C’est dans l’un des salons lambrissés et abondamment tapissés du Cercle de l’Union Interalliée, au 33, rue du Faubourg Saint-Honoré (8ème), à quelques mètres à peine du Palais de l’Elysée, que l’IFPImm a tenu séance pour la première fois en 2023. Une assistance apprêtée est venue s’installer à la table ronde réunie pour l’occasion et dont le principal enjeu du débat était de savoir quelles étaient les marges de manœuvre possibles afin de transformer, plus généralement et plus massivement, les immeubles tertiaires obsolètes en logements, véritable manne foncière disponible, mais dont le changement d’usage présente un certain nombre de difficultés.

En préambule, Olivier Colonna d’Istria, président de l’IMPImm, a indiqué qu’« une partie de l’avenir de {nos} industrie immobilières » se trouvait justement là, dans ce gisement conséquent, ce vivier inexploité tombé en désuétude…

Paris, ville n°1 du tourisme d’affaires en Europe

Pour redonner un peu de baume au cœur à l’assistance avant d’aborder de front les sujets qui fâchent, Bernard Michel, président de Viparis Holding (filiale d’Unibail-Rodamco-Westfield et de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Ile-de-France), qui gère des infrastructures accueillant des salons et des congrès, est monté à la tribune. « Oui, la France a des motifs de s’enorgueillir. Oui, Paris est la ville n°1 du tourisme d’affaires en Europe. Le parc dédié aux salons et congrès représente 700 000 m2 d’espaces d’exposition ouverts en Ile-de-France, répartis sur 21 sites, dont 10 sont gérés par Viparis » a indiqué Bernard Michel. Les prochains Jeux Olympiques de Paris 2024 vont dynamiser encore un peu plus ce secteur, avec de nombreux investissements à la clé. « Les salons franciliens engendrent des retombées économiques de l’ordre de 6,5 milliards d’euros, sans compter les 23 milliards d’euros environ de contrats signés à l’occasion de ces événements » a poursuivi le président de Viparis.

Si la pandémie a mis un frein à l’afflux d’exposants comme de visiteurs sur ces salons, la reprise semble être d’actualité : par rapport à 2019, année de référence pré-Covid, 83 % des surfaces de ces espaces d’exposition étaient occupées l’année dernière, pour 74 % de taux de fréquentation visiteurs. A noter que, toujours selon Bernard Michel, les salons physiques restent fortement plébiscités, le digital ne symbolisant, d’après les résultats de l’étude réalisée par Viparis auprès de 600 de ses clients, qu’un complément à l’événement réel, en aucun cas une alternative.

Sortir des normes rigides

Pour revenir au sujet de la transformation, Olivier Colonna d’Istria a d’abord souhaité opérer une distinction selon lui essentielle : « non, le bureau physique n’est pas mort. En revanche, les bons bureaux vont chasser les mauvais », pour reprendre ses termes. Les mauvais, ce sont ceux qui n’ont pas réussi à s’adapter aux nouveaux usages, aux nouveaux us et coutumes qui régissent le rapport au travail et à la présence sur site : flexibilité, convivialité, mixité, horizontalité. La localisation géographique est également déterminante, puisqu’un immeuble de bureau « qui fonctionne » doit aujourd’hui s’insérer dans un environnement global, avec de multiples services à proximité, ainsi qu’un bon réseau de transports en commun. « Les bureaux ont un avenir, mais pas tous et pas partout » a synthétisé le président de l’IFPImm.

Afin que les immeubles de bureaux dont la durée de vie touche à sa fin puissent vivre une seconde jeunesse, concrètement être transformés en logements, leur construction doit intégrer une possibilité future de réversibilité. L’amont est ici prépondérant : beaucoup trop d’actifs tertiaires sont bâtis selon des normes rigides qui ne permettent pas un changement d’usage ou alors très difficilement. Cela commence par leur largeur, dont la moyenne est fixée à 13 mètres pour les immeubles de logements et 20 pour les immeubles de bureaux. Dans ces conditions, que faire de la surface perdue, en sachant que chaque logement doit respecter un cahier des charges bien précis ? Idem pour les immeubles tertiaires dont la façade n’intègre pas de murs porteurs et pour lesquels la transformation se révèle ardue. Bref, un certain nombre d’écueils pèse sur cette mutation des usages tant réclamée. « Il existe trois types de conditions qui font qu’un immeuble tertiaire n’a plus d’avenir en tant que tel : des contraintes structurelles et techniques, des contraintes de localisation et une obsolescence carbone » a expliqué Grégoire de La Ferté, « managing director » chez CBRE. « Lorsque deux de ces critères sont remplis, l’on peut commencer à réfléchir à la future destination d’un immeuble ».

