OPCI, compagnies d’assurances, foncières cotées…) et augmenté le nombre d’actifs analysés pour nos clients réguliers. Nous avons continué à les accompagner en leur offrant une prestation sur mesure sur l’ensemble du territoire français pour tous les types de produits immobiliers : l’immobilier d’entreprise bien évidemment, mais également des produits immobiliers plus particuliers comme en santé (Ehpad, cliniques), en résidences gérées (étudiantes, RPA, RSS…) et en logements (Vefa, démembrement…).

Aujourd’hui, quelle stratégie de développement ?

Comme depuis sa création, Catella Valuation poursuit une stratégie de développement raisonnable avec le recrutement choisi et accompagné de nouveaux experts afin qu’ils viennent renforcer l’équipe de façon pérenne.

La croissance externe est notre autre axe potentiel de croissance en ciblant des structures à taille humaine partageant les valeurs de Catella Valuation, comme cela avait été le cas avec succès par le passé avec l’achat de FCC Experts.

Quels enjeux pour les experts à l’avenir ?

Il est nécessaire pour les experts en évaluation immobilière de développer encore le professionnalisme et la crédibilité de leurs travaux en renforçant les contrôles certifiant ce professionnalisme, comme c’est le cas au sein de l’Afrexim (Association Française des Sociétés d’Expertise Immobilière, ndlr) depuis de longues années.

Il est également important de faire évoluer les normes régissant notre métier afin d’intégrer les évolutions de marché et, surtout, les nouvelles réglementations (Décret Tertiaire), que ce soit au niveau national avec la Charte de l’Expertise en Evaluation Immobilière ou au niveau européen avec les European Valuation Standards de Tegova (The European Group of Valuers Associations, ndlr), dont j’ai l’honneur d’être le membre français du « board ».

Enfin, l’avenir de notre profession passe, sans doute, par une évolution des services offerts avec une augmentation des missions de conseil en parallèle des pures missions d’évaluation immobilière.

Jean-François Drouets (Catella Valuation) : « la crise sanitaire est… aussi une chance pour notre profession »