Qu’est-ce que l’ISA ?

L’Immobilier Solidaire et Associatif (ISA) a été créé en 2018 par Alice Moll-Bocherel, ancienne directrice opérationnelle de foncières solidaires et de bailleurs sociaux et moi-même, qui ai longuement travaillé chez les bailleurs sociaux. Nous avions rencontré les cofondateurs de la Maison des Sages, Alain Smagghe, médecin spécialiste de la maladie d’Alzheimer, et Alexandre Schmitt, psychologue spécialiste de la gériatrie, et nous avons voulu les aider pour leur projet d’habitat partagé, sachant qu’ils ne connaissent pas le domaine de l’immobilier. Jusqu’ici, ils avaient enchaîné les échecs auprès des bailleurs et n’avaient pu trouver de maison pour installer leur modèle, qui pourtant se fait en Allemagne depuis trente ans, où 4 000 maisons de ce type existent, d’abord sur l’initiative des Petits Frères des Pauvres allemands, puis des Länder. Après avoir obtenu l’approbation du conseil d’administration de la foncière solidaire où nous travaillions alors, nous avons acheté une maison à Buc, dans les Yvelines, livrée en octobre 2019. Le conseil de l’époque souhaitait un unique projet de ce type, ce qui n’était pas notre propre objectif : en France, il y a 1,2 million de malades d’Alzheimer et 200 000 cas diagnostiqués par an. On ne pouvait donc pas limiter une telle initiative à une seule maison…

Ainsi, nous avons créé l’ISA, prospecté des maisons dans le même secteur et signé en janvier 2019 une promesse de vente pour une maison aux Loges-en-Josas (78), sur le même modèle, à savoir 350 m2 et 8 appartements pour des colocataires atteints de la maladie d’Alzheimer, un appartement pour l’auxiliaire de vie présent de nuit et un studio étudiant pour la présence, de nuit, cinq jours sur sept, d’un étudiant, en contrepartie d’un loyer réduit. Quatorze mois ont été nécessaires pour lever 2 millions d’euros de fonds, dont 1,7 million pour acheter la maison et 300 000 euros pour les travaux. En raison du confinement, l’achat n’a pas pu avoir lieu au mois d’avril et a du être reporté en septembre.

Quelles initiatives concrètes mettez-vous en place au sein des Maisons des Sages ?

Les hôtes signent plus qu’un bail en entrant dans la maison : ils signent un contrat de vie. Le malade s’engage dans une vie partagée et les familles s’engagent aussi à être impliquées dans la vie de la maison. Une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer n’a pas de solution à l’heure actuelle : soit elle reste seule chez elle, soit elle est placée dans une chambre impersonnelle dans un Ehpad. Or, ces personnes sont encore en capacité d’être actives, mais ont besoin d’être encadrées au fur et à mesure de leur perte de mémoire courte : nous voulons les accompagner et non les assister. Grâce à ce système, ils se sentent revivre, responsabilisés, utiles, même si la maladie progresse toujours, mais moins vite que s’ils étaient coupés du monde. Un lien demeure fort et valorisé avec les familles, n’étant pas concentré sur les tâches pénibles, mais sur le bon temps passé avec les proches. Etant considérés comme en résidence principale et mutualisés, les hôtes bénéficient de la présence de deux auxiliaires en permanence, 24 heures sur 24, tout en gardant une semi-autonomie. Par exemple, ce sont eux qui font leur repas, avec toujours quelqu’un à proximité. Dans notre maison de Buc, alors que les malades d’Alzheimer ont généralement tendance à perdre du poids, les hôtes reprennent 3 à 4 kilos, un vrai signe de leur bien-être. La maladie d’Alzheimer est génératrice de stress et ce modèle d’habitat partagé, une fois que les hôtes se sont habitués, permet une véritable baisse des crises d’angoisse. Ils déclarent aux-mêmes se sentir chez eux, dans une maison avec jardin, et retrouver une vie sociale.

