Difficile de trouver, en 2022, un promoteur immobilier qui ne le mette pas en avant. Dans un contexte de prise de conscience collective des enjeux climatiques et de la nécessité d’enrayer le réchauffement de la planète, le concept de recyclage urbain s’est imposé dans le secteur avec une rapidité saisissante. Il y a encore quelques années, rares étaient les grands groupes à s’y pencher sérieusement ; seule l’entreprise Novaxia en avait déjà fait sa raison d’être lors de sa création, il y a plus de 15 ans. « Depuis que nous existons, nous avons toujours endossé un rôle d’évangélisateurs, mettant en lumière une façon de faire de l’immobilier ultra-marginale il y a encore une décennie» introduit Mathieu Descout, président de Novaxia Investissement. « C’est une belle récompense de voir que d’autres puissants acteurs du monde de l’immobilier nous ont suivis sur ce chemin ».

Il faut dire que plusieurs éléments ont conduit, de gré ou de force, à cet éveil des consciences, à commencer par la réglementation française. Deux textes de loi viennent immédiatement à l’esprit : la loi Climat et Résilience, promulguée à l’été 2021 et intégrant le dispositif de « zéro artificialisation nette des sols » (ZAN) à horizon 2050 ; le Décret tertiaire, voté deux ans plus tôt, à l’été 2019, et visant à réduire la consommation énergétique des immeubles de bureaux. Longtemps devancée en terme d’ambition écologique par ses voisins nordiques, la France a semblé vouloir combler son retard en peu de temps. «Notre pays est entreprenant sur le volet des réductions des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de l’immobilier » exprime Diego Harari, directeur de l’innovation et du développement durable chez Vinci Immobilier. Une avancée réglementaire qui a, néanmoins, engendré quelques casse-têtes…

La juste définition

Depuis plusieurs années, la France se trouve dans une situation de sous-offre en ce qui concerne le logement, alors même que la demande explose et qu’un nombre toujours aussi conséquent de Français se retrouvent dans l’impossibilité de se loger. Dans le même temps, le dispositif ZAN est venu entraver la liberté, pour les acteurs de l’immobilier, d’étendre la ville indéfiniment, dans un objectif de respect de la biodiversité passant par la non-pollution de nouveaux sols. Comment conjuguer cette nécessité de construire plus de logements et cet impératif de sobriété foncière inscrit dans le marbre de la loi ? En utilisant du foncier existant, mais inutilisé, laissé à l’abandon ; bref, en faisant du recyclage urbain. Encore faut-il définir clairement le périmètre que recouvre ce terme. Dit autrement, distinguer ce qui relève du recyclage urbain de ce qui en est exclu. « Le recyclage urbain n’étant pas un concept normé et clairement défini, chacun en a sa propre définition » déplore Diego Harari. « Pour nous, il englobe uniquement les actifs obsolètes à recycler. Prétendre que démolir trois ou quatre maisons en parfait état, occupées et possédant une valeur vénale sur le marché, est du recyclage urbain, cela me paraît galvaudé. Chez Vinci Immobilier, nous n’entendons le recyclage que comme un redéveloppement d’un ou plusieurs actifs sur des fonciers portant des activités obsolètes ou arrêtées, comme les friches industrielles, les ensembles commerciaux frappés par la vacance, le tertiaire abandonné… ».

Analyser les besoins

Pour que le recyclage soit possible, deux éléments doivent se « rencontrer » : d’un côté, un foncier obsolète dont le changement de destination est envisageable (tertiaire transformé en bureaux, entrepôts en hôtels…) et, de l’autre, un projet clairement défini. Depuis la crise du Covid et l’essor puis la pérennisation du distanciel, un nombre croissant de bâtiments tertiaires ont vu leur taux de vacance exploser, voire être désertés totalement. La « réserve foncière » la plus conséquente semble se situer là. « La perte de valeur de certains immeubles de bureaux en font, de facto, l’une des seules unités foncières disponibles dans les villes denses pouvant être recyclées et répondre, ainsi, aux besoins de la ville à court, moyen et long termes » indique Diego Harari.

Reste le projet de transformation. « Le recyclage urbain est un moyen, mais il faut procéder en amont à une analyse des besoins » précise Mathieu Descout. Au-delà des besoins en logements, d’autres secteurs d’activités plus spécifiques sont également en recherche de locaux, à l’image de la santé, sur son volet recherche/innovation. C’est le créneau qu’a décidé d’investir Novaxia en créant Novaxia Vista, qui a pour ambition de développer de l’immobilier et des services permettant l’essor de la biotech et des technologies d’avenir. Ce projet a découlé d’un constat simple, à savoir que 60 % des acteurs des sciences de la vie considèrent encore que le manque d’immobilier dédié constitue le principal frein à leur développement en France. « L’exemple de ce qui a été réalisé à Boston est très instructif» illustre Mathieu Descout. « Pendant longtemps, l’industrie de la chaussure y a été très dynamique, avant de s’effondrer peu à peu. Ce qui a entraîné un important taux de vacance dans l’immobilier tertiaire et industriel, qu’il a fallu combler pour ne pas accumuler des friches abandonnées. Dans le même temps, le secteur de la recherche en santé s’est développé et a eu besoin de locaux ; l’immobilier industriel a été réhabilité en laboratoires et le tertiaire de centre- ville s’est transformé en incubateurs de santé ». Un bon exemple de recyclage urbain accompagnant une transmutation macroéconomique locale…

