La dernière campagne présidentielle a été émaillée de plusieurs « mini-scandales » pour la majorité, vite désamorcés, puis définitivement annihilés ; ces débuts de déflagrations portaient tous autour de l’entrisme, dénoncé par certains comme déraisonnable, voire à la limite de la légalité, des cabinets de conseil privés et internationaux au sein de l’administration publique française. Le cabinet américain McKinsey cristallisait alors toutes les crispations, du fait de son influence dans les décisions prises par le gouvernement au cours de la crise sanitaire et des coûts exorbitants que cela a entraîné pour les caisses de l’Etat.

Le Sénat n’a pas tardé à se saisir de la question, via une commission d’enquête très médiatisée visant à faire la lumière sur cette nouvelle tendance à l’externalisation des compétences, dont la portée et les coûts réels restent opaques. A côté de McKinsey, face immergée de l’iceberg, d’autres noms ont commencé à fuiter : c’est notamment le cas de Capgemini, une entreprise du numérique française. Cette dernière s’est particulièrement illustrée auprès de l’Agence Nationale pour l’Habitat (Anah) et ce, depuis 2016. Au point de faire grincer quelques dents dans les couloirs et les salles de réunion de l’organisme…

C’est du moins ce que rapporte « Le Monde », qui relate de nombreux témoignages de fonctionnaires désabusés par l’influence croissante acquise au fil des ans par le cabinet privé. Au point que le consultant en chef de Capgemini dépêché à l’Anah a même été nommé, par intérim, à la tête de la DARU (département des aides et des relations aux usagers), chargé notamment du pilotage de MaPrimeRénov’, depuis le départ de l’ancienne patronne dudit département. Un curieux mélange des genres entre agents publics et consultants privés qui en a choqué plus d’un.

Une omniprésence croissante

D’autant plus que ce recours massif aux conseils externes a un coût, loin d’être anecdotique : 30 millions d’euros depuis 2016 et la première mission de service assurée par Capgemini. A l’origine, le cabinet de conseil était en charge de la dématérialisation des procédures de demande de subventions, avant la « consécration » intervenue en 2019, lorsque le Premier ministre de l’époque, Edouard Philippe, charge l’Anah de la création de MaPriveRénov’. Avec un calendrier extrêmement serré, l’agence se voit contrainte d’externaliser, notamment pour la création d’une plate-forme informatique performante.

Jusque-là, tout aurait pu rester sous contrôle, Capgemini se chargeant de remplir sa mission (facturée 4,7 millions d’euros) avant de s’en aller. C’était sans compter sur l’interdépendance qui s’installe rapidement entre l’organisme public et le cabinet de conseil. Il n’est, dès lors, plus surprenant de voir des agents de Capgemini déambuler dans les couloirs de l’Anah, s’inviter aux réunions les plus importantes, envoyer leurs présentations PowerPoint sans filtre aucun aux comités de pilotage avec les ministères… Une omniprésence et une omnipotence qui intriguent, interrogent, agacent. D’après une source interne à l’Anah, près de 20 consultants de Capgemini seraient employés par l’agence…

En début d’année 2022, un avenant au contrat liant Capgemini et l’Anah a permis au cabinet d’encaisser 8,5 millions d’euros supplémentaires. Les liens sont tellement étroits, la dépendance tellement enracinée que l’agence a renoncé à réaliser un nouvel appel d’offres pour ouvrir le marché à des concurrents, au nom du « droit de suite » du cabinet pour finaliser le projet. Deux nouvelles missions lui ont également été confiées. « Ils ont acquis un poids tellement fort que ce serait compliqué de s’en passer aujourd’hui » a confié un agent de l’Anah au « Monde ». Une autre source s’est interrogée, presque fataliste : « ils sont là depuis tellement d’années qu’on se demande pourquoi ne pas avoir carrément embauché des fonctionnaires qualifiés pour assurer ces missions pérennes… ».

Un recours massif de l'Agence Nationale pour l'Habitat aux consultants privés