Pourriez-vous présenter le groupe Korian ?

Le groupe Korian est un opérateur dans le secteur des soins à la personne ; en plus des maisons de retraite, notre portefeuille est composé de cliniques de soins de suite et de réadaptation, de cliniques psychiatriques, de résidences services (maisons de retraite non-médicalisées ou EHPA) et de colocations entre seniors. Le groupe exploite à la fois des établissements du secteur sanitaire, médico-social et du logement.

Le groupe Korian aura bientôt vingt ans ; en 2022, il a réalisé 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et exploite un millier d’établissements répartis dans sept pays. Korian est un groupe français détenu par Crédit Agricole Assurances (actionnaire majoritaire) et Malakoff Humanis ; le groupe étant coté en Bourse, il reste une importante part dite flottante comblée par quelques milliers d’investisseurs. L’Allemagne est le second pays en terme d’implantations (1,2 milliard de chiffre d’affaires, contre environ 2 milliards pour la France), suivie de la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas, l’Espagne et l’Angleterre. La France et l’Allemagne représentent environ 75 % du chiffre d’affaires total du groupe.

Quel est votre modèle économique ?

Le groupe est dirigé par Sophie Boissard, qui connaît bien le monde de l’immobilier pour avoir été à la tête de SNCF Immobilier avant d’arriver chez Korian en 2016. J’ai été recruté en qualité de directeur immobilier et développement de Korian. Dès 2016, nous avons réfléchi conjointement, avec Sophie Boissard, à une nouvelle stratégie que nous pourrions enclencher.

Il faut savoir que lorsque je suis arrivé dans l’entreprise, Korian avait une stratégie plutôt basée sur l’« asset light » ; 14 % des actifs qu’exploitait Korian étaient la propriété du groupe. Du coup, la valorisation du patrimoine immobilier possédé était alors inférieure à un milliard d’euros. Korian était, avant tout, un gestionnaire ; il n’existait pas véritablement de stratégie immobilière visant à posséder les murs des résidences exploitées.

Avec Sophie Boissard, nous avons souhaité revisiter ce modèle ; en effet, en 2016, les taux d’intérêt poursuivaient leur baisse, les taux de capitalisation étaient, quant à eux, relativement élevés. De plus, je disposais d’une expérience au sein de l’entreprise Pierre et Vacances Center Parcs, qui était dans une stratégie 100 % « asset light », avec l’intégralité des murs cédés à des institutionnels ou des propriétaires privés. Les sites développés étaient systématiquement revendus, rien n’était conservé en propre. J’ai alors pris le parti de proposer une stratégie hybride à Sophie Boissard, un intermédiaire entre le 100 % propriétaire et le 100 % « sale and leaseback » : cette analyse pragmatique pour chacun des actifs a été nommée « asset smart ».

Votre expérience passée chez Pierre et Vacances Center Parcs vous a donc incité à opter pour une stratégie au cas par cas, en l’adaptant en fonction des types d’actifs ?

Oui, c’était ça l’idée. Nous souhaitions réfléchir à la meilleure façon de procéder pour un actif donné. J’avais observé, lors de mon expérience de plus de 15 ans chez Pierre et Vacances, que le groupe perdait de l’argent depuis plusieurs années ; en effet, à long terme, le chiffre d’affaires ne progressait qu’à hauteur de l’inflation (18 % sur 10 ans, un peu moins de 2 % par an), alors même que les loyers étaient indexés sur le coût de la construction qui avait, de son côté, crû de plus de 40 %. Nous vendions les parcs en Vefa (vente en état futur d’achèvement) à des investisseurs qui en devenaient propriétaires au fur et à mesure de l’avancée des travaux.

Cette expérience m’a amené à penser qu’il pourrait être judicieux, pour le groupe Korian, d’être parfois propriétaire des murs ; en tout cas, de ne pas s’interdire cette possibilité, mais plutôt de l’étudier systématiquement. L’ « asset smart » le permet : tant qu’il revient moins cher de payer à la banque une annuité d’emprunt pour rembourser notre investissement que de payer un loyer en tant qu’opérateur, c’est qu’il est plus intéressant de ne pas vendre et de rester propriétaires.

Bien sûr, raisonner de la sorte revient à se priver d’une éventuelle plus-value à la revente, mais ça n’était pas la stratégie que je souhaitais adopter chez Korian. Ma réflexion était plutôt de me dire : si j’achète un actif 18 millions et que Korian est prêt à payer un million de loyer, je vais essayer de contracter un prêt d’un montant inférieur au million en question, ce qui me permettra de rester propriétaire pour quasi zéro. Cette stratégie nous a permis, fin 2022, de posséder 3,5 milliards d’euros de patrimoine, ce qui était trois fois plus que le patrimoine détenu en 2016, à mon arrivée. En revanche, s’il s’agit d’un actif pour lequel le groupe ne se projette pas pour diverses raisons au-delà de l’horizon d’un bail, il peut alors être plus intéressant de le céder plutôt que d’en rester propriétaire afin d’arbitrer un renouvellement à l’échéance.

