Consciente d’une possible épidémie dès le mois de janvier, j’étais loin d’imaginer que ce virus aurait l’ampleur que nous lui avons connu ces derniers mois. Mes amis de Singapour et de Hong Kong m’ont rapidement informée de l’évolution du Coronavirus en Asie et de leurs nouvelles conditions de travail : ils étaient désormais consignés à domicile. Ayant moi-même vécue en Malaisie en 2003, à l’ère du SARS-CoV-1, j’étais déjà convertie aux gestes barrières au quotidien. Contrairement à celle des « subprimes » en 2008, la crise s’est abattue quasi instantanément sur le monde entier, touchant l’économie globale et n’épargnant aucun secteur d’activité.

La RICS France, catalyseur

Face à ce choc brutal et instantané, aux entreprises mises à l’arrêt, aux transports internationaux cloués sur le tarmac ou dans les ports, les professionnels de notre industrie ont su réagir rapidement et interagir de façon exemplaire. L' »agilité », souvent vantée par les entreprises comme l’une de leurs valeurs cardinales, a permis à de nombreuses équipes de réinventer le travail à distance en à peine quelques jours, grâce aux outils numériques et aux plateformes de travail collaboratives dont les usages étaient jusqu’alors limités.

La RICS en France a joué son rôle de catalyseur. Nos membres habituellement répartis par groupes professionnels selon leur métier ou leur secteur d’activité, ont pu mesurer l’importance de la transversalité d’un réseau comme le nôtre. En effet, les croisements d’informations, le partage de retours d’expériences « cross-sectoriels » ont permis de convertir les différences en atouts. C’est ainsi que les spécialistes du « retail » ont partagé des tendances économiques inédites avec le groupe d’experts dont les évaluations d’immeubles étaient suspendues au déconfinement, ainsi qu’à la définition de nouveaux critères et d’hypothèses d’expertises pendant et post-Covid-19. De la même manière, le conseil de RICS France, nommé la veille du confinement, nous a accompagné dans des réflexions transfrontalières. Nos voisins européens ont vécu, à quelques semaines près, la même situation exceptionnelle ; le partage de leur vision, à la fois professionnelle et humaine, nous a offert un éclairage essentiel pour conserver une approche positive et constructive. La diversité de la communauté RICS a offert à la profession la prise de recul nécessaire à la recherche de solutions pragmatiques et transversales.

Par ailleurs, s’appuyer sur les valeurs éthiques de la RICS a également été le moyen d’éluder quelques conflits potentiels. Indépendamment du rôle joué par le professionnel et son entreprise dans la chaîne de valeur immobilière, le bon sens et la recherche de pérennité dans les relations commerciales ont guidé bon nombre de membres dans l’accompagnement de leur locataire, parfois de leur bailleur, ou encore de leurs prestataires.

Soutenir l’industrie immobilière toute entière

Aujourd’hui, nous tablons sur une sortie de crise sanitaire durable même si personne n’est en mesure de nous l’assurer. Toutefois, il est primordial pour l’industrie immobilière d’avoir une vision réaliste et positive. Nous croyons à la reprise des activités et soutenons l’industrie toute entière. D’ailleurs, l’accélération de la reprise économique tend à se confirmer en France, avec une probable révision à la hausse du PIB par l’Insee (de -20 % à -17 %).

Les retards accumulés dans la délivrance de certains services immobiliers, les arrêts de négociations, les reports réglementaires, notamment en urbanisme, requièrent déjà l’engagement de toute la profession pour absorber la crise de ces derniers mois et renouer avec la croissance des marchés immobiliers. Pour accompagner au mieux les professionnels, et palier aux délais conséquents de la justice française qui fut également à l’arrêt, la RICS développe une nouvelle offre de services de médiation et de résolution des litiges. Six membres français sont déjà formés à la médiation. C’est une réponse efficiente pour surmonter au mieux la crise du Covid-19 et répondre rapidement aux besoins de résolution amiable des différends. L’essentiel est de permettre aux professionnels d’assurer la pérennité de leurs activités respectives tout en entre- tenant de bonnes relations commerciales.

