Comment se porte le marché locatif tertiaire, notamment francilien (mais pas que…) après cette période ?

Pendant le confinement, 96 500 m² de bureaux ont été commercialisés en Ile-de-France, c’est peu. Avant la crise du Covid-19, nous observions déjà deux dynamiques différentes entre Paris et le reste du marché francilien. L’activité dans Paris reste entravée par un taux de vacance extrêmement faible et le marché devrait se relancer à mesure que des surfaces seront libérées au rythme de mouvements exogènes d’entreprises qui vont faire le choix de réduire leurs surfaces – voire rendre leurs surfaces, pour celles qui ont subi la crise de plein fouet –, ou selon les mouvements du monde des opérateurs de flexibilité. Deux secteurs d’activité ont marqué le marché parisien ces dernières années : le monde du « serviced offices » et le monde de la tech. L’univers des startups fonctionne sur des boucles endogènes (les startups s’auto-alimentent entre elles), mais face aux incertitudes du moment, il n’y a pas de levée de fonds, donc pas de lancement de nouveaux projets susceptibles de porter leur activité. Du côté des opérateurs de flexibilité, ils ont tous déjà réalisé un premier tour du marché et pris des positions en nombre, d’où une moindre activité sur le marché depuis le début de l’année déjà. Aujourd’hui, ils attendent de voir les réactions de leurs clients puisque pour loger le même nombre de personnes dans le contexte actuel il faut prendre plus de postes de travail et une partie de leur cible traditionnelle ne peut pas se le permettre.

Certaines startups ou nouvelles sociétés pourraient prendre des surfaces dans Paris pour avoir une certaine visibilité et mettre une partie de leurs équipes sur des sites satellites sur le reste du marché francilien, voire privilégier le télétravail.

Depuis le déconfinement, il est encore plus compliqué de circuler dans la Capitale et certaines entreprises pourraient décider de rester aux franges de Paris, dans ce que nous appelons chez JLL le quartier périphérique des affaires (QPA). Ces difficultés de circulation vont-elles profiter à la périphérie et notamment à La Défense, Péri-Défense, en passant par Clichy et Saint-Ouen, qui disposent d’une offre importante et de qualité ?

Enfin, nous observons également aujourd’hui des sociétés qui, post confinement, envisageraient de quitter tout bonnement l’Ile-de-France au profit des grandes métropoles régionales. Le confinement a suscité des interrogations chez les Français sur leurs conditions et qualité de vie, mais difficile de dire, pour l’instant, si ces remises en question sont justes ponctuelles ou si elles perdureront sur le long terme…

Le « 83 Marceau » pris par Goldman Sachs qui était conseillé par JLL

Comment voyez-vous évoluer ce marché d’ici la fin de l’année ?

Les grandes entreprises ont pris du retard sur leurs projets, mais ceux-ci devraient, néanmoins, être maintenus sur 2020. D’autres ont réduit leurs demandes en cours, parfois significativement, voire annulé pour certaines leur projet. Lors d’une enquête que nous avons conduite pendant le confinement auprès de nos clients investisseurs, les trois-quarts nous indiquaient avoir été confrontés à des reports de projets et un quart, à des annulations. La seconde partie de l’année sera décisive, mais encore difficile, surtout pour les PME-PMI, ainsi que les ETI…

Dans ce contexte, nous anticipons une demande placée située dans une fourchette comprise entre 1,2 et 1,5 million de mètres carrés cette année.

Quelles nouvelles attentes de la part des utilisateurs ?

Suite à notre enquête réalisée au niveau mondial sur 2 115 salariés confinés, un Français sur deux (225 répondants) affirme que les bureaux ne lui ont pas manqué (par rapport à 42 % au niveau mondial). Les entreprises sont donc confrontées à une demande plus affirmée de télétravail et ont pu également lever les doutes sur la capacité de leurs équipes à travailler à distance. Le télétravail pourrait donc prendre de l’ampleur et se systématiser à un moment où les entreprises ont également besoin de gérer la distanciation sociale. On retient, également, que les moments de socialisation entre collègues, les communications informelles et les échanges en face à face constituent l’essentiel du manque ressenti par les salariés confinés et que ces interactions nécessiteront toujours des bureaux physiques. Il faut, alors, réfléchir à offrir aux collaborateurs des entreprises, des espaces repensés dans leurs usages. Nous pensons qu’à moyen terme, les entreprises ne consommeront pas drastiquement moins de surfaces, mais celles-ci seront mieux optimisées.

