La loi Pinel ou la « chronique d’une régression annoncée »

Le projet de loi relatif à l’artisanat, aux commerces et aux très petites entreprises, porté par Mme Pinel, ministre de l’Artisanat, du Commerce et du Tourisme, sera discuté devant l’Assemblée Nationale au cours des jours qui viennent.

Destiné à protéger les petites entités commerciales et artisanales, ce projet prévoit, parmi diverses dispositions visant à promouvoir le développement des très petites entreprises, le statut de l’artisan, le régime des auto-entrepreneurs…, une réforme en profondeur des baux commerciaux qui, sur certains points, nous fera revenir trente ans en arrière.

Par sa formulation, ce projet destiné à protéger les très petites entreprises a une portée générale et concernera l’ensemble des locataires commerciaux et des classes d’actifs.

En l’état du projet qui a été lourdement amendé lors de son passage devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale les 28 et 29 janvier derniers, les mesures phares sont :

L’invention d’un plafonnement du déplafonnement

Tous les professionnels connaissent cette particularité du droit des baux commerciaux français qui confère à tous les locataires commerciaux un droit au renouvellement de leur bail, moyennant un loyer qui ne pourra pas excéder la variation de l’indice au cours du bail expiré, pour toutes les classes d’actifs à l’exception des bureaux, des locaux monovalents et des terrains nus.
Désireux de renforcer encore cette protection unique au monde, le projet prévoit, dans les rares circonstances permettant d’écarter ce plafonnement, d’en limiter les effets à une augmentation maximale de 10 % par rapport au loyer de l’année précédente.

La fin du bail ferme

Les professionnels, propriétaires comme utilisateurs, avaient obtenu en 1985, que la durée du bail soit assouplie. Depuis lors, les locataires peuvent renoncer à la faculté de donner congé pour le terme d’une période triennale, l’objet essentiel de cette souplesse étant de permettre au propriétaire de réaliser les travaux spécifiques pour l’accueil d’un locataire contre un engagement de rester plus longtemps.
Les deux parties avaient également trouvé, dans la réforme de 1985, la possibilité de réorganiser librement le calendrier de sortie du preneur en cours de bail.
Cette souplesse disparaîtrait.
C’est la fin du bail ferme comme du bail 2/4/6/9 par exemple.
Les investisseurs étrangers font déjà savoir qu’ils gèleront leurs investissements de bureaux en France si cette mesure est confirmée.

La fin du bail triple net

Le projet formule des exigences de transparence sur la répartition des charges dans un bail, ce qui est une saine préoccupation.
Mais au-delà de cette transparence, il prévoit, à l’instar des baux résidentiels, de décider par décret en Conseil d’Etat les charges et impôts qui « en raison de leur nature ne peuvent être imputés aux locataires ».

Création d’un droit de préemption du locataire en cas de vente du local loué : cette disposition est, elle aussi, inspirée par celles des baux d’habitation.

La prolongation des litiges

Aujourd’hui, les dispositions contractuelles contraires à l’ordre public sont nulles, la nullité devant, dans une majorité des cas, être invoquée dans les deux ans du bail en vertu du principe de prescription biennale du statut des baux commerciaux. Le projet prévoit de rendre la remise en cause de telles clauses imprescriptible.

Autres dispositions

Les autres dispositions portées par le projet sont plus neutres en terme d’impact, mais ne sont pas toujours abouties en l’état du projet.
Il en est ainsi :
. de l’élargissement de la durée des baux dérogatoires à trois ans, mais avec l’abandon de toute souplesse à l’issue de ceux-ci ;
. de l’élargissement de la compétence des commissions de conciliation ;
. de l’obligation de réaliser un état des lieux d’entrée et un état des lieux de sortie ;
. d’un ajustement du droit de préemption des communes ;
. de la reconnaissance textuelle de la convention d’occupation précaire ;
. de la possibilité de délivrer congé par simple lettre recommandée avec accusé réception ;
. et, enfin, d’un premier pas vers la suppression de l’indice du coût de la construction dans les baux commerciaux sous une forme qui en l’état du projet n’est pas aboutie.

On le voit, de nombreux sujets, parfois lourds, bougeront d’ici mardi, jour prévu pour le vote final devant l’Assemblée Nationale.

Projet de loi Pinel (1) : le point sur les débats et l'analyse de Marie-Odile Vaissié (LPA)