Cette période inédite que nous traversons ne contient-elle pas déjà les ferments du « monde d’après » dont la crise sanitaire ne serait que le catalyseur ? En effet, le temps de la crise peut être aussi le temps de la transformation et de l’accélération. C’est ce qui est à l’œuvre aujourd’hui dans notre secteur d’activité, mis sur le devant de la scène médiatique, car au cœur de la transformation des modes de travail des salariés confinés à domicile. Les tendances de fond que nous observions s’accélèrent et dessinent d’une main plus sûre l’immobilier de demain. Voici les sept tendances qui donnent à voir la nouvelle « norme ».

Le télétravail, la nouvelle donne

Les entreprises françaises ont basculé du jour au lendemain, avec l’annonce du confinement, dans un mode 100 % télétravail qui s’est avéré, pour nombre de salariés, efficace. Un travail à domicile qui, bien qu’effectué dans des conditions dégradées, a été plébiscité par les salariés. Ils y ont trouvé un gain de temps sur les transports, une souplesse d’organisation, un environnement paisible et un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Face à ces constats, ce sont 66 % des entreprises qui envisagent de généraliser le télétravail[1] à l’issue de la crise.

Le télétravail fait et fera partie intégrante du schéma directeur immobilier des entreprises. A tel point que certains y ont vu la panacée, allant jusqu’à prédire la mort du bureau. Cette vision n’est pas la nôtre! Oui, les bureaux ne seront plus utilisés comme avant. Oui, il y aura davantage de télétravail, mais nous sommes convaincus que ce mouvement n’est pas un phénomène isolé. Il participe d’une dynamique plus large qui va nous conduire à repenser l’usage des bureaux dont le rôle restera pivot pour la vie de l’entreprise.

Vers des bureaux « hubs » sociaux

Pour que le collaborateur se déplace au bureau, il faudra qu’il y trouve un intérêt. Qu’il y vienne par envie et non par obligation ! Quand on interroge les Français sur ce qui leur a le plus manqué durant cette période de travail confiné, ce sont les interactions de visu et informelles entre collègues qui arrivent en premier[2]. Les salariés viendront physiquement au bureau pour y vivre des moments privilégiés d’échange avec leur management, pour se frotter à leur communauté et se sentir appartenir à une équipe, à une entreprise. A l’avenir, le bureau se fera, ce que nous nommons, « hub & club », c’est-à-dire à la fois centre névralgique et lieu de sociali-sation où l’on partagera les valeurs et la culture de l’entreprise. Il permettra aussi de recevoir les clients dans un lieu aux couleurs de la marque. Enfin, le bureau se fera catalyseur d’innovation, de créativité ! Le lieu où l’on croisera ses collègues, où l’on discutera de ses projets, où se formeront par un hasard heureux de nouvelles idées.

Le flex-office revisité, modèle d’avenir

Dans ce contexte, le bureau individuel a-t-il encore un sens? On peut en douter. Si la crise a signé l’arrêt de mort d’un bureau, c’est bien celui du bureau individuel qui monopolise des mètres carrés peu utilisés. Le curseur nous semble plutôt se déplacer en faveur du flex-office : mais une version revisitée du flex-office, intégrant une agilité nouvelle. Ce sont, par exemple, des bureaux hybrides, reconfigurables par les salariés qui pourraient eux-mêmes modifier l’espace et les cloisons. Cette nouvelle version du flex-office proposera une mutualisation accrue, davantage d’espaces ouverts et partagés puisque les salariés ne seront présents qu’une partie du temps à leur poste de travail. Elle rendra nécessaire la mise en place de nouveaux protocoles en matière d’hygiène, de désinfection et de règles de vie.

« Back to basics » : l’immobilier au service de la santé des occupants

La santé sera indéniablement la nouvelle clef de voûte du bureau de demain. L’expérience de la pandémie impose un retour à la préservation de ce besoin primaire. C’est dans cet esprit que JLL vient de nouer un partenariat avec le CNEH (Centre National d’Expertise Hospitalière) afin de s’appuyer sur l’expertise de 70 experts en santé pour accompagner les entreprises dans la mise en place de conditions de travail permettant d’accueillir leurs collaborateurs en toute sécurité (validation des implantations, de la densité de population, réflexes à avoir en cas de nouveaux risques infectieux, accompagnement des collaborateurs dans ces nouveaux modes opératoires…).