Certaines activités ont démontré leur résilience, à l’instar de la logistique et du e-commerce. Confinés et craignant d’éventuelles pénuries dans les commerces alimentaires, les Français ont conforté leurs habitudes de consommation auprès du e-commerce. Même les seniors ont été de plus en plus nombreux à s’adapter à ce mode récent de consommation dématérialisée. Malgré des difficultés d’acheminement et l’adoption des mesures barrières, les logisticiens ont démontré à quel point leur rôle est central dans la crise inattendue que nous venons de connaître. Le « click & collect » sera, sans doute, l’élément déclencheur d’une relance du commerce physique. Toutefois, pour soutenir l’activité des commerçants, les maires de France devront, à leur tour, démontrer leur agilité pour soutenir l’attractivité des commerces et maintenir la vie dans des centres-villes de plus en plus piétonniers, tout en permettant les déplacements des logisticiens du dernier kilomètre, dans un contexte marqué par une évolution notable des modes de consommation post Covid-19. L’innovation a permis d’assurer la continuité de certains métiers. Les notaires ont été, incontestablement, les premiers acteurs de notre industrie à se montrer novateurs en assurant des transactions à distance malgré le confinement. La « blockchain » a également démontré son intérêt et certaines startups ont pu assurer la continuité des transactions grâce à cet outil permettant la sécurité des données et leur traçabilité de pair à pair. Actif physique par essence, l’immobilier doit conserver les bénéfices de cette période exceptionnelle tout en accélérant sa digitalisation, afin d’en assurer une gestion plus optimisée et décentralisée. La RICS a continué à se mobiliser en faveur du maintien d’une haute exigence en matière d’éthique et a lancé un nouveau guide sur le blanchiment d’argent lié à la crise du Covid-19. Alertant sur les potentielles difficultés financières engendrées par la crise sanitaire, ce guide invite le professionnel à davantage de minutie dans l’identification des clients, l’utilisation des plateformes collaboratives, des scans et autres outils digitaux.

De nombreux défis

Les futurs programmes immobiliers devront tirer parti des nouvelles habitudes de vie et de travail induits par la situation sanitaire de ces derniers mois. L’habitat ne deviendra, sans doute, pas le bureau de demain pour une majeure partie d’entre nous. En effet, nombre de télétravailleurs regrettent l’absence d’interactions humaines. De plus, l’essentiel des logements des grandes métropoles françaises n’est pas adapté à un travail à domicile au quotidien. Mais il y a fort à parier que certains s’adonneront davantage au télétravail. Avec près de 15% de la population d’Ile-de-France partie en régions durant le confinement, et avec une reprise des transports domicile- travail à seulement 60 % de la normale, le bureau de demain devra s’adapter et répondre aux dernières attentes des travailleurs. Si certains souhaitent éviter la promiscuité des transports en commun, la réponse viendra peut-être des espaces de coworking situés en périphérie des grandes agglomérations. La mise à disposition de « troisième lieu » de proximité, au sein d’immeubles mixtes, pourrait avoir un bel avenir. Il est indéniable que les professionnels et salariés seront de plus en plus exigeants quant à leur bien-être de chaque instant et à la qualité de la connectivité de leurs habitats et de leurs lieux de travail passagers.

L’instantanéité de cette crise sanitaire et la découverte de nouveaux usages de communication et de consommation servira, à n’en pas douter, à la prise de conscience collective de la nécessité de protéger notre planète et d’adopter davantage de comportements raisonnés. Probablement sommes-nous à l’aube d’une crise sociale également. La population française souhaite préserver sa santé en adaptant ses comportements individuels et assurer le confort nécessaire à ses lieux de vie en déployant une rénovation adaptée. Notre industrie est polluante et consommatrice d’énergie. Le seul secteur du BTP génère 227 millions de tonnes de déchets par an. L’économie circulaire, grâce notamment au réemploi des matériaux et au suivi, ainsi qu’à la revalorisation des déchets, sera l’une des réponses du futur de l’industrie immobilière.

Les défis de demain sont nombreux, pourvus que nous puissions les rendre durables et raisonnés.

Alexandra Emery (RICS France) : "en première ligne pour réinventer l'industrie immobilière"