La première question est de savoir si le « repreneur » entre au capital de la société projet préexistante par le rachat de toute ou partie des parts ou s’il rachète directement le ou les immeubles en cours de constructions.

Les critères guidant le choix entre cette option sont multiples et il n’existe pas de réponse unique, adaptable à toute situation, de sorte que l’objectif de cet article est de partager les critères déterminants de ce choix fondamental, réalisés en amont du partenariat à nouer.

Tout d’abord, la forme sociale et le régime fiscal de la société de projet peut faire pencher la balance vers l’une ou l’autre des alternatives. Ainsi, si le projet est porté par une société civile de construction vente (SCCV), il est probable que sa reprise par un tiers se fasse par le rachat des parts de la SCCV. En effet, la revente des immeubles en cours de constructions par la SCCV pourrait s’assimiler fiscalement à une opération de marchand de biens entraînant son assujettissement à l’impôt sur les sociétés (IS).

Les modalités de transfert des contrats conclus par la société de projet, la nécessité de purger d’éventuels droits de préemption, ainsi que les contraintes d’urbanisme peuvent également influer sur le choix de l’option de reprise. Enfin, la qualification fiscale des actifs détenus par la société projet au moment de la reprise (terrain à bâtir, immeuble achevé depuis au moins cinq ans) et le régime fiscal appliqué lors de l’acquisition de ces actifs par la société projet sont à prendre en considération, notamment au regard des engagements fiscaux souscrits.

Comparons donc les deux principaux schémas envisageables en ayant conscience que les déclinaisons de ces deux schémas principaux sont multiples, pour s’adapter au mieux aux enjeux de l’opération immobilière et des partenaires.

I. IMPLICATIONS D’UNE PRISE DE PARTICIPATION

Le rachat de tout ou partie des parts de la société de projet nécessite de réaliser un audit juridique et fiscal approfondi de ladite société, de ses actifs, de la fiscalité afin d’évaluer les passifs latents et de négocier une garantie de passif adaptée avec le vendeur. En effet, en rachetant la société de projet, le repreneur « hérite » des actifs constitués de l’opération immobilière cible, mais aussi des passifs, même si ceux-ci trouvent leur origine avant son acquisition.

D’un point de vue fiscal, le cessionnaire sera redevable de droits de mutation sur le prix d’acquisition des parts. Le taux des droits de mutation dépend de la qualification de la société projet de « société à prépondérance immobilière ». Dès lors que la valeur réelle des actifs immobiliers détenus par la société projet représente plus de 50 % de la valeur de la totalité de ses actifs, celle-ci est à prépondérance immobilière et les droits de mutations s’élèvent à 5 %. Les droits sont calculés sur le prix des parts (valeur réelle des actifs moins les dettes). A noter que si la société projet n’est titulaire que d’une promesse, elle n’est pas à prépondérance immobilière, ce qui réduit significativement les droits de mutation.

En achetant les parts de la société de projet, le cessionnaire reprend indirectement à sa charge les engagements souscrits par la société de projet.

Par ailleurs, si la société a acheté les actifs immobiliers avec un engagement de construire un immeuble neuf dans un délai de 4 ans (permettant de limiter les droits de mutation à 125 euros), l’acquéreur devra veiller au respect de cet engagement par la société projet dans le délai imparti depuis l’acquisition des actifs.

Aucun transfert de propriété du bien immobilier objet du projet et des contrats nécessaires à l’opération ne sera requis, ce qui est un gage de fluidité du partenariat et de sécurisation de l’opération.

S’agissant spécialement des contrats liés à la construction, cette voie a le mérite de la facilité : les contrats pourront se poursuivre sans aucune démarche contractuelle. En revanche, une démarche informative sur le changement d’actionnariat du maître d’ouvrage est bienvenue ; elle sera même parfois requise par les clauses du contrat en cours, ce qui suppose un audit préalable de l’opération.

Cela étant, les contrats à fort intuitu personae tels que les contrats de financement, contrats d’architecte, d’assistance à maîtrise d’ouvrage ou de maîtrise d’ouvrage déléguée peuvent renfermer des stipulations plus contraignantes dans cette hypothèse, prévoyant que le changement devra non seulement être dénoncé, mais pourra aussi, éventuellement, ouvrir un droit à retrait du contrat.

Aussi, une vigilance générale reste de mise, qui s’appliquera également pour les contrats d’assurance souscrit par le maître d’ouvrage pour le bien ou le chantier (assurances dommages-ouvrage, TRC), ou encore pour se prémunir des recours de tiers (assurance de responsabilité civile du maître d’ouvrage), mais aussi au titre des polices d’assurance de responsabilité des constructeurs (CNR et CCRD).

