La visite vaut le détour, entre les neuf expositions qui se répartissent entre le potager du Roi (rarement ouvert au public), l’Ecole Nationale d’Architecture, le bâtiment de l’ancienne poste de béton précontraint acquise récemment par la Ville, ou l’ancien hôpital royal du boulevard de la Reine. Il y a de tout un peu, à voir, à réfléchir, à admirer, mélange de leçons de choses et de créations futuristes.

Parce qu’on peut difficilement tout voir en une seule journée, nous avons retenu trois ou quatre expositions, les plus emblématiques à nos yeux.

« Visible, invisible », l’expo inaugurale du parcours, portée par l’ENSA de Versailles et ses deux enseignants architectes Guillaume Ramillien et Nicolas Dorval-Bory, déployée sur le site exceptionnel de la Petite Ecurie, vous donnent d’emblée les clés de la Biennale. Il y est question de matériaux, de formes (le visible) et des éléments tout aussi structurants de l’architecture que sont le carbone, l’énergie, la température (l’invisible). Les bâtiments Mansard prêtent leur bel ordonnancement aux nouvelles pratiques d’une quarantaine d’architectes, locaux et internationaux, confrontés au répertoire exhaustif des ressources matérielles et énergétiques de la région, et vous donnent à voir une spectaculaire Monumenta, qui va du chanvre récolté en Seine-et-Marne, aux monceaux de terre excavés des chantiers du Grand Paris, en passant par la carrière de calcaire de Meudon. Un open data, un « lieu ressource » comme on le traduit en français, de l’architecture contemporaine, cadre de plusieurs ateliers qui seront ouverts au public pendant toute la durée de la Biennale, à quelques mètres de l’extraordinaire galerie des sculptures et des moulages du Louvre, collection unique au monde de statues de pierre et de gypse. On est à l’école, mais dans une ville nouvelle du 17ème siècle. Le fait d’un prince devenu roi soleil. Cela vaut bien une Biennale.

Au premier plan : Jana Revedin Au second plan : Thailandis Boonserm Premthada

Passée la cour des fontaines, on découvre « Terre ! Land in Sight ! », comme « la Terre en vue » après une traversée d’un océan initiatique, une exposition portée par ses deux curatrices et architectes Jana Revedin et Marie-Hélène Contal. Cette dernière dirigeant le développement culturel de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, longtemps présidée par le maire de Versailles et président de la Biennale, François de Mazières. C’est dans cet établissement musée du Palais de Chaillot, avec la complicité de sa directrice et de son président d’alors que la contessa vénitienne Revedin, urbaniste qui professe à l’Ecole Supérieure d’Architecture du boulevard Raspail à Paris, qui a travaillé dans les quartiers du Caire avec Soeur Emmanuelle, enseigné en Suède et dans plusieurs écoles d’Amérique du Sud, a créé dès 2006 le Global Award for Sustainable Architecture (1).

« Terre ! Land in Sight ! » réunit trois pavillons, conçus par trois lauréats du Global Award. A voir pour leur singularité. Notamment l’incroyable Théâtre de l’Eléphant de l’architecte Thaïlandais Boonserm Premthada. Ou comment on standardise une production industrielle de briques à partir des excréments du pachyderme…

On sort des locaux de la Petite Ecurie, sur l’avenue de Paris, face à l’esplanade du Château, et nous nous heurtons à « la paroi biodiversitaire » du pavillon de la Métropole du Grand Paris imaginé par l’agence ChartierDalix. Les deux jeunes et déjà très primés architectes parisiens – il livrent actuellement le nouveau siège de l’AP-HP – surplombé d’un jardin paysager – ayant imaginé un mur porteur dans l’épaisseur duquel ils glissent une terre vivante et nourricière de nombreuses espèces végétales. Une hybridation d’architecture classique et d’agriculture verticale…

De l’autre côté de l’avenue, se dresse l’ancienne poste centrale de la ville, un hymne au béton précontraint récemment acquis par la ville. Nous avons retenu l’exposition « district 2024, au delà du village des athlètes », présentée par son commissaire, l’architecte Dominique Perrault, comme « une véritable réflexion urbaine de long terme des équipes de maîtrise d’oeuvre et des acteurs des territoires et des collectivités (…), un village conçu comme un héritage des Jeux Olympiques qui se dérouleront en 2024 au nord de Paris (…), un héritage possible pour fonder une nouvelle habitabilité de notre planète». Puisqu’on vous dit que la visite de la BAP rend optimiste !

