La situation actuelle paraît d’autant plus inquiétante que les pouvoirs publics n’envisagent pas d’intervenir pour contrecarrer la dépression, au-delà de quelques aménagements de dispositifs existants dont l’efficacité est loin d’être évidente : en l’absence de détails « techniques » clairs et précis permettant de chiffrer l’impact de mesures énoncées depuis l’été, seule une bonne communication ministérielle bien relayée tient lieu de rapport d’évaluation, alors que tous les dispositifs d’aide et de soutien semblent appelés à disparaître (PTZ en zones B2 et C, Pinel…). Et pour sa part, la Banque de France persiste dans sa volonté de rationner le crédit immobilier, comme si une bonne cure d’austérité allait permettre à des marchés malades de trop bien se porter et de loger les ménages, de retrouver la raison : faible activité et faible consommation de crédits, sans préciser où et comment les ménages pourront se loger. Sans oublier que les scénarios économiques et financiers pour 2024 ne laissent pas entrevoir une amélioration de l’environnement des marchés ouvrant la voie à un retournement de la conjoncture, puis à un rebond rapide et significatif de l’activité immobilière : sauf, évidemment, le scénario de la Banque de France et celui du gouvernement annexé au projet de loi de Finances pour 2024.

De toute façon, même si les prix baissaient comme beaucoup l’espèrent et si les taux des crédits reculaient (comme cela est attendu… pour 2025), il n’est vraiment pas certain que la demande se redresse. Sauf, bien sûr, si des augmentations salariales significatives venaient regonfler le pouvoir d’achat des ménages ou, plus incertain encore, si la Banque de France décidait d’alléger les contraintes de taux d’effort et d’apport personnel.

Baisser les prix des logements pour relancer les marchés ?

Le niveau des prix est souvent avancé comme une des causes de la chute de la demande de logements neufs. Car les évolutions des prix constatées depuis 2019 soulignent la rapidité des augmentations, dans la construction des maisons individuelles (d’après le Markemétron : + 15,6 %) et dans la promotion immobilière (d’après l’ECLN : + 14,2 % pour les appartements et + 27,2 % pour les maisons). Ces évolutions résultent de l’augmentation des coûts de la construction consécutive aux désordres des marchés des matières premières provoqués par la crise sanitaire et par les conséquences de la reprise de l’inflation (tensions sur le coût de la main d’œuvre, notamment), le déclenchement de la guerre en Ukraine étant venu rajouter du déséquilibre aux déséquilibres : avec une hausse de 16,5 % des coûts de production-bâtiment selon le BT01 de l’Insee. Sans oublier le renforcement des réglementations et normes techniques (près de 4 000 dans le secteur du BTP) venu charger le prix de vente des logements neufs : par exemple, avec la RE2020 qui a induit un surcoût de la construction des maisons individuelles de 7 % en moyenne, sans qu’aucun dispositif d’aide publique ne soit venu alléger cette contrainte financière nouvelle pour les acheteurs (bien au contraire, le PTZ ayant été un peu plus dégradé…). Et en se rappelant que la raréfaction des terrains disponibles (avec la mise en œuvre du Zan et les stratégies foncières de nombreuses collectivités locales) et les surenchères de certains acteurs de la filière sont venues amplifier la hausse du coût des terrains nus et de leur aménagement.

Il est donc toujours possible d’invoquer la baisse des prix du neuf pour redynamiser la demande, mais encore faudrait-il expliquer comment cela peut-se faire : en supprimant les balcons, les portes de garages, les baignoires… ou, pourquoi pas, les fenêtres ? Mais, bien sûr, cela n’est certainement pas important !