Au-delà des réaménagements et des protocoles immédiats en matière de désinfection, cet impératif de santé passera aussi par une réflexion de fond sur la conception des espaces (développement du sans-contact, usage de matériaux éco-actifs) et la mise en place de technologies permettant de monitorer les espaces (mesures de la qualité de l’air, « smart cleaning » sur la base de l’occupation réelle…) et de déployer les moyens adéquats.

La santé sera à la fois physique et mentale. Mentale, parce que la période de confinement a mis le doigt sur le stress subi par un certain nombre de salariés en télétravail. Au sein de leur foyer, ils ont joué plusieurs rôles (parent, instituteur, animateur, cuisinier…) tout en assumant leurs responsabilités professionnelles. La porosité entre les sphères personnelle et professionnelle s’est exacerbée et le stress ressenti a pu être intense. Pour s’en libérer, revenons aux fondamentaux et revoyons l’organisation du travail pour séquencer les temps et donner à chacun les moyens de ne faire qu’une seule chose à la fois. La recherche d’une meilleure qualité de vie au travail ou bien-être en entreprise restera clef pour l’entreprise. Celle-ci devra continuer à garantir la sécurité et la santé de ses salariés et travailler activement à la réunion des conditions du bien-être au travail, puisque, de nombreuses études l’ont montré, il dope la productivité des salariés.

« Back to the future » : la technologie au service des besoins des utilisateurs et des investisseurs

Autre tendance qui va s’affirmer dans un monde post-Covid : le « smart building ». Développées depuis quelques années, les technologies Proptech créent un environnement de travail plus « intelligent », enrichissent l’expérience de vie au bureau et améliorent l’engagement des salariés. Cette tendance témoigne d’une véritable révolution dans le rapport au travail. Aussi, les immeubles de demain ne sauraient être pensés sans cette approche technologique globale.

Si nous avons fait le choix d’investir depuis quelques années dans un certain nombre de startups par le biais de notre fonds d’investissement mondial Spark[3], c’est bien que nous sommes convaincus que les solutions technologiques nous aident à répondre à l’évolution des usages des utilisateurs et des investisseurs. Outre la haute connectivité des immeubles, l’intelligence artificielle et la robotique pourront offrir une expérience de travail augmentée (interfaces sans contact, commande à la voix et objets connectés…). A titre d’exemple, au sein de nos propres bureaux en France, nous avons mis en place la solution technologique de la startup VergeSense qui nous permet, par le biais de caméras basse résolution — pour préserver l’anonymat des personnes —, de monitorer l’occupation des espaces de bureaux et de prendre, ainsi, les mesures de nettoyage appropriées ou bien d’être alertés lorsque la densité maximale souhaitée dans les espaces est atteinte. La technologie est donc au service des nouveaux besoins qui ont émergé.

La gestion de la data sera le corollaire du développement du « smart building ». Les immeubles smart aux usages monitorés vont générer quantité de données anonymes qu’il sera utile d’être en capacité d’exploiter pour piloter la performance et gérer les bâtiments au plus près des besoins des occupants et des impératifs d’efficience des propriétaires.

Un avenir radieux pour les immeubles à usages mixtes ?

Le portefeuille distribué sera indéniablement le grand gagnant de la crise. Le schéma directeur immobilier devra être refondu : un nouveau mix sera à définir entre bureaux, domicile, coworking, satellites de l’entreprise, antennes régionales… Il faudra tenir compte d’un cahier des charges renouvelé prenant en compte, tout d’abord, un nouvel équilibre entre télétravail et travail sur site. Conséquence de l’adoption massive du télétravail durant le confinement : les salariés passeront davantage de temps à leur domicile. Et pour se rendre au travail, ils privilégieront, lorsque c’est possible, les mobilités douces. Les villes du monde d’après l’ont bien compris et s’adaptent déjà. Elles font place à l’éco-mobilité, que ce soit la marche (que l’on a redécouvert à la faveur des sorties quotidiennes près de son domicile) ou plus encore le vélo, qui est devenu la star du déconfinement. Les pistes cyclables, parfois demandées depuis des années, ont ici fleuri en quelques jours !

