Comment et pourquoi cette question du réemploi s’est-elle posée aux acteurs que vous êtes ?

Le réemploi c’est, in fine, retrouver un peu de bon sens. Jeter des matériaux viables pour installer du neuf, ce n’était pas la manière de faire la ville dans les siècles passés. C’est le moment de revenir à des cercles plus vertueux.

Le bâtiment (sans les travaux publics) produit 42 millions de tonnes de déchets par an, dont moins de 1% sont réemployés. Or, les diagnostics « ressource » se généralisent à l’occasion des travaux de rénovation lourde et la prise de conscience s’étend: de nombreux produits déposés hors des curages sont viables et peuvent être réemployés.

Le constat est sans appel : l’offre de matériaux en réemploi s’est bien structurée… mais pas la demande. Les plateformes de réemploi présentent de nombreux produits, mais c’est du côté de la demande que cela coince : la possibilité de recourir au réemploi est très rarement intégrée en amont. Les maîtres d’œuvre n’ont, souvent, pas le temps ni les ressources pour remplacer ensuite des matériaux neufs qu’ils prescrivent habituellement par du réemploi et les assurances ne savent pas comment le prendre en compte. Si la nouvelle loi sur l’économie circulaire (février 2020) impose à la commande publique de « veiller au recours à des matériaux de réemploi », cette injonction n’est toujours pas opérationnelle et aucune obligation n’est encore prévue pour les acteurs du privé.

L’enjeu du « Booster du réemploi » est de massifier la demande et d’atteindre un effet de seuil. Pour lever ces freins, un peu plus d’une trentaine de grands maîtres d’ouvrage ont décidé de passer à l’action collectivement, pour rendre leur demande lisible et prévisible. Chaque membre du « Booster » doit, en effet, engager immédiatement plusieurs projets dans l’initiative, pour regrouper la demande de matériaux de réemploi et la rendre visible sur une plateforme de demande développée spécialement par Fabernovel, qui consolidera les besoins (typologie, lieu, délai d’approvisionnement…).

Cette expression de besoin, en amont du chantier, permettra à ceux qui disposent de la ressource de se positionner en amont et préparer la fourniture. C’est bien les assistants à maîtrise d’ouvrage et le maître d’œuvre qui tiendront la promesse sur le temps long de la conception, des marchés travaux, des arbitrages. Nous donnons les armes et nous interfaçons avec l’équipe projet.

Qui a adhéré à la démarche ? Quels profils d’entreprises ?

Plus d’une trentaine de grands maîtres d’ouvrage lancent le « Booster du réemploi » en date, d’autres arrivent… Ce qui les motive ? Ils ont tous à cœur de revenir au bon sens et au sens de la gestion de la ressource. Le gestionnaire de bâtiments d’hier est un gestionnaire de ressources demain. L’initiative, dont le nombre de membres est appelé à croître rapidement, rassemble des investisseurs (Agrica, Colliers International Investment & Asset Management, Covéa Immobilier, Gecina, Groupama Immobilier, Icade…), des promoteurs (Adim, Altarea, BNP Paribas Real Estate, Bouygues Immobilier, Ceetrus, Crédit Agricole Immobilier, Kaufman & Broad, Spie Batignolles Immobilier…), mais aussi de grands utilisateurs, qui ordonnent de nombreux chantiers (Engie, Orange…). Des contacts avancés sont également en cours avec des donneurs d’ordres publics (Ville de Paris, régions). Les signataires vont engager 150 chantiers (5 par an chacun) à se fournir en matériaux de réemploi issus d’anciens bâtiments déconstruits. Parmi les premiers chantiers engagés : « #Community » (Bordeaux) ; « Z5C » (Saint-Denis) ; 43-45, avenue d’Iéna (16ème); « 92 Wagram » (17ème); « Ulteam » (8ème); « WP4 » (Nanterre)… entre autres. Le Booster fournira à chaque équipe projet un ensemble de prescriptions qui leur permettra de prescrire le réemploi de manière plus sécurisée, en s’appuyant sur les parties prenantes quant à l’utilisation de matériaux de réemploi (AMO, maîtres d’œuvre, architectes, entreprises, conseils, bureaux de contrôle, BET…) et éclairera les réalisations des derniers retours d’expérience.

Comment cette initiative va-t-elle se décliner et qu’attendez-vous en matière d’impact à la foi environnemental et économique ?

La méthode du “Booster” consiste à construire un groupe pilote d’entreprises pionnières qui s’engagent à agir directement sur leurs propres projets, de les accompagner dans la création d’outils et standards et d’encourager le marché à le rejoindre, dans un cercle vertueux. Elle est pilotée par A4MT et l’IFPEB (Institut Français pour la Performance du Bâtiment) qui l’applique avec succès depuis cinq ans pour — entre autres— aider l’immobilier tertiaire à réaliser les économies d’énergie prévues par la loi Elan (-40 % d’ici 2030) dans une action collective. Celle-ci a déjà impliqué plus de 1 200 bâtiments (le concours d’efficacité énergétique CUBE) ou encore le « hub des prescripteurs bas carbone » qui est un « UFC-Que Choisir » qui travaille sur le choix des matériaux moins carbonés.

Le « Booster » se donne trois ans pour transformer la manière de prescrire et arbitrer l’utilisation de matériaux de réemploi dans les marchés de travaux. Ce qui passera par un travail en collaboration avec les « équipiers » et les « concepteurs » des chantiers: architectes, designers, bureaux d’études, bureaux de contrôle, gestionnaires techniques, entreprises et industriels engagés.

Bien sûr, le recours à des matériaux provenant de bâtiments déconstruits, sans les transformer (ou très peu), a un impact très net sur le bilan environne- mental des bâtiments. Pour 1000m2 de surface, le réemploi permet d’économiser 44 tonnes de déchets et 67 tonnes d’équivalent CO2 (et plus d’un million de litres d’eau). Nous calculons que le réemploi est absolument nécessaire à l’atteinte de nos objectifs carbone.

Sur le plan économique, il devra y avoir une véritable courbe d’apprentissage, mais l’augmentation des volumes de transaction aura un autre effet : la diminution des coûts logistiques et de stockage. C’est une composante importante du coût du réemploi, qui inviabilise souvent l’opération au-delà de trois ou quatre mois de stockage intermédiaire.

Cédric Borel (A4MT) : "le réemploi, pour retrouver un peu de bon sens"...