Le droit à la propriété contre le devoir de l’Etat de loger chacun des Français. Comment trouver la solution à cette difficile équation ? Cette question, bien plus philosophique qu’il n’y paraît, se traduit en ce moment même par une proposition de loi déposée par un député de la majorité à l’Assemblée nationale, Guillaume Kasbarian (Renaissance), visant à créer un délit d’occupation illicite afin de « protéger les logements contre l’occupation illicite ». Soit, mais qui est réellement visé ? Les locataires ayant fait l’objet d’une procédure d’expulsion et se maintenant sous le toit de leur propriétaire sans lui verser de loyer ? Les squatteurs occupant un logement vacant, non-meublé et ne pénalisant de fait aucun propriétaire ? Les squatteurs de locaux d’activité laissés à l’abandon et non-utilisés par une entreprise ? Il est aisé de constater qu’une multitude de situations existe et que, sans précisions clairement définies de la part du rapporteur du texte de loi, toutes les interprétations pourront être faites par le législateur…

Le texte fait tellement peu consensus que deux ex-ministres du Logement, Emmanuelle Cosse et Emmanuelle Wargon (sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron), ont d’ores et déjà fait part de leur désolidarisation complète vis-à-vis de la proposition de loi ; la présidente de l’Union Sociale pour l’Habitat a été la plus virulente, estimant qu’elle « remet en cause dix ans de travail gouvernemental sur la prévention des expulsions ». Emmanuelle Wargon, quant à elle, estime qu’ « il n’y a environ que 200 squats par an ». De plus, elle met en avant la loi Asap (Accélération et simplification de l’action publique), votée durant son mandat, pour expliquer que la loi répond déjà aux situations de squats.

Ce n’est pas ce que semblent penser les élus de la majorité (Renaissance et Horizons), même si le gouvernement et le ministre du Logement, Olivier Klein, ne soutiennent le texte qu’à demi-mots, laissant entendre qu’il pourrait être encore amélioré avant d’être présenté à l’examen des députés. Il faut dire que le sujet étant éminemment politique, l’exécutif est confronté à un périlleux exercice d’équilibriste, hésitant entre le fait de donner des gages de fermeté vis-à-vis des squatteurs, quitte à marcher sur les plates-bandes de la droite et de l’extrême droite (les groupes LR et RN ont déjà fait savoir qu’ils voteraient la loi), et celui de ne pas se mettre totalement à dos la gauche, qui s’érige en bouclier des plus précaires.

Le monde associatif s’élève aussi contre la proposition de loi, à commencer par le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, Manuel Domergue, qui déclare que « quand on squatte un logement vacant, ce n’est pas par gaité de cœur, c’est parce qu’on n’a pas d’autre solution ». Il affirme également qu’il y a, en France, un droit au logement qui n’est pas respecté, ce qui justifierait ces entorses à la loi, l’Etat ne remplissant pas son devoir de ne laisser personne à la rue. Sur la question des ménages en impayés de loyers, Manuel Domergue s’est inquiété d’un texte qui va « accélérer les expulsions locatives, y compris pour ceux de bonne foi ». Il faut dire que la peine encourue par les mauvais payeurs en cas d’adoption de la loi est pour le moins dissuasive : trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. La redéfinition du squat par la loi fait aussi mention de logements temporairement vides de meubles… C’est là que le flou est entretenue et que les opposants au texte s’engouffrent, arguant qu’il n’est pas légitime de criminaliser des individus occupant, même sans titre de propriété ou de location, un lieu vide de toute activité.

Les auteurs du texte, Guillaume Kasbiarian et Aurore Bergé restent, quant à eux, droit dans leurs bottes. Pour défendre leur proposition, ils mettent en avant les petits propriétaires insuffisamment défendus par l’Etat ces dernières années. Pour ce faire, les exemples de la société civile ne manquent pas, indignant beaucoup de Français pour lesquels la loi n’est pas suffisamment ferme à l’égard des squatteurs. C’est sur la base de cette vague d’adhésion populaire que comptent les députés de la majorités pour convaincre. En face, l’opposition risque de ne pas désarmer, dans un contexte déjà très tendu à l’Assemblée nationale…

La proposition de loi anti-squat crée déjà des remous