La préférence pour le local s’exprime déjà nettement en matière de consommation. On peut penser qu’elle s’étendra, au-delà du panier de la ménagère, jusqu’au lieu de travail. L’entreprise ne pourra donc se limiter à des bureaux monoblocs, elle devra proposer des bureaux satellites, proches des lieux de vie de ses salariés, voire des antennes régionales pour ceux, nombreux, qui aspirent à une vie plus verte en régions. Tout cela ne sera possible que si les espaces professionnels proposés disposent de toute l’infrastructure requise en matière d’équipement et de connectivité. D’autres formats urbains pourraient également émerger, comme les immeubles à usages mixtes, qui peinaient jusque-là à trouver leur public. Ces espaces mutualisés au cœur du domicile ou du quartier pourraient constituer un modèle d’avenir dans le monde post-pandémie: en proposant un format urbain innovant, permettant de relocaliser le travail au plus près des lieux de vie, de créer des communautés d’appartenance ancrées dans leur territoire et de réduire la transhumance quotidienne jusqu’aux quartiers d’affaires. Le bureau s’invite déjà dans notre logement. Le logement, comme classe d’actifs, s’invitera lui aussi dans nos bureaux !

Face à un avenir incertain, le design et l’architecture devront être pensés en « pivots », capables de changer d’usages tout au long de la vie de l’immeuble. Les constructions mixtes et réversibles se développeront pour soutenir l’impératif de résilience.

L’immobilier responsable, un impératif pour demain

Nous le savons, notre secteur d’activité est l’un des principaux contributeurs en matière de pollution environnementale : le bâtiment est responsable à lui seul de 30 % des émissions de CO2 et de 70 % des déchets qui sont produits en France. La crise du Covid-19, en appuyant sur le bouton « pause », nous a rappelé cette réalité. Les cartes vues du ciel des niveaux de pollution avant et pendant le confinement sont éloquentes. Cette période de recul sur le niveau d’activité habituel nous invite à prendre, nous aussi, du recul sur l’impact de notre activité. Il est possible d’agir ! Et les effets peuvent être observables rapidement.

Il est donc de notre devoir de nous emparer de cette exigence environnementale. Concevons des solutions immobilières pérennes pour tous les acteurs, imaginons notamment des ensembles immobiliers à l’empreinte carbone réduite – au travers de mètres carrés mieux optimisés, de modes de construction inscrits dans l’économie circulaire et d’une forme de sobriété énergétique. Ce doit être l’objectif de notre secteur.

Utiliser notre expertise et nos innovations technologiques pour aider nos clients à prendre les meilleures décisions pour façonner un immobilier plus durable : c’est notre mission ! JLL a pris un engagement ferme sur ce thème, avec des objectifs quantifiés à horizon 2025. Nous souhaitons contribuer activement au recul de la pollution générée par notre secteur d’activité et aider nos clients à prendre des décisions éclairées en matière environnementale, en faisant en sorte que chaque mètre carré qui passe entre les mains de JLL soit plus vert.

Avec l’explosion des nouveaux usages, les entreprises vont devoir s’adapter à des forces vives à distance ou au bureau, en mouvement ! Elles devront être à l’écoute, afin de décoder et comprendre les signaux faibles, d’anticiper les nouveaux besoins. Celles qui prendront un temps d’avance seront celles qui sauront avancer sur le terrain du management. Car l’immobilier de demain n’est conçu que pour être au service des hommes et des femmes qui l’utiliseront. Et les entreprises qui auront su accompagner leurs collaborateurs, les responsabiliser et leur faire confiance seront en capacité d’affronter l’avenir sereinement et d’activer leur schéma immobilier au service de la performance collective. C’est aussi notre ambition, accompagner les entreprises, les propriétaires et les investisseurs, dans les défis à relever demain et leur offrir des perspectives renouvelées sur la performance du « monde d’après ».

[1] D’après une récente enquête JLL conduite auprès de 2115 travailleurs confinés dans 10 pays du monde, dont 225 Français.
[2] Ibid.
[3] Spark est un fonds de « venture capital » de 100 millions de dollars, lancé par JLL et consacré aux startups de l’immobilier.

Charles Boudet (JLL France) : "les sept tendances pour le futur du bureau..."