Comment a été fondée la Société des Grands Magasins ?

Je travaille dans l’immobilier depuis une dizaine d’années ; je travaillais sur des réhabilitations d’immeubles en centre-ville. Or, depuis plusieurs années, j’étais surpris de voir des centres commerciaux à l’abandon, alors qu’ils étaient construits sur des emplacements qu’on ne pourrait plus trouver aujourd’hui. J’ai décidé de créer il y a deux ans une foncière ayant pour objectif de racheter et de réhabiliter des centres commerciaux en perte de vitesse. En deux ans, nous avons acquis sept centres commerciaux, dont le dernier à la mi-mai 2020, avec une trentaine de collaborateurs de parcours totalement différents, en essayant de réinventer les codes du commerce. Notre portefeuille représente 150 000 m2 de commerces.

Comment ciblez-vous vos actifs ?

Volontairement, nous sommes extrêmement opportunistes, à la recherche d’actifs urbains, avec des zones de chalandise suffisamment importantes. Typiquement, notre critère est une ville d’environ 100 000 habitants ou une zone de chalandise primaire de 150 000 consommateurs. Nous étions engagés sur notre dernière acquisition auprès d’Hammerson depuis fin 2019.

Après la crise sanitaire, les centres commerciaux sont-ils toujours un investissement attractif ?

La crise aura donné raison quelque part à notre stratégie. Les actifs de ce type ont prouvé leur résilience. Ainsi, tous nos actifs sont restés ouverts pendant le confinement et ont profité d’un lien privilégié avec leurs clients ; la plupart de nos commerçants ont réalisé des chiffres d’affaires significatifs, ce qui prouve la volonté des gens de consommer, au-delà d’un effet d’aubaine de la première semaine du déconfinement. Si, dans un premier temps, le e-commerce a bousculé les habitudes de consommation, finalement le net est devenu un véritable allié du commerce physique qui, décidément, a encore de longues années devant lui.

Cependant, la question du report de loyers pendant le confinement s’est posée pour les centres commerciaux…

La période que nous venons de vivre fut, bien sûr, délicate. Nos revenus se sont énormément amoindris, beaucoup de commerçants ont souffert, mais il faut rappeler que nous sommes en France et que beaucoup également ont pu bénéficier d’aides et nombre d’entre eux sont plutôt optimistes face à l’avenir. La médiation du gouvernement fut une excellente chose : avant même que le Premier ministre ne recommande aux grandes foncières (ce que nous ne sommes pas) d’annuler les loyers de leurs commerçants, nous avions déjà pris des mesures pour pouvoir les accompagner au mieux, en proposant d’annuler, de reporter, d’échelonner, au cas au cas, nous permettant d’anticiper largement la Charte de bonnes conduites. Ce n’est que du bon sens ! Un centre commercial de centre-ville, pour fonctionner, a besoin de grandes enseignes, de petits commerces, de services au quotidien.

Ce qui est, en revanche, très désagréable, c’est le comportement des très grandes enseignes qui, pour certaines, ont bénéficié de centaines de millions d’euros de prêts garantis par l’Etat et qui refusent de payer leurs loyers, voire les charges, demandant l’annulation pure et simple. Or, je tiens à dire que les bailleurs ne sont pas de riches nantis assis derrière un fauteuil, attendant le paiement des loyers, mais, comme eux, des maillons de la chaîne économique, qui investissent pour la redynamisation des centres commerciaux. La médiation a permis de fixer ces questions.

Quand on regarde les plus grosses sociétés cotées (ce que nous ne sommes pas, à nouveau), ce sont celles qui ont le plus souffert du Covid-19, en raison de la chute des actions en Bourse, tandis que les sociétés de taille intermédiaire ont tiré leur épingle du jeu. Les foncières qui possèdent des centres commerciaux en centre-ville, telles que Mercialys ou Carmila, ont très bien résisté à la crise.

Quelles sont vos perspectives ?

Nous nous imaginons bien poursuivre nos investissements ; nous sommes en cours de négociations pour acquérir d’autres centres commerciaux… La mode était aux très grands ensembles commerciaux depuis des années. Ce modèle commence à parvenir à ses limites et je me demande si le monde d’après ne sera pas intéressé par la consommation locale. Faire travailler le commerçant local est presque devenu un devoir civique. La tendance était au « retail bashing » et, en tant qu’acteur différent, nous avons vu que, comme toujours, les périodes de crise ont poussé à des solutions innovantes, que ce soit le « click and collect » et des outils de vente en ligne, et quoi qu’il en soit, le commerce physique sera toujours au rendez-vous. Au-delà des théories, la réalité existe aussi : nos 30 millions de visiteurs chaque année n’ont pas lu les analyses sur le supposé « retail bashing », mais viennent consommer tous les jours. Nous sommes très optimistes face à la reprise.

Frédéric Merlin (Société des Grands Magasins) : "le commerce physique a encore de longues années devant lui"...