Le phénomène du coworking ou du coliving, voire le mixte des deux ne semble pas prêt de s’arrêter pour de nombreuses raisons maintes fois débattues et, désormais, bien connues tenant tant de l’usage des locaux que de l’évolution des modes de vie. La pandémie de Covid n’a pas ralenti cette tendance, mais a plutôt joué comme un accélérateur.

Cette évolution rapide bouscule un carcan législatif qui, pour certains, date et mériterait d’être mis à jour. Il est intéressant de noter à ce propos que les professionnels appellent soit à s’éloigner des dispositifs relatifs au bail, soit à s’en rapprocher en fonction de la flexibilité recherchée alors que dans les deux cas, coliving ou coworking, un des objets principaux du contrat reste inchangé, à savoir la mise à disposition de locaux pour vivre ou pour travailler, mise à disposition qui s’accompagne dans les deux cas de nombreux services.

Ces nouveaux modes d’occupation sont susceptibles d’interroger le praticien sous divers angles. Nous avons décidé d’en retenir deux : la qualification du contrat de coliving ou de coworking, pour ensuite s’intéresser au schéma contractuel utilisé entre le propriétaire, l’opérateur et leurs utilisateurs.

Coworking et coliving, bail ou pas bail ?

Si dans les deux situations, il s’agit de mettre des locaux à disposition, dans le cadre du coworking, certains ont rapidement tout mis en œuvre pour s’éloigner du bail et de sa règlementation stricte pour gagner en flexibilité. A l’inverse, dans le cadre du coliving, d’autres, pour les mêmes raisons de flexibilité, ont tout mis en œuvre pour rester dans le cadre de l’habitat donc et du bail et ce, principalement pour des questions de destination et éviter une requalification en service hôtelier. Les mêmes causes ont donc eu des effets diamétralement opposés.

Pour le coworking, c’est essentiellement la demande des utilisateurs, notamment en terme de durée, qui a forcé la pratique à sortir du bail commercial 3/6/9. Si certains opérateurs se sont alors tournés vers les baux dérogatoires, professionnels ou précaires, la plupart ont choisi de sortir du régime des baux. Notamment parce que les opérateurs importants souhaitent, pour des raisons opérationnelles, la mise en place d’une solution unique applicable pour tout type d’utilisateur, donc la mise en place d’un contrat unique modulable.

La solution retenue dans la grande majorité des cas est la mise en place d’un contrat de prestation de services modulables. La rédaction de ces contrats qui, principalement, détaille les services proposés, pousse le caractère presque accessoire de la mise à disposition de locaux en mettant en avant la multitude des services inclus dans l’offre globale. Ce caractère accessoire peut, en outre, se voir renforcé par le fait que le lieu proposé, bureau ou immeuble, n’est pas nécessairement le même pendant la durée du contrat. Certains contrats ne garantissent pas la fourniture d’un bureau localisé de manière spécifique ; en d’autres termes, le lieu fourni à l’utilisateur peut ne jamais être le même. La mise à disposition d’un lieu n’est alors qu’un des services parmi d’autres proposés par l’opérateur à son client. Les parties conviennent et opèrent par ce biais une requalification contractuelle de ce qui pourrait apparaître comme un bail en un contrat de prestation de services. C’est cette requalification qui permet de sortir de la règlementation d’ordre public des baux commerciaux. Elle permet surtout, en sortant de ce carcan législatif, de simplifier et de forfaitiser les relations entre l’opérateur et ses clients, tant en terme de durée, d’espace, que de facturation.

Cette solution du contrat de prestation de services pourrait, cependant, atteindre ses limites alors que le marché du coworking s’institutionnalise. Les opérateurs cherchent désormais aussi à capter la demande de certaines grandes entreprises et ETI pour qui la flexibilité représente également un attrait, mais qui désirent aussi rester « chez soi ». Ceci se traduit souvent au sein du contrat par une personnalisation, voire une privatisation des espaces mis à disposition. La mise à disposition de locaux indifférents cesse, l’équilibre précité est alors susceptible de disparaître et le risque d’une requalification en bail commercial réapparaît. Il semble donc primordial que les opérateurs veillent à toujours à conserver cet équilibre et proposer nombre de services faute de quoi, nul ne peut ignorer un risque de requalification du contrat de prestation de service en contrat de bail commercial et, corrélativement, l’application de l’ensemble de ses dispositions d’ordre public.