Un manque d’intérêt électoral et financier

Jean-Philippe Dugoin-Clément, vice-président du Conseil régional d’Ile-de-France et président de l’EPF (Etablissement Public Foncier) d’Ile-de-France, ainsi que de Grand Paris Aménagement, s’est également exprimé au sujet de ce qu’il nomme la « région-monde » francilienne. « Nous sommes la première région européenne en termes de développement économique et d’attractivité » a-t-il plaidé. « 50 000 êtres humains supplémentaires viennent y vivent chaque année ». Selon lui, à mai 2022, 4 400 000 m2 de bureaux vacants étaient recensés dans sa région. Un gisement de bâti extrêmement conséquent. « Cela n’est pas la martingale pour régler les problèmes de logement qui existent dans notre région et dans l’ensemble du pays » a néanmoins tenu à pondérer Jean-Philippe Dugoin-Clément.

En effet, avec un besoin en nouveaux logements qu’il estime à 70 000 par an en Ile-de-France, la réserve foncière évoquée plus haut paraît très insuffisante. Le vrai problème réside, selon lui, dans le manque d’intérêt, tant électoral que financier, qu’auraient les élus, maires en première ligne, à opérer ces transformations. « Déjà qu’ils étaient peu enclins à le faire avant, la suppression de la taxe d’habitation est venue enterrer définitivement les quelques rares velléités qui pouvaient subsister chez certains d’entre eux » a déploré le vice-président du Conseil régional. Pour autant, un maire a-t-il intérêt à laisser la vacance s’installer dans sa ville, quitte à perdre en attractivité ? D’un strict point de vue économique, il continue de percevoir des rentrées d’argent, notamment via le prélèvement de la taxe professionnelle. Sans compter que les administrés ne sont pas toujours les plus enclins à accueillir de la densification dans leurs villes, ce qui découle inéluctablement des transformations d’usage d’immeubles de bureaux.

Imposer des dispositifs de réversibilité

Outre une fiscalité pas toujours incitative pour les élus, l’écueil juridique ne peut pas non plus être balayé d’un revers de main. « Il faut une unanimité des propriétaires pour entériner le changement d’usage d’un actif, ce qui n’est pas toujours évident à obtenir » a affirmé Katelle Le Guillou, directrice générale de la Foncière de Transformation Immobilière (FTI) du groupe Action Logement. La FTI, créée en 2020, a accompli sa part du travail : 20 000 logements produits en France et 30 actifs acquis ; 76 % de ces actifs ont fait l’objet d’une transformation. Preuve que cela est possible, mais doit être réalisé à une échelle plus importante. « L’immobilier est un métier de temps long. Il faut être dans de la programmation, dans la perspective » a appelé de ses vœux Jean-Claude Bassien, directeur général délégué de Nexity.

Pour d’autres participants à la table ronde, les mots « obligatoire » ou « contrainte » doivent retrouver toute leur place dans le champ lexical des législateurs. Notamment en ce qui concerne le fait d’imposer des dispositifs de réversibilité d’un immeuble à bâtir lors de l’octroi de son permis de construire. Une collaboration plus étroite avec les architectes est également demandée afin de « rendre la densité désirable ». « Le but est de fabriquer un actif immobilier qui va rencontrer son public et dont la localisation sera porteuse de sens. Le recyclage urbain peut être synonyme de beau et de modernité » a conclu Olivier Colonna d’Istria. Chiche ?

De la difficile gestion du parc de bureaux obsolètes…