En plus de l’ « asset smart », vous dites faire de l’ « asset smart financing ». Pourriez-vous définir en quoi cela consiste ?

Pour Korian, en tant qu’opérateur, l’essentiel n’est pas d’être propriétaire à 100 % des actifs, dans la mesure où un contrôle des actifs peut être tout aussi efficace à 51 % en partenariat avec un investisseur externe qui en détient 49 %. Dès 2017, nous avons créé un OPPCI (Organisme professionnel de placement collectif immobilier) dont nous sommes restés propriétaires à 100 %. Sous cette OPPCI, nous avons créé des holdings immobilières qui elles-mêmes détiennent nos actifs. Nous restons à 51 % actionnaires de ces holdings immobilières et des investisseurs externes en deviennent actionnaires à 49 %.

En 2020, nous avons ouvert notre première foncière pan-européenne à deux investisseurs : BNP Paribas Cardiff et EDF Invest ; cette foncière représente près d’un tiers de la valeur de notre patrimoine immobilier, avec 1,1 milliard d’euros sous gestion. Korian est amené à être soit propriétaire des actifs immobiliers, soit actionnaire majoritaire des foncières qui détiennent ces actifs immobiliers. Nous possédons, aujourd’hui, six foncières qui regroupent près de 90 % de nos actifs immobiliers. Quand je suis arrivé en 2016, aucun actif possédé n’était détenu dans des foncières. L’intérêt du modèle de la foncière est de faire entrer d’autres investisseurs afin de refinancer une partie du capital investi dans l’immobilier pour le déployer dans de nouveaux développements.

Nous avons également créé des partenariats sur la promotion immobilière avec le Groupe Icade en 2017, ainsi qu’avec Primonial et CAREIT en 2018 pour le développement d’immeubles neufs. Pour certains actifs, nous allons par exemple décider d’en laisser la propriété à Icade Santé ou à Primonial, alors que pour d’autres, Korian va décider de lever l’option d’achat. Mon but premier est de laisser le choix à Korian et faire en sorte que l’entreprise ne se ferme a priori aucune porte. Selon le prix et les conditions locatives, Korian peut décider d’être acheteur ou bien simplement preneur à bail.

Pouvez-vous en dire davantage au sujet des colocations seniors que Korian a décidé de développer ?

Fin 2017, nous avons racheté une société appelée « Ages & Vie », basée dans l’Est de la France, à Besançon (25). La société avait développé une trentaine de colocations, comme autant de maisons comprenant sept chambres. Leur stratégie immobilière était de vendre à la découpe, chambre par chambre. Lorsque l’on a racheté le concept, nous avons décidé de le développer de façon industrielle en trouvant des partenaires promoteurs pour passer à une autre échelle. Un partenariat financier devait, quant à lui, nous permettre de financer ce développement. Nous avons ainsi réalisé à date 300 millions d’euros d’investissement dans cette foncière aux côtés de la Banque des Territoires (Groupe Caisse des Dépôts) et du Crédit Agricole Assurances. L’idée est de créer ces colocations au sein de villes de plus de 1 000 habitants, dans des zones rurales où la population âgée est surreprésentée, alors que les investissements se concentrent généralement dans les zones urbaines.

Nous avons ouvert 124 colocations en quatre ans. Pour bâtir ces colocations, nous prévenons les municipalités que l’on a besoin d’un terrain d’environ 2 500 à 3 000 m²; sur ce terrain, nous bâtissons deux maisons simples au sein desquelles trois auxiliaires de vie se succèdent pour s’occuper des colocataires avec une présence sur place 24/24h et 7j/7. L’écosystème local de santé, généralement le médecin de famille, ainsi que les infirmières libérales, prodiguent directement les soins aux personnes âgées. Pour ce qui est des tarifs, les résidences « Ages & Vie » coûtent environ 1 700 euros par mois aux résidents en reste à charge (crédit d’impôt ou APA déduite). Il faut avoir à l’esprit qu’avec le temps, les personnes âgées ont tendance à être plus isolées, a fortiori dans les zones rurales où il est logiquement plus difficile de maintenir des interactions sociales ; ces colocations représentent donc une véritable innovation sociétale en leur permettant de vivre dans un environnement familier.

De plus, l’avantage de ce modèle tient également au fait que les soins à domicile sont de fait plus simples à organiser, les personnes âgées nécessitant ces soins étant réunies en un même endroit (la colocation) plutôt que dispatchées aux quatre coins d’une ou plusieurs communes. Le but de Korian est de pouvoir répondre aux besoins des personnes âgées quel que soit leur niveau de dépendance.

Frédéric Durousseau : "l'"asset smart" est notre modèle"