TVA à 5,5 % et prime à la reconversion

Reste un vrai problème : que faire lorsqu’un actif en état de délabrement et majoritairement vacant, comme c’est le cas de beaucoup d’immeubles tertiaires, est encore partiellement occupé, même à moins de 10 %, par des locataires ? Comment inciter son propriétaire à vendre afin qu’un ou plusieurs promoteurs engagent des travaux de reconfigura- tion? Pour Nathalie Bardin, directrice RSE et innovation chez Altarea, quelques pistes pourraient être étudiées par le gouvernement : « Jacques Ehrmann, le directeur général du groupe, propose d’instaurer une TVA à 5,5 %, ainsi qu’une sorte de prime à la reconversion, sur le modèle de la prime à la casse pour l’automobile, afin d’inciter les proprié- taires à vendre des actifs ou des friches pouvant faire l’objet d’une restructuration. La mise en place de procédures d’urbanisme accélérées peut aussi être une solution intéressante ».

Néanmoins, encore beaucoup de promoteurs hésitent à se tourner vers des actifs occupés et préfèrent privilégier des sites vides, plus évidents à appré- hender d’un point de vue juridique. « Il faut avoir à l’esprit qu’un bien immobilier tertiaire vide représente une charge foncière compétitive pour des promoteurs naviguant dans un marché de pénurie d’assiettes foncières ; la concurrence va donc s’accroître entre eux » développe Mathieu Descout. «À l’inverse, un immeuble délabré, mais où il subsiste encore des locataires ne va intéresser ni les promoteurs ni les foncières, car il y aurait trop de travaux à faire et qu’il faudrait déloger puis reloger des personnes et des entreprises s’y trouvant, ce qui peut vite s’apparenter à un casse-tête ». C’est justement ce que propose de faire Novaxia : racheter ce type d’actifs à un prix décoté, puis accompagner les locataires afin qu’ils soient relogés dans des immeubles moins délabrés et plus dans l’air du temps. «Le recyclage urbain nécessite de posséder des capitaux et de pouvoir s’en servir le plus vite possible, et c’est justement ce que nous proposons aux promoteurs avec lesquels nous nous associons dans le cadre de certaines opérations» poursuit Mathieu Descout. « Nous achetons sans conditions suspensives et savons répondre aux problématiques techniques qui engendrent parfois un surcoût. Grâce au cash que nous possédons, nous accompagnons d’autres promoteurs qui ne se seraient pas lancés dans certains projets sans notre présence à leurs côtés ! ».

Des projets emblématiques

Plus que des mots, le recyclage urbain est aujourd’hui une réalité concrète se traduisant par un certain nombre de projets d’envergure partout en France. Citons l’un des plus récents, le projet Issy Cœur de Ville, à Issy-les-Moulineaux (92), un ensemble mixte bâti sur 100 000 m2 qui accueillait précédemment un site tertiaire où était implanté l’ancien siège recherche et développement de France Télécom (à l’origine de la création du Minitel). « Issy Cœur de Ville est un vaste projet intégrant 40 000 m2 de logements et la même superficie de bureaux, répartis sur trois immeubles » précise Nathalie Bardin. « Il y a aussi des commerces en pieds d’immeubles, un cinéma avec sept salles, une école, une crèche, une résidence pour personnes âgées… Le tout entouré d’une forêt urbaine de 7 000 m2 et alimenté à plus de 70 % par des énergies renouvelables. Ce projet est un îlot de fraîcheur et de verdure au cœur de la ville, et c’est exactement ce à quoi doit servir le recyclage urbain: créer des villes intenses, inclusives et durables ». Quinze projets sont actuellement en cours de développement du côté d’Altarea, dont deux joint-ventures à Nantes (44) et Sartrouville (78), consistant à transformer deux hypermarchés en nouveaux quartiers intégrant d’autres types d’actifs, ainsi qu’une végétalisation importante venant remplacer le bétonnage massif des grands parkings. « Avec l’étalement des pôles urbains, les grands centres commerciaux qui se situaient auparavant en périphérie le sont de moins en moins, et sont aujourd’hui inclus au tissue urbain de ces villes. Ces hypermarchés de destination se sont transformés en hypermarchés de proximité, ce qui justifie leur transformation en espaces mixtes et de vie plus inclusifs » justifie la directrice RSE d’Altarea. Citons également le futur Village des Athlètes « Universeine », développé par Vinci Immobilier à Saint-Denis (93). Ce lieu est conçu sur une ancienne centrale thermique qui servait, du temps où elle existait encore, à alimenter le métro. Cette friche polluée va accueillir, dans la perspective des Jeux Olympiques 2024, un grand quartier de 130 000 m2 alliant bureaux, commerces et logements. L’opération ayant été pensée pour l’après-JO, dans un souci de réversibilité, le site changera de destination à l’issue des Jeux. À noter également que Vinci Immobilier a acquis, en partenariat avec Brownfields, 50 terrains (friches industrielles polluées) auprès d’Engie, et un certain nombre de ces projets sont déjà sortis de terre/lancés en travaux. «Le recyclage urbain peut être perçu ou bien comme une contrainte, ou bien comme une opportunité de repenser la ville, avec un objectif d’y inclure davantage de mixité ! » conclut Nathalie Bardin. Le message semble être passé…

Recyclage urbain : la nouvelle donne immobilière