Quel regard portez-vous sur le marché de l’investissement en immobilier d’entreprise tel qu’il s’est présenté l’an passé ?

Emmanuel Schreder : avec 23,5 milliards d’euros investis en immobilier d’entreprise en France, 2022 figure dans le « top 5 » des dix dernières années en la matière. Avec, malheureusement, une tendance assez baissière au cours du quatrième trimestre 2022, tendance que l’on va certainement retrouver au cours du premier trimestre 2023…

Parmi les grandes tendances du marché en 2022, il convient de relever la rareté des opérations supérieures à 150 millions d’euros, l’essentiel du marché ayant été composé de transactions d’un montant unitaire égal ou inférieur à 50 millions d’euros. Ce qui s’est traduit par un nombre nettement plus élevé de transactions bouclées. Bref, le marché s’est « granularisé ».

Stéphane Guyot-Sionnest : autre tendance, nous avons assisté à une baisse relative des investissements dans les bureaux par comparaison aux années précédentes. Une évolution qui s’explique par l’objectif de diversification de nombreux investisseurs et, donc, à l’inverse, un nombre plus important d’opérations en logistique, résidentiel géré, commerce, santé et « hospitality ». Autant de classes d’actifs qui ont pris une part de marché plus importante l’an passé et ce, même si le créneau des bureaux reste dominant.

En soulignant, également, le poids pris par les régions avec quelque 35 % du volume total investi.

Emmanuel Schreder : s’agissant des acteurs, les Français demeurent majoritaires avec parmi eux des SCPI particulièrement actives (à l’inverse des OPCI…). Leurs investissements ont représenté 8 milliards d’euros dans le volume total, dont 2 milliards d’euros dans l’immobilier de santé. De même, les investisseurs privés ont été très actifs, continuant, malgré la hausse des taux d’intérêt, de considérer l’immobilier comme une valeur refuge.

En revanche, nous avons relevé une raréfaction des investisseurs institutionnels. Assureurs-vie, mutuelles et autres caisses de retraite ont commencé à ralentir leurs acquisitions dès l’été dernier. Une tendance qui devrait aussi se poursuivre début 2023…

Qu’en est-il des taux de rendement ?

Emmanuel Schreder : nous avons enregistré, courant 2022, une hausse de 50 à 120 points de base des taux de rendement suivant les classes d’actifs. Sachant, cependant, que Paris intra-muros a extrêmement bien résisté dans un tel contexte puisque des opérations bouclées sur la base de 3 % de taux de rendement ont été réalisées. Mais cette tendance baissière des taux de rendement devrait, elle aussi, se poursuivre. Nous anticipons, pour le bureau « prime », une fourchette de taux comprise entre 3,25 et 3,50 %. Bref, la hausse des taux de rendement accompagne celle des taux d’intérêt.

A propos d’anticipation, comment voyez-vous évoluer le marché cette année ?

Stéphane Guyot-Sionnest : la granularité du marché devrait se maintenir. Si nous prévoyons une restriction de la liquidité en provenance notamment de l’épargne publique, nous tablons sur des investisseurs actifs, investisseurs privés, « petits » institutionnels et fonds de « private equity » (très présents l’an passé) en tête. Bien sûr, à condition que les actifs soient au « bon prix ». Car la dette est disponible, mais plus chère et, donc, plus contraignante en matière de LTV…

D’ailleurs, concernant la hausse des taux d’intérêt, il convient de se rappeler des situations où ces taux étaient bien plus élevés, alors même que le marché de l’investissement en immobilier demeurait actif car dans un contexte d’inflation élevée, les valeurs locatives s’indexent ! C’est bien l’écart entre le taux de l’inflation et le coût de la dette qui est important.