Le constat est, d’ailleurs, le même pour les prix des logements anciens : pour certains observateurs avisés, il faudrait qu’ils baissent de 10 %, voire beaucoup plus (15 à 20 % peut-on entendre). Ce qui permettrait de resolvabiliser la demande et de relancer le marché, sans intervention publique et avec de fortes économies de crédits immobiliers comme le souhaite ardemment la Banque de France. Mais où faudra-t-il faire baisser les prix et par quels mécanismes ? Car le marché est très segmenté : si, globalement, il est en dépression dans un environnement dégradé (recul de l’offre de crédits, pertes de pouvoir d’achat…), le recul des ventes n’est pas identique partout comme le Baromètre LPI-iad l’illustre parfaitement et les évolutions de prix diffèrent nettement entre des territoires déjà très inégaux en termes de niveau des prix. Si un recul des prix de 10 % (sur combien de temps ?) est envisageable sur Levallois, Neuilly-sur-Seine ou Paris faute d’une demande partie en « banlieue » ou empêchée de s’endetter par le rationnement du crédit, cela n’a guère de sens sur Alès, Béziers, Châteauroux, Saint-Quentin ou Troyes où les prix qui augmentent de 6 à 15 % l’an peinent pour atteindre 1 800 euros/m², soit six fois moins qu’à Paris ; ainsi que dans les départements ruraux où les prix qui plafonnent à 1 400 euros/m² n’ont guère augmenté ces dernières années. Mais peut-être qu’en dehors de Paris et de la région parisienne, peu importe ! Quoiqu’il en soit, comment faire baisser les prix : en supprimant les frais d’agence ? En contraignant les vendeurs à perdre une partie de leur richesse patrimoniale ? En remettant à jour les décrets-lois de la déflation Laval de juillet 1935 ? Là encore, au-delà de l’incantation, rien ne semble très clair.

La hausse des taux des crédits responsable de la dépression ?

Compte tenu des évolutions constatées en 2023, le taux annuel moyen des crédits devrait s’établir à 3,51 % en 2023 d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA (4,10 % en fin d’année 2023 et à 1,63 % en 2022). Dans ces conditions, le taux moyen augmenterait encore doucement en 2024 : de dix points de base par rapport à 2023, voire un peu plus ! Et il finirait l’année 2024 autour de 3,50 %. Sa décrue serait donc assez lente : il faudrait d’ailleurs attendre 2025 pour que le taux annuel moyen repasse sous les 2,75 %.

Car les ajustements attendus du principal taux de refinancement de la BCE seront lents : suivant les scénarios des établissements bancaires, le principal taux de refinancement de la BCE devrait s’établir à plus de 3,40 % en 2024 (3 % en fin d’année) après 3,81 % en 2023. Ces évolutions conduiront les établissements bancaires à gérer avec prudence leur stratégie concernant les taux des crédits immobiliers, afin de préserver la profitabilité de leur production nouvelle : les augmentations des taux d’usure attendues (mécaniquement) au début de 2024 faciliteront cela, même en cas de retour à leur mise à jour trimestrielle.

En attendant, il ne fait aucun doute pour beaucoup que la hausse des taux des crédits est venue à bout du dynamisme des marchés immobiliers. Il est vrai que, confrontés à l’augmentation du coût des ressources permettant de financer la production de crédits immobiliers (notamment, un relèvement du principal taux de refinancement de la BCE, de 2,50 % fin décembre 2022 à 4,50 % en novembre 2023), les établissements bancaires ont accrus les taux des crédits accordés : afin d’éviter une trop forte dégradation de la profitabilité des nouveaux crédits et faire face à la nécessité de « marger » sur la production, comme les autorités monétaires leur imposent. Ils ont, d’ailleurs, été incités à cela par la Banque de France qui a choisi de mensualiser le taux d’usure et, donc, de contribuer au renchérissement du coût du crédit, donc à la dépression de la demande (en appliquant une procédure d’indexation sur l’inflation, puisqu’un taux d’intérêt n’est rien d’autre que le prix de « l’argent » : alors que suivant les recommandations des autorités monétaires, il ne faut pas indexer les salaires sur les prix, afin de lutter contre l’inflation !)… si on estime que la hausse des taux est à l’origine de la crise des marchés.

Il est, néanmoins, de fait que si la hausse des taux a un peu ralenti depuis la fin de l’été, elle a pesé sur la demande : la seule augmentation du taux moyen des crédits a réduit de 16,7 % la capacité d’emprunt des ménages depuis décembre 2022 (un ménage qui pouvait emprunter 100 K/euros à la fin de 2022, ne peut plus emprunter que 83,3 K/euros en septembre 2023). L’allongement de la durée des crédits octroyés constatée entre 2019 et 2022 avait permis de préserver 95 % de la capacité d’emprunt de 2019 en réduisant l’impact de la hausse des taux intervenue en 2022 : mais la stabilisation de la durée constatée depuis plusieurs mois (Observatoire Crédit Logement/CSA) ne permet plus d’amortir les augmentations de taux de l’année 2023.

Un coupable souvent oublié, les exigences d’apport personnel !

Pourtant, mesurer la hausse d’une capacité (théorique) d’emprunt n’est pas suffisant pour expliquer la chute des marchés, dont celui de l’ancien. Car dans le même temps, l’apport personnel moyen s’est établi à un niveau jamais constaté par le passé, en réponse à la contrainte imposée par la Banque de France.

