Secteur parmi les plus touchés par 17 mois de pandémie, l’hôtellerie entrevoit la « sortie de crise ». L’heure est désormais à penser le futur avec ses transformations et continuités. Hasards ou causalités, les deux précédentes crises ont été suivies de deux ruptures : OTA (« online tourism agency ») post 2000 et Airbnb post crise financière de 2009. Quelle sera la transformation résultant de la crise sanitaire ?

Les prédictions restent toujours aussi difficiles. Pour autant, il est essentiel d’envisager les pistes pour développer, opérer, financer et investir dans l’hôtellerie de demain et ce, d’autant plus que l’hôtellerie est une industrie du temps long. Chronique d’une crise sans comparable et décryptage de ses probables conséquences.

Acte 1 : un effondrement sans précédent en corollaire d’une crise inédite

La crise sanitaire a touché brutalement les fondamentaux de l’hôtellerie : voyager, se réunir et partager la convivialité. L’arrêt brutal de ces piliers a, évidemment, conduit à une chute vertigineuse des indicateurs dans le monde, dont pour la France : RevPAR(1) (revenu par chambre disponible, ndlr) en recul de 60 % depuis le début de la crise (par rapport à 2019), RBE(2) (résultat brut d’exploitation, ndlr) de (très) négatifs à 20 % des niveaux de 2019 et investissement(3) à -80 % en 2020 (par rapport à 2019 ou -60 % par rapport à la moyenne à dix ans). Paris, fondée sur une forte exposition au tourisme international, sur une économie tertiaire (donc « Zooms et Teams » compatible) et MICE (« meetings, incentives, conferencing, exhibitions »), a naturellement été fortement impactée : -80 % de RevPAR par rapport à 2019. La spécificité de la crise tient à son origine (sanitaire) et son ampleur (globale), sans com- paraison avec les précédentes, qu’elles soient économiques (-10 % de RevPAR en 2010 après la crise financière) ou sécuritaires (-15 % de RevPAR en 2016 après les attentats de Paris).

Coté exploitation, si les déficits sont lourds, le pire a été évité grâce aux aides gouvernementales (prêt garanti par l’Etat, activité partielle de longue durée), à l’asset management de crise (dont des économies de survie qui pourront perdurer) et au soutien bancaire. Coté investissement, le « distressed systémique » n’a ainsi pas eu lieu, soutenu par ce qui précède et par un très faible nombre d’actifs mis en vente face à un volume important de liquidité coté acquéreurs. Les prix de vente ont connu un ajustement mécanique (lié aux moindres cash-flows à court terme), mais pas une correction drastique telle que parfois évoquée en début de crise.

Acte 2 : le « Jour d’après », un début de sortie de crise encourageant et atypique

Bien que fragile et instable, la sortie de crise est enclenchée, notamment depuis l’été 2021 : certaines régions littorales ont renoué, voire dépassé les RevPAR de l’été 2019. Le profil de la reprise se dessine :

– la fréquentation repart rapidement dès lors que les restrictions s’atténuent, notamment pour la clientèle loisirs, soutenue par une « demande frustrée en rattrapage ». Cette élasticité s’observe partout dans le monde et est fortement corrélée au taux de vaccination en France (désormais très élevé) et dans les marchés sources de touristes ;

– les prix semblent se tenir par rapport à 2019, grâce à une solvabilité globalement préservée des clients. Cette tendance est peu perceptible dans les statistiques en RMC (revenu moyen par chambre louée, ndlr) consolidées, car celles-ci sont perturbées pardes mix-clients atypiques (moins d’étrangers consommant plus cher, par rapport à plus de nationaux avec des RMC usuellement plus basses), mais s’observent déjà sur les pays en avance de reprise (Etats-Unis, Moyen-Orient). C’est atypique car les sorties de crises précédentes (économiques ou sécuritaires) avaient toutes été ralenties par une reconstitution plus lente des prix (entre 2 et 4 ans pour récupérer les RMC d’avant-crise, hors inflation) que des volumes (taux d’occupation récupéré en deux ans environ). C’est donc une excellente nouvelle pour reconstituer plus rapidement la profitabilité ; – la pénurie de personnel est un effet inédit et inattendue. Le secteur manque d’environ 237 000 salariés(4) en 2021, entre ceux qui ont quitté le secteur ou sont placés en chômage de longue durée. Paradoxe de cette crise, certains établissements tournent au ralenti faute de personnel et non faute de clients ! Les probables hausses de salaires pèseront sur les marges. Les économies découvertes en période de crise seront donc essentielles pour absorber ce choc salarial ;

– la confiance des investisseurs devrait se maintenir au vu des premières indications mondiales. En juillet 2021, 70 % des investisseurs interrogés pour le HISS(5) de JLL se déclaraient acquéreurs pour 2021. Au premier semestre 2021, le volume mondial d’investissement hôtelier s’établissait à 30 milliards de dollars, soit +66 % par rapport aux premier semestre 2020 et seulement -4 % par rapport au premier semestre 2019. Ces éléments traduisent la vision d’un rebond rapide, de perspectives long terme positives, d’une abondance de capitaux, mais aussi d’une sélectivité dans les actifs et d’un « repricing » le cas échéant. La France n’a pas encore connu ce rebond (le cumul fin septembre 2021 est égal à la même période en 2020), mais devrait bénéficier de cette dynamique, sous réserve d’actifs mis en vente et de l’amélioration du financement. L’ultime test du « distressed ou stressed » sera en 2022 après la levée des aides, mais les cas devraient rester anecdotiques et non systémiques si la reprise se poursuit.