Emmanuel Schreder : c’est ainsi que, paradoxalement, l’immobilier demeure une valeur refuge. L’intérêt porté par les maisons de luxe à l’immobilier en est une parfaite illustration. Qu’il s’agisse de Kering, de LVMH ou, plus récemment, de Goyard, par exemple, ces grands groupes du luxe d’origine française confortent leurs prises de position sur des immeubles majeurs dans Paris par le biais de la location, mais surtout, de l’acquisition. On dit même que Chanel et Hermès leur emboiteraient le pas… Des opérations qui confirment également l’attrait de la Capitale, malgré une volonté affichée de la municipalité de restreindre le développement du marché tertiaire. D’ailleurs, les valeurs locatives ne donnent aucun signe d’essoufflement et même si les taux de rendement augmentent, les valeurs métriques sont historiquement les plus élevées.

Et les dispositions d’un nouveau PLU visant à restreindre le développement du marché tertiaire ne feront qu’entretenir la pénurie !

Quels résultats pour Catella France dans ce marché ?

Stéphane Guyot-Sionnest : nos résultats sont parfaitement cohérents par rapport au marché et, de ce point de vue, 2022 figure dans les cinq meilleures années de la société au cours des 15 dernières.

Emmanuel Schreder : ce qui démontre la résilience de notre modèle et une adéquation entre les évolutions des marchés, y compris s’agissant de l’immobilier résidentiel, et les chiffres d’affaires réalisés par les différentes filiales… Ainsi, l’adaptation de l’équipe investissement de Catella Property aux nouvelles conditions du marché nous a permis de boucler plus de 70 opérations pour un volume d’investissement d’1,2 milliard d’euros.

S’agissant des filiales, quels résultats ?

Stéphane Guyot-Sionnest : 2022 est un bon cru pour Catella Residential, en dépit d’une baisse significative de la vente en bloc de logements neufs et d’un début de ralentissement de la vente au détail dans ce même créneau du neuf.

Catella Valuation a, de son côté, réalisé une année record avec 3 000 immeubles expertisés, représentant une valeur d’actif de plus de 47 milliards d’euros. Confiance et professionnalisme ont été de mise dans un marché où les acteurs deviennent de plus en plus attentifs au partenariat engageant qui existe entre l’expert et son mandant.

Qu’en est-il des nouveaux mandats de vente ?

Emmanuel Schreder : nous travaillons, actuellement, sur une vingtaine de mandats, dans l’ensemble des classes d’actifs, en Ile-de-France et en régions, représentant un volume d’un milliard d’euros environ. Tout en précisant qu’une nouvelle tendance se fait jour : aux mandats de vente jusqu’ici essentiels, se substituent de plus en plus de mandats d’acquéreurs nous demandant d’identifier pour eux des opportunités. Une tendance à laquelle nous avons toujours été sensibles…

Un mot sur l’équipe ? Des recrutements en perspective ?

Stéphane Guyot-Sionnest : globalement, autour de professionnels à l’expérience confirmée, celle-ci comptant toujours dans ces moments d’incertitude, nous avons agrégé de jeunes talents dans le cadre d’un effectif mixte équilibré.

Quant aux recrutements, nous sommes toujours à l’écoute de toute opportunité nous permettant d’enrichir l’équipe…

Aujourd’hui, quel développement pour Catella France ?

Stéphane Guyot-Sionnest : à la faveur des nouvelles conditions de marché, nous avons la volonté de nous renforcer et de poursuivre notre développement en régions en poursuivant le maillage du territoire.

En Ile-de-France, nous opérons une meilleure segmentation des activités afin de permettre aux équipes d’intervenir dans d’autres classes d’actifs que représentent les résidences gérées, l’« hospitality »…, tout en développant nos interventions dans les projets futurs, notamment ceux englobant une dimension RSE.

Emmanuel Schreder : enfin, le groupe Catella devrait revenir, dans le courant de cette année, sur le marché de l’« investment management » soit via l’acquisition d’une structure existante, soit via la création d’une plateforme dédiée.

Quel(s) conseil(s) à un investisseur ?

Emmanuel Schreder et Stéphane Guyot-Sionnest : rester, plus que jamais, attentif et réactif !

Stéphane Guyot-Sionnest et Emmanuel Schreder (Catella France) : « rester, plus que jamais, attentif et réactif ! »…