L’information préalable de l’assureur pourra s’avérer nécessaire afin d’éviter l’application de toute sanction éventuelle tenant à une prétendue aggravation du risque, même si cela reste peu probable en pratique.

S’agissant des autorisations d’urbanisme, il ne sera pas nécessaire, en principe, de les transférer, la prise de participation ne modifiant pas le titulaire des autorisations. Il en est de même des diverses taxes d’urbanisme dont la société cible reste débitrice. Il faudra, toutefois, veiller à la durée de validité de ces autorisations, qui est aujourd’hui de trois ans avec deux fois un an de prolongation possible, la prise de participation n’ayant aucun effet sur leur validité.

Ainsi, le dépôt d’une demande de permis modificatif sera possible dès la prise de participation, sans autre formalité.

Il faudra, par ailleurs, s’assurer de l’existence éventuelle de contentieux sur ces autorisations d’urbanisme, ainsi que de possibles protocoles d’accord de désistement de ces contentieux qui pourraient avoir un effet sur le projet objet des autorisations.

Les taxes d’urbanisme étant dues par le bénéficiaire de l’autorisation de construire, la prise de participation n’aura pas d’effet sur le recouvrement de ces taxes.

Les autres autorisations administratives telles qu’une convention d’occupation du domaine public (CODP) ou une convention de PUP, par exemple, n’auront pas à être renégociées ni modifiées par avenant, sauf stipulations contraire de ces conventions.

Le plus souvent il n’y a pas non plus, dans ce cas de figure, d’obligation de purger le droit de préemption, ce qui peut dans certains cas être tout à fait déterminant.

Les parties devront, en revanche, négocier l’acte de cession de parts sociales, un pacte d’associés et pourront devoir réviser les statuts, pour traduire et mettre en œuvre leurs accords.

Si l’audit immobilier de l’opération est indispensable, la mise en œuvre du partenariat ou la cession de l’opération nécessitera, ici, des diligences essentiellement corporate.

II. IMPLICATION DE LA CESSION DIRECTE DE L’OPERATION

Il s’agira, ici, de transférer tous les actifs de l’opération immobilière à une société créée par l’investisseur ou à une société de projet constituée entre lui et l’opérateur initial.

Il conviendra d’organiser, au profit de cette société, le transfert de l’ensemble des actifs constituant l’opération immobilière cible : terrain, contrat de conception-réalisation, marché de travaux, droits intellectuels attachés, autorisations d’urbanisme, financement…

Cette option offre plus de souplesse à l’acquéreur pour choisir le régime fiscal de la reprise de l’opération. Celui-ci pourra, à l’occasion du transfert de propriété du bien immobilier, prendre un engagement de construire un immeuble neuf dans un délai de quatre ans, ce qui aura pour effet de limiter les droits de mutation à 125 euros.

Toutefois, si le vendeur a lui-même souscrit un engagement de construire, il sera nécessaire soit que le vendeur substitue un engagement de revendre à son engagement de construire initial (ce qui rendra rétroactivement exigible la taxe de publicité foncière au taux de 0,71498 %), soit qu’il obtienne de l’acquéreur qu’il reprenne son propre engament de construire. Cette substitution ou reprise d’engagement a un impact sur la computation des délais pour construire. Au regard de la TVA, le vendeur devra analyser l’impact de la reprise de l’opération de construction par un tiers sur ses droits à déduction de la TVA déduite en amont sur les travaux déjà engagés.

Le transfert de propriété du terrain pourra intervenir par voie d’apport ou de vente du bien immobilier.

Dans cette hypothèse, le cessionnaire aura également de multiples démarches contractuelles à mettre en œuvre.

En effet, l’ensemble des contrats de l’opération de construction devra, ici, faire l’objet d’un avenant de substitution, pour acter le changement de maîtrise d’ouvrage qui sera d’autant plus facilité que l’hypothèse aura été prévue par les contrats initiaux, dans son principe ainsi que dans ses modalités. Précisément sur ce sujet, la solidarité du cédant avec le cessionnaire, qui n’est pas de droit, sera un point important à vérifier.

En pratique, ces avenants de substitution clôtureront une relation contractuelle pour en faire débuter une nouvelle de sorte qu’ils devront dresser un arrêt sur image, à la fois technique, en établissant un état des tâches effectuées au titre de la phase conception ou de la phase construction au jour de la reprise, et financier, en arrêtant les comptes de chacun des intervenants afin d’identifier les sommes déjà perçues et restant à percevoir.

