Quelles conséquences la crise sanitaire a-t-elle sur le commerce de centre-ville ?

Nous avons des problématiques de déshérence et de vacance fréquentes dans les villes comme dans les centres commerciaux ; en dehors des négociations dues au Covid-19 que subissent toutes les foncières et que doivent traiter les locataires de grandes enseignes, il y a des problèmes d’occupation d’espace. Les centres-villes de province ou de première couronne vont réellement en souffrir. Nous avons quelques zones qui sont épargnées, toujours les mêmes : il s’agit des emplacements « core + », comme le Marais, la rue des Saint-Pères, bref toutes les rues proches des grands axes, où l’on constate une vraie résilience, puisque les loyers n’étaient pas encore au maximum de ce qu’ils pouvaient être. La plus grande surprise vient des emplacements « core », normalement stabilisés par de grandes enseignes, comme la rue du Commerce, les Champs-Elysées ou la Croisette à Cannes, qui ont à présent des espaces en manque d’occupation, avec les mutations au sein des grandes marques, les « pure players » du « retail » depuis quinze ans : on parle de Vivarte, de Camaïeu, de la Grande Récré, de Zara, qui faisaient les grands jours du « retail » à Paris et qui se recentrent aujourd’hui sur de nouveaux formats ou le digital. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne vont pas prendre plus grand, mais cela signifie surtout qu’ils vont libérer des emplacements afin de repenser leurs formats…

Avec Ellia Urban Signature, vous proposez une solution originale pour les locaux vacants : les utiliser pour organiser des évènements culturels…

Ellia Urban Signature est une marque du Groupe Euro Conseil. Nous occupons depuis sept ans nos propres espaces en tant que foncière et commercialisateur avec nos propres concepts : art, culture, caritatif, collaboration avec différents acteurs… Nous proposons également nos services pour compte de tiers, avec notre propre foncière qui investit 30 à 40 millions d’euros chaque année en France, surtout à Paris. Nous souhaitions travailler sur le « value-added », en occupant les espaces vacants, libérés par des marques ; nous avons à présent beaucoup de foncières partenaires, et même concurrentes, qui nous demandent ce type d’occupation d’espaces.

Nous faisons en sorte que chaque ville, chaque artère, chaque rue puisse avoir sa galerie, avoir un sens grâce à des concepts innovants. Chaque quartier que nous mettons en situation peut prendre une dimension digitale, une dimension de savoir-faire, une dimension artistique… Nous essayons de créer une autre dimension, tout en conciliant la proximité : nous ne croyons plus aux mono-formats de rue et ceci, pour éviter que les commerces soient autant impactés qu’ils le furent pendant la crise sanitaire.

Notre galerie Ellia Art Gallery fédère aujourd’hui 250 artistes, issus du tag, du street art, sous le credo « entertain your life », afin de créer toute une animation autour de l’engagement culturel et artistique. Nous sommes mécènes pour d’autres artistes, nous organisons des évènements, nous créons des collaborations entre artistes et le tout, en plein centre-ville. Rien n’est pire que d’avoir des locaux vacants pour les foncières, en risquant une dépréciation de ces locaux vides. Pour les utilisateurs, il ne faut absolument pas paupériser nos rues, mais les faire vivre. Ce n’est pas, bien sûr, la seule solution ; j’espère aussi que les marques se réveilleront vite et que les bailleurs feront des corrections de certaines valeurs pour laisser la place à de nouvelles enseignes…

Pensez-vous que la crise sanitaire va aussi encourager une plus grande flexibilité des baux commerciaux ?

Ma conviction profonde est en faveur de l’asset management agile. L’agilité est imposée aujourd’hui : les acteurs du « retail » ont trop pris l’habitude d’avoir des actifs immuables avec un taux de rendement entre 4,6 et 5 %. Aujourd’hui, un actif aura plusieurs vies : en dix ans, il sera à la fois un endroit de vente, un « showroom », un relais de croissance, un axe de transition numérique, un point de « merchandising ». Les actifs doivent être modulables, polyvalents et intelligents désormais, et les asset managers doivent le prendre en compte, à moins que les marques ne créent elles-mêmes cette flexibilité.

Avec une tendance à la proximité des commerces, va-t-on vers une redistribution des zones commerciales ?

Une grande population à Paris a besoin d’hyperproximité ; l’hyperconnexion a mis tout le monde sur la sellette et aujourd’hui, elle a poussé à l’hyperproximité. Chacun est heureux de redécouvrir la supérette, le bistrot du coin, l’artisan du quartier… Ma préconisation, devant les grandes artères telles que l’avenue Montaigne à propos desquelles on s’interroge depuis les gilets jaunes, est que celles-ci ont tout intérêt à se recentrer sur les commerces de première nécessité. Chaque acteur a besoin d’être polyvalent et le Covid n’a fait qu’accélérer cette tendance à se réinventer.

L’e-commerce : atout ou menace pour le commerce physique ?

Un grand atout : ceux qui en ont peur n’ont plus rien à faire dans ce métier. Il ne faut pas se résigner, mais prendre la vague et surfer avec. L’e-commerce, même avec ses potentiels de croissance énormes, ne remplacera pas la relation des boutiques avec les clients. Le défi pour le commerce ces prochaines années sera d’exploiter au mieux la « data », de rencontrer le client, faire corps avec lui et correspondre à sa demande. Je crois aux « pure players » du digital qui ont besoin de rencontrer leurs acteurs, tels qu’Alibaba, Pixmania, Google, Microsoft, par l’usage du « showroom ». Les marques aussi feront une grande transition numérique dans leurs espaces, avec des expériences multicanaux ou, tout simplement, la borne digitale.

En 2021, les investisseurs reviendront-ils à l’immobilier de commerce ?

On parle beaucoup de la logistique du dernier kilomètre : il ne faut pas perdre de vue qu’on parle de centres-villes avec des mètres carrés à un coût élevé, là où la logistique hors zone est à 120 euros le mètre carré. Les investisseurs vont devoir se positionner sur l’asset management agile et les moyens de rendre un actif résilient, et donc s’intéresser à ce qui se fait à l’intérieur de leurs propres actifs. Je parie sur l’émergence de foncières investies dans cette démarche. Il va falloir attendre encore deux-trois ans pour que les institutionnels acceptent ce virage, mais le « retail » a encore de beaux jours devant lui. Si on est au contact de ses utilisateurs, on n’a pas à craindre la vacance, mais l’anticiper et s’adapter…

Stéphane Ellia (Euro Conseil) : des solutions existent pour ne pas laisser les locaux vacants…