Cette évolution pèse lourdement sur le dynamisme du marché des crédits : par exemple, entre 2019 et 2023, le nombre d’accédants dans l’ancien a reculé de près de 190 000 unités ; le recul du nombre de ceux dont le taux d’apport est inférieur ou égal à 20 % expliquant plus de 85 % de cette baisse (respectivement les trois quarts de la baisse pour un taux d’apport inférieur ou égal à 10 %) ! Et elle illustre les difficultés de réalisation des projets immobiliers par de très nombreux ménages, par ceux dont l’apport personnel est désormais jugé insuffisant, ainsi que par des ménages qui auparavant auraient acheté dans des villes chères et convoitées : ainsi, au 3ème trimestre 2023, le taux d’apport personnel moyen était de 50,4 % supérieur à son niveau du 4ème trimestre 2019, lorsque le marché était au zénith et les exigences concernant l’apport au plus bas.

Or, cette évolution de l’apport a eu un impact dépressif sur la demande, et donc sur le marché, bien supérieur aux conséquences que la hausse des taux a pu avoir ! Une analyse de la situation des seuls accédants à la propriété dans l’ancien (de l’ordre de 85 % des particuliers ayant recours à des crédits immobiliers pour acheter de l’ancien) a été réalisée : elle concerne les opérations effectuées en 2023. En moyenne, l’échantillon représentatif utilisé par l’Observatoire du Financement du Logement de CSA compte chaque année de l’ordre de 80 000 achats : il permet de connaître pour chaque opération immobilière réalisée avec recours au crédit (accession à la propriété, investissement locatif, achat d’une résidence secondaire ou travaux réalisés sur le logement), le coût de l’opération (dont les frais dits « de notaire », les frais d’agence, les droits et taxes…), les caractéristiques de son financement bancaire (nombre de crédits et, pour chacun d’entre eux, montant, taux, durée…), l’apport personnel mobilisé, l’éventuelle revente préalable d’un autre bien immobilier, la situation familiale et professionnelle précise et détaillée du ménage, ses revenus, la localisation de l’opération… Et l’ensemble, bien sûr, dans le respect des contraintes du secret statistique imposées par la Cnil.

Prenons alors l’exemple des moins de deux Smic (34 % des accédants dans l’ancien) : pour une accession à 153 K/euros (3,5 fois moins que les cinq Smic et plus) représentant 6,1 années de revenus (4,3 années pour les cinq Smic et plus), ils empruntent 107 K/euros en moyenne. La hausse des taux intervenue en 2023 fait peser sur eux un surcoût équivalant à 4,9 % du total de leurs revenus annuels (3,4 % dans le cas des cinq Smic et plus) : l’augmentation de l’apport personnel ayant eu un impact un peu moindre, mais tout de même comparable (respectivement 3,7 et 2,3 %). En revanche, si la hausse des taux intervenue depuis 2021 a nécessité un effort supplémentaire représentant 5,2 % de leurs revenus pour les moins de deux Smic (3,6 % pour les cinq Smic et plus), celle de l’apport personnel a eu un impact quatre fois plus important quel que soit le niveau de revenus des emprunteurs (22 % pour les deux Smic et moins et 14 % pour les cinq Smic et plus). Quant à l’augmentation des apports constatée depuis 2019, elle a eu un impact de l’ordre de 18 fois plus important que celle des taux !

Car si la remontée des taux des crédits immobiliers n’intervient qu’à partir de l’été 2022 (les taux reculant d’ailleurs presque régulièrement durant les années 2020 et 2021, d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA), la hausse des apports personnels commence à produire ses effets dès 2020. La décision de rationner l’accès au crédit prise par la Banque de France et le ministère de l’Economie ayant été d’une efficacité remarquable, de ce point de vue !

Si les évolutions des taux semblent essentielles pour beaucoup afin d’expliquer les transformations de la conjoncture, ne serait-ce qu’en raison de leur visibilité (et de la simplicité de la communication « commerciale » qu’elles permettent), il n’est guère certain que la pertinence des approches afférentes soit très grande. Car certes la hausse des taux rend difficile la réalisation des projets, mais parce que la contrainte de taux d’effort (et donc d’apport personnel) imposée par la Banque de France empêche les ménages d’emprunter plus : alors que le risque de défaut des emprunteurs immobiliers n’a jamais été aussi bas … si on en croit la Banque de France elle-même (« Le baromètre mensuel de l’inclusion financière », numéro 31, novembre 2023).

