Après plusieurs périodes de privations successives, les Français ont indiscutablement retrouvé le chemin des commerces et l’on ne peut que se réjouir d’une reprise d’activité du principal moteur de la consommation dans le pays. Désormais, le temps se compte en semestres et c’est la rentrée 2021 qui a marqué le début d’une nouvelle étape dans le cycle de vie des commerces.

Oxygénation du marché des centres-villes

Depuis septembre 2021, la reprise des commercialisations sur les artères qui ont retrouvé un bon niveau d’affluence témoigne de la vigueur d’un marché de cœurs de villes qui mise fortement sur ses flux. Rappelons que la crise Covid a eu pour conséquence des ajustements pérennes des valeurs locatives de l’ordre de-10 % pour les rues commerçantes de proximité et la plupart des rues principales de province ; -20 % pour les artères numéro un parisiennes sensibles au télétravail et à la fréquentation touristique et -30 % sur celles qui cumulaient, de surcroît, une dépendance à la fréquentation estudiantine, particulièrement rive gauche.

Ces baisses ont impacté les bilans des commerces de petites surfaces qui constituent près des deux tiers des équipements commerciaux des hyper centres-villes et jouissent, pour la plupart, de baux historiques et de loyers qui étaient inférieurs avant crise à la valeur de marché. Avec la réduction de l’écart entre loyer payé et valeurs locatives, les pas de porte ont donc été particulièrement affectés dans le créneau des surfaces inférieures à 600 m2. A contrario, dans le segment des moyennes sur- faces, la baisse des valeurs locatives ayant directement impacté les loyers du fait de baux plus récents a eu pour effet vertueux de favoriser l’implantation en centres-villes d’enseignes de périphérie. Les surfaces libérées pendant la crise par les fermetures et arbitrages ont, ainsi, offert à celles-ci la possibilité de réintégrer le cœur des villes sur de plus petits formats à des loyers très compétitifs. C’est le cas d’enseignes d’équipement de la maison (Ikea, Habitat, Ubaldi, Boulanger, Leroy Merlin), sport (Décathlon) et discount (Gifi) boostées par la pandémie et l’effet cocooning du «stay at home».

Le marché parisien surfe sur la dynamique des Jeux Olympiques

A l’autre extrémité, le créneau du luxe a bien résisté ces derniers mois, à tel point que l’année 2022 devrait s’achever sur un record cumulé de signatures et d’ouvertures. Les artères fortement pénalisées durant les confinements par la disparition de leur clientèle internationale sont rapidement revenues à leurs niveaux de loyers d’avant crise. Elles ont bénéficié, à la fois, du soutien financier apporté par le redémarrage des marchés du Sud-Est asiatique et d’un repositionnement vers une clientèle plus captive comme les touristes européens et la génération des millennials.
Dotées d’une solide trésorerie, les grandes marques de luxe, mais aussi de sport, haute technologie et industrie automobile, investissent la Capitale en amont des Jeux Olympiques de 2024. Cet évènement planétaire constitue, pour les enseignes, un facteur d’attractivité internationale et une vitrine incontournable à l’échelle mondiale. Cette dynamique devrait profiter à la Capitale pendant quelques mois encore avant d’être freinée par les effets combinés de l’inflation et du gel des travaux sur voirie imposés à partir de la fin du 1er trimestre 2024…

La proximité plébiscitée

Avec le maintien du télétravail partiel et le retour intermittent des salariés au bureau, les artères de proximité ont stabilisé le rythme de leurs flux où se mêlent de façon continue travailleurs et résidents. Les commercialisations se poursuivent grâce à une demande soutenue des enseignes. Les axes les plus dynamiques ont vu leurs valeurs locatives revenir à leurs niveaux pré-Covid.

Il en va de même pour la grande majorité des rues commerçantes majeures des métropoles régionales avec quelques disparités, cependant, selon les marchés. Les villes comme Bordeaux, Lyon ou Toulouse sont restées très dynamiques durant la crise alors que Marseille reprend des couleurs après une forte période d’instabilité. De leur côté, les villes frontalières comme Strasbourg ou Lille reviennent à une nouvelle dynamique après avoir été privées de leur clientèle étrangère durant la pandémie.

Les « retail parks », vivement plébiscités par les consommateurs et les enseignes

Après l’année d’accalmie record de 2020 en terme de livraisons, les inaugurations de parcs d’activités périphériques reprennent doucement sous une forme qui contraste par rapport aux précédents historiques avec un fort recul des créations de nouveaux projets. Les créations pures représentent 50 % des surfaces à inaugurer en 2022, contre 86 % sur les cinq dernières années, au profit des extensions et, surtout, des restructurations, quasi inexistantes par le passé.

« Les Français ont indiscutablement retrouvé le chemin des commerces »

Au total, environ 250 000 m2 de parcs d’activités périphériques devraient être inaugurés en 2022, un volume en léger déclin par rapport à 2021 (-9 %). Les restrictions imposées par la législation limitant l’artificialisation des sols devraient ralentir le rythme des ouvertures de manière plus significative à l’avenir, par l’introduction d’activités nouvelles, non sou- mises aux mêmes exigences légales, et l’hybridation progressive des sites existants.

Au-delà du ralentissement des développements, le marché des « retail parks » se porte bien et a clairement démontré sa résilience depuis la crise Covid. Il devrait continuer à profiter des nombreux atouts du format, à savoir une configuration ouverte sur l’extérieur, un large panel de surfaces et d’activités, des facilités de stationnement et des coûts d’exploitation encore maîtrisés malgré la montée de l’inflation et des charges. Des arguments qui n’ont pas manqué de séduire les acteurs traditionnels de centre-ville, à l’instar de Celio, Bleu Libellule ou Bose, venus rejoindre les grandes enseignes d’équipement de la maison et de la mode qui assurent le succès de sites comme Waves en périphérie de Metz (57), L’Atoll à Angers (49), Shopping Promenade à Claye-Souilly (77) ou à Arles (13) et tant d’autres sites autrefois qualifiés de zones commerciales.