Une autre enquête de JLL réalisée auprès de plus de 400 acteurs de l’immobiliers français, conduite mi-avril 2020, fait ressortir qu’avant la crise, 23 % des entreprises avaient déjà mis en place le télétravail et que post crise, 68 % prévoient de le généraliser à plus de collaborateurs et/ou à une fréquence plus importante. Reste à savoir où l’on met le curseur, il faut trouver le bon équilibre. En tout état de cause, 28 % des entreprises prévoient de réduire leur empreinte au sol au regard des nouvelles modalités de travail et, donc, de mettre en place du flex-office en proposant les bons espaces aux salariés. La crise est une opportunité pour les entreprises de questionner leurs usages et de déployer « mieux de bureaux » dans le futur (voir notre étude « Covid-19 et après ? (Re)imaginer les bureaux demain »).

Quelle(s) perspective(s) pour les valeurs locatives ?

Nous ne devrions pas observer d’effondrement de la valeur « prime » en Ile-de-France étant donné les conditions de marché dans Paris où le manque d’offre est prégnant et où les bailleurs n’ont pas acté de baisse sur leurs valeurs de présentation. Cependant, nous pourrions observer un écrêtement des valeurs maximales, celles supérieures à 900 euros (HT, HC)/m² et des valeurs locatives moyennes, qui avaient atteint des niveaux records ces derniers mois. Certaines valeurs parisiennes dans des secteurs moins traditionnellement tournés vers les bureaux pourraient être revus légèrement à la baisse…

En revanche, en périphérie et notamment au Nord ou à l’Ouest, les valeurs locatives de présentation de certains immeubles ont été revues à la baisse – notamment à La Défense –, et les commercialisations pourront être assorties d’accompagnements élevés en cette période de livraisons nombreuses.

Première transaction réalisée par la nouvelle agence JLL Lille. Loyalty Company a pris à bail 849 m² dans un bâtiment moderne et mixte (bureaux et activités), à Marcq-en-Baroeul (59), dans la banlieue lilloise.

Quel bilan pour votre département ?

Comme nous l’avions annoncé l’an dernier, nous avons décidé, en début d’année, de nous aligner avec la Grande-Bretagne et l’Allemagne en créant le département « leasing market advisory (LMA) », qui regroupe l’Agence, le « serviced offices » et le conseil aux utilisateurs, ce qui nous permet d’avoir une vision à 360° de ce qui se passe chez les entreprises et les investisseurs et ce, tant sur le bureau, la logistique, la « supply chain », les locaux d’activités que le commerce.

La création de ce nouveau département permet une organisation plus fluide afin de pouvoir répondre au mieux à nos clients sur l’ensemble de leurs besoins et réflexions.

Quelle stratégie aujourd’hui ?

Être proche de nos clients en segmentant notre approche quel que soit leur taille, leur secteur d’activité ou leur géographie, et en leur apportant une valeur ajoutée. Dans le détail, nous allons continuer tout le travail mis en place pendant le confinement de relations clients « sans contact » en apportant des éléments différents, digitaux, flexibles, agiles.

Nous avons pu organiser une centaine de visites virtuelles via Teams grâce à notre application NxT pendant le confinement, ce qui nous a permis de gagner du temps aujourd’hui puisque nous visitons physiquement les immeubles préalablement sélectionnés en « short list » par nos clients et ce, tant en bureaux dans Paris et en périphérie, qu’à Lyon ou pour les locaux d’activités. Nous comptons poursuivre en ce sens…

De nouvelles demandes ?

Les visites de notre site web pendant le confinement sont passées de 30 000 à 5 000 sessions par mois. Les demandes, qui représentent traditionnellement 10 % de ces visites, ont conservé ce ratio. Cependant, il faut noter que ce sont toutes de vraies demandes motivées, avec un taux de transformation bien plus élevé qu’à l’accoutumée. Si la demande exprimée par les grandes entreprises (les surfaces de plus de 5 000 m²) reste stable, la situation est plus difficile pour les surfaces intermédiaires (1 000/5 000 m²), alors que la demande en petites et moyennes surfaces (inférieures à 1 000 m²) reprend.

Un conseil aux utilisateurs ?

Aujourd’hui, il faut mieux consommer les mètres carrés plutôt que de moins en consommer. L’entreprise reste un lieu de partage important pour la socialisation de ses collaborateurs. Pendant ce confinement, le lien humain a manqué, faire du mentorat ou « brainstormer » virtuellement est moins aisé. Après cette période si particulière, tout appartient aux utilisateurs pour réindustrialiser notre territoire et permettre un rebond de notre économie.

Marie-Laure Leclercq De Sousa (JLL) : "entre 1,2 et 1,5 million de mètres carrés commercialisés cette année"...