Mais trop souvent, une absence de données pertinentes

L’identification de la cause de la chute des marchés immobiliers nécessite donc de ne pas se limiter aux quelques indicateurs conjoncturels habituellement retenus. Certes, les prix et les taux des crédits constituent des indicateurs assez facilement accessibles : ne serait-ce qu’au regard de l’usage commercial qui en est fait, tant par les réseaux d’agences immobilières par exemple, que par les fournisseurs de conseil aux emprunteurs. Mais, malheureusement, beaucoup d’informations essentielles sont trop souvent omises : soit par défaut d’analyse, soit en raison de leur absence parmi les statistiques recueillies. Tel est le cas, par exemple, de la durée des crédits octroyés : ce qui conduit des « analystes » du marché à diffuser des indicateurs de solvabilité de la demande ou de la surface achetable en supposant que dans toutes les villes et pour tous les emprunteurs (voire depuis toujours), l’emprunt se fait sur vingt ans.

Mais surtout, l’absence de référence au niveau de revenus des emprunteurs pose un vrai problème : car depuis le début de 2023, ces revenus s’élèvent rapidement (+ 7,2 % sur un an, contre + 4,3 % en 2022). En effet, comme le montre bien l’Observatoire Crédit Logement/CSA, le resserrement de l’accès au crédit a pesé sur une demande fragilisée par la remontée des taux d’intérêt et le maintien de prix élevés (ou leur faible recul) : l’accès au marché est devenu plus difficile, pour les emprunteurs modestes faiblement dotés en apport personnel, comme pour les ménages plus aisés ne pouvant plus disposer d’un apport suffisant au regard des prix pratiqués dans nombre de grandes agglomérations. Nombre de ménages sont contraints à l’abandon de projets, des plus modestes aux plus ambitieux (surface et qualité des biens, localisation…) ; beaucoup choisissent de délocaliser leur demande vers des lieux d’habitation où les prix des logements seront moins élevés, alors que d’autres préfèrent réduire la surface, le nombre de pièces et la qualité (étiquette énergétique, environnement…) du bien acheté. Et le coût des opérations réalisées (le coût, mais pas le prix au mètre carré) recule nettement après une augmentation assez soutenue par le passé (- 5,8 % en glissement annuel, contre + 5 % en 2022). Ainsi, le coût relatif diminue fortement : 4,1 années de revenus en 2023, contre 4,7 années de revenus il y a un an. Le coût relatif est donc revenu à son niveau du 1er trimestre 2015, mais sans que cela ne permette aux marchés de rebondir : cette baisse du coût relatif est pourtant équivalente à un recul des prix (au mètre carré, à surface inchangée) de l’immobilier de 12,5 %, mais sans que la demande ne se redresse.

Une analyse pertinente des marchés suppose donc de tenir compte de tous les paramètres : taux des crédits, durée des emprunts, prix au mètre carré des achats, surface des biens acquis, revenus des emprunteurs… et apport personnel mobilisé ! Mais comme cette dernière donnée est absente (les « observatoires » des réseaux d’agences) car difficile à collecter autrement que par l’intermédiaire du déclaratif ou de l’approximation (les fournisseurs de conseil aux emprunteurs), les « analyses » se contentent de ne regarder que ce qui se trouve sous la lumière du lampadaire. Et lorsqu’une information semble disponible (les « reportings » de l’ACPR), elle a largement perdu de sa pertinence au point de devenir presque inutilisable, compte tenu de son mode de collecte (des remontées statistiques semi-agrégées nécessitant de fragiles hypothèses lors de leur utilisation).

Et de toute façon, même si une donnée pertinente concernant l’apport personnel des emprunteurs était disponible dans les remontées statistiques dont elles disposent, il est peu probable que les autorités monétaires nationales de contrôle des banques mettent en évidence l’impact négatif du resserrement de l’accès au crédit sur l’activité des marchés immobiliers. Tout ne peut donc être, de leur point de vue, que la conséquence des décisions prises par la BCE ou l’effet de la rigidité à la baisse des prix immobiliers !

Il est peu probable, dans ces conditions, que le rebond des marchés soit rapide. Sauf, bien sûr, si le ministère de l’Economie libérait subito presto la contrainte budgétaire et en fasse largement bénéficier le secteur du logement !

Michel Mouillart

Prix, taux d’intérêt, apport personnel et récession de l’immobilier résidentiel