Quelle stratégie d’investissement avez-vous appliqué cette année et avez-vous été amenés à la faire évoluer en raison de la crise sanitaire ?

Paul Joubert : l’année 2020 a commencé sur une tendance européenne très positive. Dès janvier, le flux considérable d’opérations engrangées nous permettait d’envisager sereinement notre objectif de 5 milliards de dollars (US*) de transactions en Europe, avec une stratégie tous produits tous marchés, à l’exception des centres commerciaux et « retail parks ». Nous avons, évidemment, dû revoir notre approche et avons affiné selon deux grands axes.

Nous avons, d’abord, décidé de sécuriser rapidement nos gains sur les actifs ayant surperformé leur valeur cible et avons vendu pour plus de 2 milliards de dollars, soit le double de notre objectif initial. Deuxièmement, nous avons réduit notre objectif d’investissement de 4 milliards de dollars à 2 milliards de dollars, réorienté vers les actifs offrant moins de dépendance à la croissance des loyers et à l’économie. Ceci nous a amené à délaisser les bureaux et à investir plus tôt dans la chaîne de valeur des immeubles pour bénéficier de prix d’entrée plus attractifs. Par ailleurs, nous avons aussi considéré à la marge les secteurs habituellement très rares d’accès, mais d’où les investisseurs s’étaient retirés. Nous avons ainsi saisi certaines opportunités de commerce de luxe « high street » qui nous étaient habituellement inaccessibles.

Cristiano Stampa : pour ce qui est de la France, nous avons commencé l’année 2020 avec une stratégie déjà orientée sur d’une part des opérations à valeur ajoutée bien localisées, d’autre part le secteur logistique et, enfin, le résidentiel. Et nous étions déjà prudents sur l’immobilier de commerce « mass market ». Par conséquent, nous n’avons pas eu à faire évoluer drastiquement notre stratégie pendant la crise sanitaire. Nous avons simplement procédé à quelques ajustements tactiques en réaction à des changements de court terme, notamment compte tenu de la détérioration des conditions des financements dans le contexte actuel.

Regardez-vous d’un autre œil le résidentiel ? En France, en Europe ?

PJ : nous avons été parmi les précurseurs à se repositionner sur ce secteur, ayant commencé à l’investir massivement dès 2016, développant pour un total d’environ un milliard de dollars de résidentiel en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni. Nous avons, depuis, élargi à de nombreux autres pays et, enfin, en France. Notre stratégie était claire et volontaire et nous avons évidemment une certaine fierté à la voir maintenant porter ses fruits, puisque nous venons de revendre un portefeuille en Allemagne pour plus de 400 millions de dollars.

CS : nous restons toujours favorables à l’expansion de notre portefeuille résidentiel en Europe, mais la disponibilité des opportunités intéressantes varie de pays en pays. En France, le niveau des prix reste élevé avec une compétition accrue et une liquidité abondante. Mais le déséquilibre entre demande et offre reste fort dans certaines conurbations urbaines. Il est donc nécessaire de bien comprendre les bassins d’emploi, de consommation, et leur tension résidentielle. Nous avons été ainsi amenés à investir en zone frontalière bien loin de l’Ile-de-France.

La création d’un lieu de vie centré sur les services sera le facteur clés de succès dans les années à venir. Sur cet aspect, la France doit se développer encore davantage pour garantir un niveau de services et de gestion de niveau institutionnel.

Et la logistique ?

PJ : là encore, nous avons été très tôt déterminés dans notre stratégie et avons développé entre 600 millions et 800 millions de dollars par an de logistique depuis 2016. Ce qui nous permet de bénéficier d’un très beau portefeuille ayant offert jusqu’à présent un très bon rendement à nos investisseurs. Nous continuons dans cette veine, mais les attentes des vendeurs sont évidemment bien différentes. Nous devenons prudents et regardons d’autres types de logistique tels que la messagerie et le « dernier kilomètre ».

CS : globalement, la Covid a accéléré la transformation de la chaîne de distribution des produits. Avec les difficultés objectives rencontrées par les centres commerciaux, le secteur logistique s’est renforcé partout en Europe. La demande reste solide, côté utilisateurs et aussi côtés investisseurs, avec toutefois des disparités et l’apparition de certaines zones ponctuelles de suroffre.

Nous restons donc sélectifs, en considération de la nature atypique du cycle de vie de ces actifs. En conséquence, nous préférons créer des produits modernes et efficients, plutôt qu’à en payer le prix fort. Ainsi, nous avons, entre autres, investi dans deux projets logistiques « en blanc » (à Artenay et Cernay-les-Reims), actuellement en construction pour un total de 91 000 m2, et qui pourraient se voir pré-loués avant leur livraison…

Quelles sont les principales acquisitions réalisées cette année ?

PJ : au final, nous avons investi 1,5 milliard de dollars dans neuf pays, essentiellement sur des développements logistiques et résidentiels. Cela va du Danemark au Portugal, en passant par la Pologne, la Hollande, l’Allemagne, l’Italie… Soit un total de 14 acquisitions, là où nous en réalisons habituellement une trentaine. Mais nous sommes assez satisfaits de ce résultat, convaincus que nous avons appliqué la stratégie que nous nous étions fixée, protégeant nos investisseurs dans un contexte volatile.

