Quel état des lieux dressez-vous du marché actuel des centres commerciaux ?

Jusqu’au mois d’août, les chiffres étaient plutôt bons. Et puis, le pass sanitaire est passé par là, générant une confusion totale dans l’esprit des consommateurs. L’impact a été désastreux pour l’ensemble des centres commerciaux, pas uniquement pour ceux de plus de 20 000 m2 concernés par la mesure. La baisse de leur taux de fréquentation a pu atteindre 30 à 40 % pour certains d’entre eux. Le mois d’août 2021 a, quant à lui, été synonyme de chute de 23 % par rapport à août 2019, que l’on prend comme année de référence. Aujourd’hui, seul le département des Bouches-du-Rhône est encore soumis au pass sanitaire pour ses grands centres commerciaux, ce qui a eu comme effet presque immédiat une petite reprise de 1 % de la fréquentation, à l’échelle nationale, pour la semaine du 13 au 19 septembre. Il faut aussi noter qu’il existe un net décalage entre l’évolution de la fréquentation et celle du chiffre d’affaires ; c’est-à-dire que, pendant la crise, les visiteurs étaient des acheteurs. Au mois de juin, la fréquentation a augmenté de 4,7 % par rapport à juin 2020, tandis que le chiffre d’affaires s’accroissait de 16,5 %. Le taux de transformation est donc particulièrement élevé ! Le panier moyen par visiteur est plus conséquent et les gens viennent moins pour se promener et flâner que pour acheter des produits qu’ils ont parfois ciblés avant leur visite.

Êtes-vous optimiste concernant les perspectives, à court et moyen termes, du secteur ?

Sauf nouvelle catastrophe liée à la crise sanitaire, nous sommes plutôt optimistes, car nous avons constaté qu’à la suite de chaque réouverture, les bonnes habitudes se reprenaient rapidement. Les gens ressentent un besoin social de se réunir, qui s’ajoute au besoin économique de consommer. Le shopping en chambre atteint vite ses limites ! Du côté des commerçants, les fermetures administratives les ont contraints à repenser leur modèle en développant l’omnicanalité. Ils se sont mis, bon an mal an, à avoir recours à d’autres façons de vendre, notamment via le « click & collect ». Le taux d’équipement des commerces a augmenté et l’expérience-client est dorénavant multicanales, multipliant les chances d’attirer et de fidéliser le consommateur. Le centre commercial constitue aujourd’hui le premier réseau logistique de proximité en France ; 80 % de la population française dispose d’un centre à moins de 20 minutes de chez elle.

La loi climat a été définitivement adoptée par le parlement le 20 juillet 2021 ; elle interdit l’implantation de nouvelles surfaces commerciales entraînant une artificialisation des sols. Cela peut-il avoir un effet sur la construction de nouveaux centres commerciaux ? Ceux déjà existants peuvent-ils en tirer parti ?

Pour des raisons d’ordre politique et économique, il ne viendrait aujourd’hui plus à l’idée d’un promoteur de planter un centre commercial en plein « champ de patates », si j’ose dire. Les développements « greenfield » (construction sur des terrains vierges), comme disent les Anglo-saxons, c’est terminé ! Les centres commerciaux, qui sont âgés, pour le plus grand nombre, d’une trentaine d’années, sont de vieux équipements. L’accent est donc mis davantage sur la rénovation, la restructuration, voire l’extension des unités déjà implantées, que sur la construction de nouvelles entités. En région parisienne, la plupart ont connu une rénovation et un agrandissement, à l’image de Créteil Soleil (94) ou encore Westfield Vélizy 2 (78). À côté de Nice, Cap 3000 (Saint-Laurent-du-Var, 06) est aussi à cette image, grâce au travail effectué par Altarea. De plus, je suis convaincu que les centres commerciaux de demain seront des lieux de vie, avec des loisirs, du coworking, des services publics… Ils seront des morceaux de ville à eux seuls ! La boîte à chaussures monofonctionnelle et isolée au milieu d’un océan de parkings, c’est un concept qui appartient au passé.