Acte 3 : « l’après crise », l’hôtellerie post-Covid

A l’instar de nombreuses industries, la crise sanitaire est un accélérateur de tendances, qui étaient latentes avant la pandémie. Celle-ci va accroître le rythme du changement, sous l’effet de l’évolution des consommateurs et des réflexions et mesures d’emblée prises par les hôteliers. La crise du Covid-19 pourrait être la charnière pour passer de l’évolution à la transformation de l’hôtellerie.

La diversification du mix client est à renforcer en intégrant davantage la clientèle domestique, de proximité et de loisirs. La crise sanitaire aura confirmé la résilience du marché national et mis en lumière celle du loisir, alors que les perspectives sont plus incertaines sur la clientèle affaires (les hypothèses vont de -5 à -20 %, voire au-delà). Attirer et fidéliser le loisir, dont les familles, en parallèle d’une demande affaires sans doute plus faible, est donc critique pour maintenir la fréquentation. Le « bleisure » (« business + leisure ») est un enjeu structurant, dans la programmation physique des espaces et dans les stratégies de vente et ce, dans les deux sens : aux « hôtels d’affaires » de s’adapter aux loisirs et aux « hôtels de loisirs » de saisir l’opportunité d’une demande affaires transformée. Le client de proximité est une autre conquête accélérée par la pandémie, qu’il faut maintenant fidéliser. Les Français ont redécouvert (de gré ou de fait) l’hôtellerie française, de leur quartier et du rural péri-urbain (destinations à moins de 2 heures). Le pied d’immeuble d’un hôtel doit devenir un « commerce de quartier et une destination » pour accroître les flux et, dans un cercle vertueux, attirer encore davantage le touriste qui cherche plus que jamais l’authenticité et, donc, «à côtoyer les locaux ».

La digitalisation et la technologie vont s’accroître pour créer le « smarthotel » : la faible intensité technologique de l’hôtellerie contraste avec le saut digital de la pandémie. La transformation est d’autant plus cruciale face à la pénurie de main-d’œuvre, aux enjeux de la RSE et de reconstitution des marges.

La réflexion s’accélère donc autour de la robotisation de certaines tâches (livraison du room-service, 0,25 dispositifs automatisés de préparation de plats 0,20 simples, nettoyage…). Le défi de « l’hospitality tech » est d’associer les gains d’efficacité et l’amélioration de l’expérience client, en concentrant notamment le personnel sur une réelle valeur ajoutée.
Le « casting » et la formation hôtelière devront être repensés. 0,00 La RSE s’impose comme une réelle exigence(6) sous l’effet des réglementations et des attentes des clients, ayant entraîné toute la chaîne de valeur (opérateurs, investisseurs, prêteurs…). La prochaine génération (d’ici dix ans, soit un ou deux cycles de rénovation!) choisira un hôtel sur l’expérience, ainsi que la responsabilité sociale et environnementale. Le défi est majeur car l’hôtellerie présente une intensité d’émission carbone, de consommation d’eau et d’énergie, parmi les plus élevées de l’immobilier commercial(7) et un parc souvent âgé ainsi qu’une très forte exposition sociale. L’hôtellerie a une remarquable carte à jouer en tant qu’acteur local et vecteur de mixité et d’ascenseur social.

L’hôtellerie de demain

Sur la géographie, Paris a été très affectée, mais devrait rebondir rapidement avec des perspectives long-terme solides car la ville est diversifiée dans son mix-client et trouvera des substituts à une éventuelle baisse de la clientèle affaires. Les villes régionales, qui ont certes mieux résisté à la crise, pourraient être plus fragilisées en cas de baisse importante de cette dernière clientèle faute de substituts : la rénovation, la « bleisurisation » des actifs et la mise en tourisme des villes avec les acteurs publics seront essentiels. Les destinations loisirs (resorts inclus), notamment en péri-métropoles, ont une opportunité inédite pour capter une demande loisirs (et affaires) repensée.

Sur les gammes, les extrémités devraient rapide- ment rebondir, mais le « midscale » est à surveiller car souvent le plus dépendant de « l’affaire substituable » par la visio-conférence. Les offres de longs séjours (aparthotel) devraient doublement bénéficier de l’essor du loisir et d’un tourisme d’affaire revisité (moins de voyages, mais plus longs ?).

Sur les programmations des immeubles, la RSE et les attentes des clients vont accélérer le « smarthotel ».

C’est le renforcement confirmé des grands espaces sociaux (lobby, restaurants), intégrés à la ville et au quartier (« café du coin », fitness, conciergerie, « catering »…) de la modularité (bulle de télétravail, espace de petites réunions, room-mix diversifié pour famille/tribu…), du décloisonnement entre « front » et « back-of-house » (ce dernier de plus en plus externalisé) et la technologie pour suivre les performances de l’immeuble (« smart integration » des systèmes).

Le bilan est encore précoce et les «effets de mirages » nombreux. Se dessine, toutefois, une tendance forte de l’hôtellerie de demain fondée sur les 3P du « planet, people, profit » : RSE et technologie vont réellement devenir les nouveaux mantras pour assurer la satisfaction clients, l’optimisation des cash-flows et des valeurs.

1. Source : « HIT Report France », par MKG 2. Source : JLL
3. Source : JLL
4. Les Echos 28/09/2021
5. HISS : Hotel Investor Sentiment Survey, Enquête semestrielle de JLL au niveau mondial 6. Voir aussi les deux publications de JLL sur le sujet : « ESG at the heart of hotel strategy » (septembre 2021), « Valuing Net Zero & ESG in global Hotel real estate» (septembre 2021). 7. Source : ULI Hotel Sustainability Report

Gwenola Donet (JLL France) : "sortie de crise pour l’hôtellerie"