Ne manquez pas non plus, toujours sous l’autorité bienveillante du commissaire Dominique Perrault, le pavillon du Grand Paris Express, sis dans l’ancien hôpital royal Richaud, avenue de la Reine. La scénographie est exceptionnelle. On entre physiquement, Perrault parle d’ « immersion », au cœur du plus grand chantier de ce siècle, vitrine du savoir-faire français. Film à 360 degrés, nombreux entretiens, maquettes pédagogiques. On y est pour de vrai. Et d’insister, c’est bien le thème central de cette biennale, sur la maîtrise de l’artificialisation des sols, en regard des mobilités quotidiennes fluides, d’une métropole désirable. Op-ti-miste !

L’ incontournable maître français du paysage Gilles Clément, père des premières expériences réussies de renaturation en ville, associé à l’agence Coloco de l’achitecte paysagiste Georgieff, a entraîné ses élèves de l’école du paysage de Versailles dans la réalisation d’une exposition, « La préséance du vivant », au sein du Potager du Roi, qui vaut à elle seule le déplacement. Et l’on découvre, apaisé, qu’il n’est pas question de stopper la ville, mais de la penser « comme un lieu possible de l’exploration du vivant », et cette exposition qui lui est consacrée « comme un espace de rencontre entre les savoirs scientifiques et l’émerveillement poétique ». Sic !

On peut s’étonner, sans persifler, de l’absence de la Ville de Paris. Cette deuxième Biennale (la première, sans grande publicité, avait connu en 2019 quatre cent mille visiteurs, ce qui n’est pas rien) est, d’abord et avant tout, le fruit, depuis l’origine, de la bonne entente entre le maire de Versailles, François de Mazières, et la présidente de la Région Ile-de-France, Valérie Pécresse. Si le tropisme du premier pour l’urbanisme est connu, ce n’est pas faire offense à la candidate malheureuse à la dernière présidentielle que de découvrir seulement aujourd’hui sa passion pour l’urbanisme (2). Les deux élus ne se quittaient pas le jour de l’inauguration et n’ont cessé de se renvoyer le compliment : « François est un moteur vivant », « Valérie nous a donné les moyens de ce démonstrateur du savoir-faire français et étranger », « cher François, nous lançons actuellement la réflexion sur le Sdrif (3), et toutes les idées émises pendant cette Biennale nous serviront ».

(1) Gallimard a fait paraître le jour de l’inauguration de la Biennale « L’architecte et l’existant, construire avec ce qui est déjà là », petit manifeste de 150 pages, œuvre collective d’une quinzaine d’architectes sous la direction de Jana Revedin. On y retrouve Marie-Hélène Contal, mais également Boonserm Premthada. On y retrouve également tous les thèmes qui foisonnent dans cette Biennale.

(2) Jamais loin de la présidente Valérie Pécresse parcourant « sa » Biennale, on a pu croiser Marion Zalay, aussi discrète qu’influente ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts, fille d’architectes, présentement directrice de la cohésion territoriale au sein de l’administration de la région capitale (après avoir dirigé l’agriculture régionale pour le compte du Préfet de Région). Elle fût parallèlement la coordinatrice du pôle ruralité de la campagne présidentielle de sa patronne et amie. Les observateurs savent la part que cette fonctionnaire a prise dans la réussite de cette Biennale.

(3) Le Schéma Directeur Régional d’Ile-de-France devenu récemment le SDRIF-E (E pour environnemental) est actuellement en cours de révision, pour redéfinir l’horizon 2040, sous la conduite de l’Institut Paris Région. Cet institut aux travaux souvent méconnus a fourni de nombreuses et passionnantes illustrations à la BAP.

Foutraque et passionnante