CS : en France, nous avons finalisé 1,2 milliard de dollars de transactions cette année, 400 millions de dollars en acquisition et 800 millions de dollars à la vente. Nous avons réussi à finaliser l’acquisition d’un « trophy asset » pour notre stratégie « core » dans une des meilleures localisations du luxe parisien. Le 6-12, Faubourg Saint-Honoré (voir photo ci-dessous à gauche) s’inscrit dans notre conviction de long terme que les secteurs à forte marges resteront plus solides dans un contexte économique incertain, et que la qualité de l’emplacement reste une des meilleures garanties.

Nous avons aussi sécurisé notre premier investissement dans le secteur résidentiel en France (près de la frontière suisse et de la région de Genève), preuve de notre capacité à lire les marchés toujours dans un contexte international.

A l’inverse, nous avons donc réduit notre exposition dans le secteur des bureaux (avec la cession du « 173 Haussmann » [photo ci-dessous à droite] et de l’ensemble « Espace Lumière », à Boulogne Billancourt) et dans l’immobilier de commerce « mass market » avec la cession du « 144 Rivoli » à une filiale d’investissement du groupe Ikea pour la création de leur deuxième magasin parisien.

Pourriez-vous nous indiquer quelques-unes des opérations qui devraient être débouclées avant la fin de l’année ?

CS – Toutes nos opérations prévues pour 2020 se sont déjà débouclées. Nous travaillons actuellement à la construction d’un nouveau pipeline pour 2021 selon la stratégie évoquée et ceci pour encore tout le premier semestre. Nous favorisons la coopération avec des partenaires spécialisés dans des domaines spécifiques. Nous sommes, par exemple, focalisés sur des opérations fortement axées ESG, persuadés que la liquidité des actifs non ESG sera de plus en plus impactée dans les années à venir…

Quel est le volume qu’Invesco envisage d’investir, notamment sur le marché français ?

PJ : si l’année 2020 a marqué un arrêt d’environ six mois, il y a de bonnes chances que l’année 2021 mette autant de temps à redémarrer avec des chiffres de l’emploi qui vont continuer à se dégrader jusqu’en juin. Aussi, comme en 2020, nous prévoyons un volume d’investissement réduit de moitié, soit aux alentours de 2 milliards de dollars pour l’Europe.

Localement, nous ne sommes pas guidés par un volume d’investissement particulier. Nous avons la capacité d’intervenir sur le spectre complet des différentes stratégies de risques et de produits. Aussi, nous suivons en permanence les changements incessants des marchés les uns par rapport aux autres, créant autant de nouvelles opportunités que nous cherchons à détecter le plus tôt possible pour nous positionner.

CS : nous jugerons donc au fil de l’eau quand accélérer ou ralentir selon les opportunités. En moyenne, Invesco a réalisé en France 500 millions de dollars d’investissement par an sur les quatre dernières années. La France représente environ 20 % de la totalité de notre portefeuille européen qui s’élève à plus de 14 milliards de dollars.

Avec quelle stratégie et quels sont les actifs qui seront privilégiés ?

PJ : nous avons la chance de pouvoir intervenir sur toute stratégie et tous produits, mais les asset managers comme nous doivent absolument offrir à leurs clients des performances supérieures à celles qu’ils obtiendraient par eux-mêmes. Dans ce sens, il semblerait que la stratégie dite à valeur ajoutée soit encore pertinente pour les mois à venir.

Nous venons, par ailleurs, de créer notre activité de dette à travers l’acquisition d’une structure spécialisée au Royaume-Uni. Ce qui sera, évidemment, un de nos axes de croissance, en commençant par convaincre nos investisseurs du bien-fondé de cette approche. Il sera temps par la suite de grossir cette ligne de métier où nous sommes très présents aux Etats-Unis. Nous sommes patients et bâtissons sur le long terme.

CS : nous continuerons donc à privilégier les opportunités avec un rendement/risque attractif en centre-ville. Nous poursuivrons notre stratégie d’investissement dans le secteur logistique et résidentiel en fonction des opportunités. Dans les deux cas, nous travaillons avec des partenaires (promoteurs, investisseurs) qui partagent notre vision du futur, centrée sur la résilience, l’adaptabilité, le zéro carbone et les engagement ESG.

Nous nous intéressons aussi à l’expansion des secteurs liés à la santé et aux sciences de la vie dans l’Hexagone comme dans d’autres pays européens même si ce secteur reste encore une niche en Europe par rapport à ce que l’on oberve aux Etats-Unis.

Quel regard portez-vous sur les actifs de commerce ?

CS : sans grande originalité, nous restons prudents sur le secteur des centres commerciaux. La crise est en passe de révolutionner ce secteur et nous trouvons que le risque/rendement n’est actuellement toujours pas suffisamment attractif. Il y a clairement un manque de liquidité, même quand la performance de l’actif est au rendez-vous. Nous sommes, en revanche, positifs sur le segment dit « high street », dans les meilleures rues et avenues d’Europe.

Quelle place réservez-vous aux marchés immobiliers hexagonaux dans votre stratégie et cette place est-elle appelée à évoluer ? Si oui, pourquoi ?

CS : comme précisé, nous ne sommes pas pilotés par une allocation géographique. Pour autant la France est l’un des marchés européens les plus attractifs à nos yeux du fait de fondamentaux démographiques favorables et d’un marché profond ; rien de très nouveau et tant mieux. En terme de positionnement « relatif », la France est notre deuxième marché « core » après l’Allemagne. Toutefois, contrairement à cette dernière, le marché reste très centralisé et donc offrant des opportunités quel que soit le sens du cycle immobilier. Et puis, Paul et moi sommes tous les deux basés en France, donc cela aide à y croire…

*tous les chiffres et montants sont en dollars US

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