De plus, la crise sanitaire a pointé du doigt les défaillances des Ehpad…

En Allemagne, ce type d’habitat est déjà considéré comme une alternative à l’Ehpad. Bien sûr, nous n’avons aucune leçon à donner ; néanmoins, les malades de la Maison des Sages ont de 62 à 86 ans et nous n’avons eu aucun décès à déplorer : nous avons mis en place des mesures barrière, mais sans aller trop loin car je rappelle que la maladie d’Alzheimer génère énormément de stress ; voir des gens avec des masques et ne pas voir leurs familles généraient des angoisses et nous avons fait en sorte de maintenir les contacts, tout en respectant les distances. Nous n’avons eu ni contamination ni dépression, même si l’on ne peut pas présager de l’avenir…

Comment financez-vous ces projets ?

Nous avons participé au concours La Fabrique Aviva et l’avons remporté dans la catégorie « Prévoyance Santé ». Ce qui nous a permis de bénéficier d’un effet de levier important, en nous faisant accéder au fonds d’investissement Aviva, géré par Inco, et présenter notre dossier aux comités d’engagement d’Inco et d’Aviva, nous accompagnant sur la modélisation du « business plan » et nous accordant un financement de 400 000 euros. Le service d’action sociale d’AG2R La Mondiale nous a accordé une subvention de 187 000 euros et la Fondation Claude Pompidou, 197 000 euros. Le Crédit Mutuel et la Nef nous ont aussi accordé des prêts, respectivement, de 400 000 et 450 000 euros.

Pour l’instant, nous sommes concentrés en Ile-de-France : nos associés ont de forts liens avec le secteur de Versailles. Ils ont souhaité que nous y réalisions d’abord ces solutions et le développement des Maisons des Sages s’effectue en connexion avec le réseau de santé local ; ce qui est crucial, puisqu’il s’agit de domiciliation et non pas d’une structure médicale, et nous avons besoin d’un réseau fort avec les services de gériatrie et les médecins traitants. Or, dans ce secteur, les maisons de 300 à 400 m2 coûtent entre 1,2 et 1,5 million d’euros, à quoi s’ajoutent les travaux d’aménagement pour les personnes à mobilité réduite. Pour financer les projets, une partie se fait en fonds solidaires et l’autre en prêts ; nous devons éviter que ces derniers dépassent les 900 000 euros, génèrent des annuités trop importantes et nous obligent à augmenter sensiblement les loyers. Notre modèle actuel est basé sur un loyer de 2 700 euros par mois, ce qui est largement inférieur au coût d’un Ehpad en Ile-de-France. Les deux banques évoquées nous ont déjà confirmé qu’elles accompagneraient le développement des futures Maisons des Sages.

Nous réalisons aussi une opération de crowdfunding visant 300 000 euros sur Lita.co, qu’Inco nous avait présenté, afin de pouvoir financer les travaux. Les intentions atteignent déjà la moitié de la somme à l’heure actuelle, alors que notre premier palier, mis à 90 000 euros, a été dépassé très rapidement.

Quelles sont vos perspectives ?

Notre objectif vise à ouvrir une maison tous les six mois, en regroupant les maisons entre elles afin de pouvoir mutualiser les auxiliaires de vie, leur permettant d’avoir un travail à temps-plein proche de chez eux. Nous prévoyons l’ouverture de la Maison des Loges-en-Josas en décembre 2020-janvier 2021 et nous prospectons déjà pour la maison suivante, qui devrait être située à Jouy-en-Josas (78). A court terme, sur deux à trois ans, nous voulons nous déployer dans la région de Versailles ; à moyen terme, de quatre à cinq ans, nous déployer sur toute l’Ile-de-France, puis à plus long terme, d’ici sept à huit ans, dans les grandes métropoles urbaines, en commençant par Lyon et Nice. Nous voulons nous concentrer dans les secteurs où les malades ont du mal à suivre les prix de l’immobilier. La levée de fonds demeure la problématique principale.

Frédéric Boudet (ISA) : « en Allemagne, l’habitat partagé est une alternative à l’Ehpad depuis trente ans… »