L’un des contrats de l’opération, le contrat d’architecte ou de maîtrise d’œuvre complète, méritera une attention particulière de la part du cessionnaire relativement à la cession des droits de propriété intellectuelle prévue au contrat initial ; l’avenant de transfert pourra être l’occasion de nouvelles négociations afin d’élargir la cession le cas échéant.

En matière d’assurance de chose attachée au bien, telle que l’assurance dommages-ouvrage ou encore TRC, celles-ci étant accessoires à la chose assurée, elles pourront se poursuivre sans difficulté, à charge toutefois pour le maître d’ouvrage de dénoncer ce changement.

Pour le reste, les contrats d’assurance, qui prévoient rarement de telles substitutions de maîtrise d’ouvrage, devront, ici aussi, faire l’objet d’avenants de substitution ou être remplacés par de nouvelles conventions.

Il en va ainsi pour les assurances de responsabilité civile éventuelles qui ne sont pas liées à l’opération immobilière. Elles ne sont pas transmises d’office et il devra être prévu que le cédant fasse son affaire d’informer son assureur qui pourra éventuellement décider de résilier le contrat. Et, corrélativement, le cessionnaire devra également vérifier sa propre couverture d’assurance pour décider éventuellement de souscrire une nouvelle police ou compléter l’étendue de sa garantie.

D’un point de vue des autorisations d’urbanisme, un transfert de celles-ci sera nécessaire. Pour cela, les autorisations d’urbanisme devront être en cours de validité et le cessionnaire devra bien être titré sur le terrain, ce qui sera le cas par la signature de la promesse de vente.

Si des modifications au permis de construire sont envisagées, la demande de permis modificatif au nom du cessionnaire ne pourra être déposée en principe qu’après que le transfert ait été effectué.

Il faudra également veiller en cas de cession, à l’existence éventuelle de contentieux et de protocoles d’accord de désistement sur ces autorisations d’urbanisme.

En ce qui concerne les taxes d’urbanisme, le fait générateur étant la délivrance de l’autorisation de construire, le redevable est le bénéficiaire de cette autorisation d’urbanisme. En cas de transfert de l’autorisation d’urbanisme, le bénéficiaire de ce transfert, le cessionnaire, deviendra le redevable des taxes.

S’agissant plus particulièrement de la taxe pour création de bureau (TCB), si la cession intervient avant la date d’émission de l’avis de recouvrement de la TCB, le redevable, c’est-à-dire le cédant, peut demander le remboursement de la taxe au cessionnaire, en application de l’article L520-5 du Code de l’urbanisme. Le sujet devra impérativement être convenu entre les parties.

Pour les autres autorisations administratives, telles que des conventions d’occupation du domaine public (CODP) ou des contrats de PUP, ces conventions ne pourront pas être « transférées » en tant que telles au cessionnaire. Il faudra modifier par avenant ces conventions pour substituer la société cessionnaire au cédant, comme titulaire.

La modification de ces conventions n’est, en principe, possible que sous réserve de l’accord préalable de la ou des personne(s) publique(s) signataire(s). La ou les personnes publiques pourrai(en)t refuser de signer l’avenant. Ce refus pourrait alors constituer un levier de renégociation du contenu de ces conventions par les personnes publiques signataires, notamment la clause relative au montant de la redevance, quand bien même il n’existerait pas de clause de révision des participations.

Il conviendra également, dans ce cas de figure, de purger le droit de préemption urbain.

Une telle opération nécessite ainsi le soutien, ou à minima l’absence d’opposition des collectivités locales dont le concours peut être opérationnellement déterminant.

Enfin, le financement de cette opération devra être également « transféré » au nouveau propriétaire ce qui, en pratique, n’est guère possible. Un nouveau financement devra être accordé avec les garanties usuelles impliquant le débouclage du précédent et des garanties y attachées.

Si l’opération est poursuivie en partenariat entre l’opérateur initial et le nouvel investisseur, un « package » de documentation corporate (pacte d’associés, statuts, acte de cession de parts…) devra également être négocié.

Ce type de transfert est opérationnellement plus lourd qu’une prise de participation, mais s’impose parfois pour des raisons financières, fiscales ou de responsabilité. Tout dépendra du contexte propre de l’opération immobilière et des conditions économiques de l’accord.

LPA-CGR avocats : "la reprise d’opérations de développement en difficulté"