C’est aussi au vu de ce risque que d’autres opérateurs ont choisi de rester dans le cadre du bail, mettant alors en place des baux dérogatoires. En début de cycle, la formule était attirante. Mais, les premiers baux signés viennent vite à dater et ces opérateurs sont désormais confrontés à un risque spécifique dès que le bail dépasse trois années. Ainsi, nombre de professionnels réclament, a minima, un assouplissement au dispositif des baux dérogatoires pour permettre la mise en place d’un nouveau bail avant l’échéance du bail en cours, et aller ainsi au-delà d’une durée totale de trois ans, sans tomber automatiquement dans le régime du bail commercial.

Pour le coliving, les opérateurs proposent la mise à disposition de locaux accompagnés de différents services, obligatoires pour permettre ce coliving. Or, la plupart du temps, ces services nécessitent la mise en place de lieux partagés et, donc, de travaux d’aménagement. C’est la problématique de l’autorisation de ces travaux et, donc, de la destination des immeubles ou locaux concernés qui a ici beaucoup joué.

La réforme des destinations de décembre 2015 avait pour objectif de simplifier le régime antérieur, qui déléguait aux PLU locaux le soin de définir lesdites destinations. L’article R 151-27 du Code de l’urbanisme liste désormais cinq destinations, dont l’« Habitation » et le « Commerce et activités de service ». Les acteurs du coliving ont ainsi dû déterminer – par choix ou par contrainte – au vu du produit proposé, la destination. Certains ont ainsi choisi l’habitat pour une réversibilité plus simple et s’affranchir des règles applicables aux établissements recevant du public, mais sont, en échange, tenus de supporter certaines contraintes liées au bail d’habitation, notamment d’anticiper le sort du bail d’habitation à l’échéance d’un bail commercial conclu entre le propriétaire des murs et l’opérateur de coliving ou la purge du droit de préemption des locataires en cas de cession.

Face à cette situation, de nombreux professionnels appellent à une modification législative permettant de clarifier les choses et instituant, le cas échéant, au moins une catégorie spécifique pour le coliving.

Il est, en revanche, incertain qu’une telle modification législative puisse permettre d’ échapper aux règles de protection des locataires relatives notamment pour les villes concernées à l’encadrement des loyers ou aux contraintes liées à la création de logements sociaux.

Relations propriétaire, opérateurs et utilisateurs

Les contrats entre propriétaires des murs, opérateurs et utilisateurs tendent à différer entre coworking et coliving. Plus précisément, une tendance se précise pour le coworking avec la mise en place pour ce dernier d’un schéma se rapprochant de celui ayant été mis en place pour l’exploitation hôtelière, alors que le coliving tend à conserver une approche classique d’exploitation, notamment au travers de la mise en place de contrats de mandat de gestion.

Concernant le coworking, si, comme nous venons de le voir, la qualification du contrat entre l’opérateur et son utilisateur est discutée et travaillée, lorsque l’opérateur n’est pas propriétaire des murs, le contrat qui le lie au propriétaire est souvent un contrat de bail, en général de longue durée. Dans un tel schéma, c’est l’opérateur qui assume l’intégralité du risque opérationnel et, donc, nécessite un financement en fonds propres important.

Un second schéma tend cependant à se développer, le propriétaire des murs ne se contente pas simplement de louer à un opérateur, mais conclut directement avec ce dernier un contrat spécifique, non plus de bail, mais de gestionnaire, se rapprochant par là du modèle classique du monde hôtelier, du contrat de management hôtelier ou de franchise. Il est, d’ailleurs, intéressant de noter qu’un certain nombre d’acteurs du monde hôtelier commence à s’intéresser à ce marché de manière directe.

Ce dispositif est prometteur car il permet une mobilisation de fonds propres plus limitée pour l’opérateur tout en assurant un accroissement de revenu pour le propriétaire/bailleur. Ce schéma entraîne mécaniquement au travers de la prestation de services rendus par l’opérateur la création d’un fonds de commerce qui reste la propriété du détenteur des murs, charge à lui de l’externaliser à un nouvel investisseur.

Concernant le coliving, le propriétaire des murs aura également le choix du contrat à mettre en place. La solution la moins risquée pour lui sera la mise en place d’un bail commercial avec l’opérateur, charge à ce dernier de conclure avec chacun des utilisateurs finaux un contrat ad hoc. L’alternative consiste à mettre en place un contrat entre le propriétaire des murs et l’utilisateur final, l’intervention de l’opérateur se bornant à agir au nom et pour le compte du propriétaire au travers d’un mandat de gestion. C’est alors la reprise d’une formule classique régie notamment par les dispositions de la loi Hoguet.

Erwan Heurtel, avocat associé, Mayer Brown

Vincent Nédellec, avocat counsel, Mayer Brown

Erwan Heurtel et Vincent Nédellec (Mayer Brown) : coworking, coliving, bref état des lieux