Le modèle des « retail parks » nouvelle génération fait donc consensus à en juger par l’activité locative et les performances de ventes des enseignes. Les valeurs locatives y sont stables, voire à la hausse sur les créneaux de surface les plus demandés, mais elles restent encore bien inférieures aux niveaux des centres-villes et des centres commerciaux traditionnels.

Les centres commerciaux : un marché plus mature

Malgré les fluctuations de la consommation et les aléas de fréquentation, les commercialisations et renouvellements se poursuivent au sein des galeries des centres commerciaux et, particulièrement, dans les centres régionaux qui ont renoué avec une activité pleine depuis la réouverture des restaurants et pôles de loisirs. Le modèle de centres commerciaux continue de s’adapter aux changements structurels du marché et poursuit sa mue avec le remplacement progressif des enseignes de prêt-à-porter, en perte de vitesse, par des activités de restauration, génératrices de flux continus.

Le secteur résiste avec un taux de vacance faible, de 5 à 6 %, qui s’explique par l’implication des bailleurs qui ont su entamer avec leurs locataires la négociation de mesures d’accompagnement, avec, selon la nature des centres, des ajustements de loyer de l’ordre de -15 à -20 % là où les taux d’efforts le justifiaient. Ces aménagements ont ainsi permis d’assurer la pérennité des commerçants et de main- tenir les valeurs locatives dans ce contexte singulier, notamment sur les formats régionaux et super régionaux et les galeries de proximité.

Cette logique du taux d’effort constitue, à ce jour, un point de vigilance crucial tant pour les enseignes que pour les bailleurs à l’heure où les charges vont augmenter de manière substantielle en raison de l’évolution des coûts de l’énergie. Ce sujet amène, tout naturellement, les bailleurs à se pencher concrètement sur les politiques et réglementations sociétales et environnementales afin d’inciter les locataires à entrer dans le cercle vertueux et partagé des économies d’énergie.

En matière de déploiement, l’année 2021 a enregistré un net recul, avec 108 000 m2, contre 200 000 m2 en 2019, souffrant de nombreux reports et annulations d’opérations. Les perspectives2022 semblent un peu plus optimistes avec le retour des flux de clientèle et l’arrivée de nouveaux investisseurs étrangers attirés par l’attractivité du marché français. Environ 150 000 m2 supplémentaires devraient voir le jour d’ici la fin de l’année, c’est mieux qu’en 2021, mais bien en-deçà de la moyenne décennale (260 000 m2)…

Les nouveaux mètres carrés sont, avant tout, le fait de restructurations (45 %) et d’extensions (43 %) de sites historiques comme, récemment, Les Quatre Temps, Cité de l’Europe, Polygone ou Cap 3000. Pour les créations nouvelles à venir, les développeurs visent les friches à restructurer et s’orientent vers des projets de plus petite taille, accompagnés d’activités non commerciales afin de rester en conformité avec la loi tout en répondant aux nouvelles exigences sociologiques et urbanistiques.

Nouveau record battu sur le marché de l’investissement !

Avec 1,55 milliard d’euros investis en murs de commerces au 3ème trimestre, le marché bat un nouveau record historique. Le volume cumulé à fin septembre de 4,4 milliards d’euros, similaire au volume total de 2020, dépasse d’ores et déjà celui de l’année dernière et se rapproche de la moyenne annuelle décennale (4,6 milliards d’euros). Les performances de ces derniers mois font remonter la part des commerces au sein du marché de l’investissement en immobilier banalisé à 22 %. Une prise de part de marché qui s’effectue, une fois n’étant pas coutume, aux dépends du marché tertiaire, grâce à la reprise des opérations de plus de 100 millions d’euros.

Le 3ème trimestre voit le retour des actifs de centres- villes avec une part qui remonte à 32 % du volume investi depuis le début de l’année. Un retour en grâce qui s’explique par la concrétisation d’une opération d’envergure à dominante de commerces au 150, avenue des Champs-Elysées (8ème) pour plus de 600 millions d’euros. Le segment « retail parks » maintient la cadence avec 20 % du volume, en ligne avec la tendance des cinq dernières années et le compartiment centres commerciaux reprend égale- ment de la vigueur avec 31 %, alimenté par cinq opérations de plus de 100 millions d’euros.

Selon Vanessa Zouzovsky « International partner & head of retail capital markets» de Cushman & Wakefield France, au vu des transactions initiées à ce jour et des promesses en cours, l’année 2022 devrait s’achever sur une note très positive avec plus de cinq milliards d’euros d’actifs transactés, un montant supérieur à la moyenne décennale. L’ampleur de ce volume ne devrait, cependant, pas occulter les préoccupations des investisseurs quant aux incertitudes pesant sur la conjoncture mondiale et les effets de la crise sur la consommation et les conditions de financement. L’activité transactionnelle des prochains mois pourrait, ainsi, rebattre les cartes de cette dynamique avec une probable remontée plus généralisée des taux et un recul proportionnel des volumes engagés…

« Au vu des transactions initiées à ce jour et des promesses en cours, l’année 2022 devrait s’achever sur une note très positive avec plus de cinq milliards d’euros d’actifs transactés »

Christian Dubois (Cushman & Wakefield) : « une nouvelle étape dans le cycle de vie des commerces »