En tant que président d’Alila, quel regard portez-vous sur l’actualité du logement en France ?

Mes équipes et moi-même sommes en train de finaliser la rédaction d’un certain nombre de propositions à l’adresse des candidats à l’élection présidentielle. J’espère que le thème du logement aura la place qu’il mérite au cours de la campagne à venir. Chez Alila, nous sommes des acteurs de terrain et le fait de posséder beaucoup d’agences nous donne de la crédibilité, ainsi qu’un avantage non-négligeable sur nos concurrents. Nous sommes donc aux premières loges pour constater la crise de la construction qui sévit actuellement en France, même si la réalité du terrain diffère en fonction des endroits. La chute libre de la production de logements est, en tout cas, interpellante et inquiétante. Le choc de l’offre promis en son temps par Emmanuel Macron n’a pas eu lieu. Cela engendre beaucoup d’incertitudes pour les prochaines années.

Chez Alila, nous faisons donc indirectement de la politique en accompagnant les acteurs publics et les élus sur le terrain pour leur faire prendre conscience des réalités et des difficultés. Alila a joué le rôle de véritable accélérateur pour que les différents ministres prennent conscience du fait que les élus locaux n’ont plus envie de bâtir (dotations publiques en baisse, suppression de la taxe d’habitation, exonération de taxe foncière pour le logement social et intermédiaire…). Les rentrées fiscales qui atterrissent dans les caisses des municipalités s’amenuisant pour ces raisons, les maires sont de moins en moins bâtisseurs. Il faut se projeter sur les cinq à dix prochaines années et que les élus locaux aient davantage de visibilité sur leurs rentrées fiscales et les crédits d’impôts auxquels ils ont droit pour accompagner la construction de logements.

La crise du Covid a-t-elle agi comme un miroir grossissant révélant crûment un problème présent depuis longtemps, à savoir la difficulté à construire du logement en France ?

C’est indéniable, le Covid a mis en exergue cette réalité que certains ne souhaitaient pas regarder en face. Or, sans les élus locaux, il ne peut y avoir de politique du logement satisfaisante, car si tel ou tel maire refuse de délivrer un permis de construire, il n’y a pas grand-chose à faire hormis constater les dégâts. Ce qu’il y a de paradoxal dans cette pandémie, c’est qu’elle a accéléré les transactions et rotations de logements, notamment dans les zones périphériques et les villes de deuxième zone. Si l’on ne considère que cet état de fait, l’immobilier se porte bien. Mais d’un autre côté, il y a 4,5 millions de mal logés, 3 millions de personnes en attente d’un logement social, une vraie problématique de prix trop élevés qui ne sont plus en adéquation avec les revenus des gens…

L’exemple de Paris est, de ce point de vue, édifiant : la ville ne s’est jamais préoccupée de loger ses classes moyennes, ce qui a entraîné et continue d’engendrer un exode massif d’une partie de la population de la Capitale vers des zones où les loyers sont accessibles.

D’un point de vue institutionnel, il n’est pas normal que la France ne se soit pas dotée d’un vrai ministère du Logement. Quand on sait que l’on parle pourtant d’un produit de première nécessité, un besoin primaire au même titre que l’eau ou la nourriture, le peu de place qui lui est accordée dans notre pays est juste incompréhensible.

La non-artificialisation des sols a été actée à l’occasion de la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021. Cette disposition rejoint le vœu formulé par la ministre en charge du Logement d’en « finir avec la maison individuelle ». Selon vous, comment peut-on tout à la fois concilier le fait de construire davantage tout en respectant les critères précités ?

Aujourd’hui, il est impossible de construire des logements individuels dans les zones tendues. Il faut aussi avoir à l’esprit que les élus ont souvent tendance à ne jamais suivre ce que pourrait être la densification autorisée dans un Plan local d’urbanisme (PLU). Sur les opérations immobilières d’Alila, nous avons calculé une « dédensification » comprise entre 25 et 35 % par an. Sur 400 000 logements à l’année, nous en perdons 100 000 à 150 000 juste car les élus nous demandent de « dédensifier » nos opérations. Pourtant, avec la loi sur la non-artificialisation des sols, densifier les zones urbaines apparaît comme l’unique solution viable pour trouver un point d’équilibre entre offre et demande de logements. En partant du principe que les terrains disponibles se font de plus en plus rares au sein des métropoles ou dans les centres-villes, ne perdons pas de mètres carrés disponibles. Urbanisons ! Ajouter des étages à des immeubles déjà existants peut être l’une des solutions à apporter au problème.

En dix ans, nous avons perdu entre un million et 1,5 million de logements. Il faudrait aussi se pencher sérieusement sur la notion d’aménagement du territoire. Par exemple, peut-être que les entreprises pourraient déménager dans des lieux de seconde zone, afin de se rapprocher de leurs salariés qui ont déserté depuis longtemps déjà le cœur des métropoles et leurs loyers indécents. Cela réduirait les temps de trajet de beaucoup de travailleurs et le sentiment de frustration que cet éloignement forcé n’a pas manqué de susciter ces derniers temps (augmentation des prix du carburant, sentiment de relégation, crise des « gilets jaunes »…).

Trois questions à Hervé Legros, président-fondateur d’Alila