Où en sont les projets de construction qui avaient été conclus avant le début de la crise sanitaire ? Ont-il été définitivement abandonnés ?

Il est évident que beaucoup de centres pour lesquels le chantier n’avait pas démarré avant mars 2020 ne verront jamais le jour. L’incertitude du contexte a logiquement échaudé les promoteurs et autres acteurs qui avaient décidé de se lancer dans des projets de construction. Il n’y avait, de toute façon, pas beaucoup de projets de ce type dans les cartons ; le pipeline d’avant la crise était composé pour 80 % de projets de rénovation et pour 20% de création intégrale de nouveaux centres, qui ne devaient pas dépasser les dix sur l’ensemble du territoire français.

Quel regard portez-vous sur l’effondrement des cours de Bourse des foncières spécialisées ? À titre d’exemple, le cours de URW (Unibail-Rodamco- Westfield) a complètement dévissé ces derniers temps…

Les marchés ont toujours tendance à surréagir aux conjectures, dans un sens comme dans l’autre. Il n’est pas illogique que les investisseurs aient, en quelque sorte, « blacklisté » les foncières de commerce. Il y a quinze ans, il était reproché à certaines foncières d’être trop généralistes. Aujourd’hui, il est tenu le discours inverse, à l’aune de la crise que traverse le secteur du commerce depuis le début de la pandémie. Comme les cours en Bourse, les discours fluctuent en fonction de ce qui fait l’actualité, c’est une réaction normale mais pas complètement significative de la réalité. Et puis, il faut distinguer la valeur commerciale et celle du foncier. Prenez l’exemple des Quatre Temps, à La Défense: si demain le centre n’attirait plus personne, ce qui est hautement improbable, la valeur du foncier en elle- même resterait très importante.

Il est aussi utile d’ajouter que la crise aura eu comme avantage de desserrer les taux de capitalisation entre bons et mauvais actifs ; les mauvais étaient trop fortement valorisés comparés aux meilleurs. Dans un réflexe panurgien, il suffisait que les investisseurs institutionnels voient écrit « retail » pour acheter, car c’était ce que l’époque valorisait. La valeur réelle de l’actif (emplacement, structuration interne, valeur des commerces…) était mise au second plan, d’où cet écart faible, voire inexistant entre bons et piètres actifs. Je pense que l’on va revenir à une analyse plus discriminante et, surtout, plus raisonnée.

Le commerce de proximité sort renforcé de la crise, dans le sillage du Programme Action Cœur de Ville, le plan du gouvernement sur cinq ans (2018-2022) visant à revivifier et redynamiser les centres-villes de 222 villes intermédiaires en France. Pensez-vous qu’il puisse y avoir concurrence entre ces commerces dits « de rue » et les centres commerciaux, à la défaveur de ces derniers ?

Il existe un biais de jugement sur ce sujet, car les centres commerciaux sont justement, pour la plupart d’entre eux, des commerces de proximité. S’ils étaient situés en périphérie des villes lors de leur création, ils ont peu à peu été rattrapés par ces dernières, qui se sont étendues au fil des décennies. Les centres commerciaux d’aujourd’hui sont majoritairement totalement intégrés dans un tissu urbain. L’offre commercial et le confort d’achat sont donc au rendez-vous. De plus, sur les 838 centres commerciaux que compte la France, il y en a un sur cinq qui était dès le départ intégré à un centre-ville. D’un point de vue plus pragmatique, il faut aussi sortir de cette vision purement parisienne et élitiste qui nous fait croire que tous les Français disposent des mêmes moyens financiers. Tout le monde ne peut pas se permettre d’aller faire ses courses chez Monoprix ! Dans les territoires, des gens au pouvoir d’achat plus serré sont bien contents de trouver des produits de qualité et à des prix accessibles dans les grandes surfaces, même si elles présentent un visage moins glamour que le petit commerce de proximité.

Gontran Thüring (CNCC) : « le shopping en chambre atteint vite ses limites ! »