L’immobilier est susceptible d’être qualifié d’activité « taxonomie-compatible »

La Commission européenne a été chargée en 2019 d’établir une taxonomie, c’est-à-dire une classification des activités économiques « durables », afin de réorienter une part significative de l’investissement privé et parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050.

Les jalons en sont posés par le règlement 2020/852 du Parlement Européen et du Conseil du 18 juin 2020, qui fixe six objectifs environnementaux dont l’atténuation du changement climatique.

Un premier acte délégué (équivalent à un décret) a été rendu public par la Commission européenne le 4 juin 2021, fixant les critères d’examen technique permettant de déterminer à quelles conditions une activité économique peut être considérée comme contribuant substantiellement à l’atténuation du changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci.

Le secteur de l’immobilier fait partie de la liste des activités figurant en annexe de cet acte et est ainsi considéré comme une activité susceptible de contribuer à l’atténuation climatique ou à l’adaptation au changement climatique. Sont notamment visés la construction de bâtiments neufs, la rénovation de bâtiments existants, l’installation/maintenance/réparation d’équipements favorisant l’efficacité énergétique et l’acquisition et propriété de bâtiments.

L’immobilier peut ainsi être qualifié au titre de la taxonomie européenne, à condition toutefois de respecter certaines conditions.

Des obligations de transparence pour le secteur de l’immobilier

La taxonomie souhaite permettre aux investisseurs et au grand public d’évaluer la part d’activités économiques durables sur le plan environnemental des entreprises non financières et impose, ainsi, des obligations d’informations et de faire savoir à quels objectifs environnementaux ces activités contribuent substantiellement.

Les obligations d’informations sont les suivantes :

du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2022, les entreprises non financières du secteur de l’immobilier à savoir celles soumises à Déclaration de Performance Extra-Financière (soit [1] ayant plus de 500 salariés et un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros pour les sociétés cotées et supérieur à 100 millions d’euros pour les sociétés non cotées), doivent publier la part durable de leur chiffre d’affaires, de leurs dépenses d’investissement (Capex) et de leurs dépenses d’exploitation (Opex) éligible (voir ci-dessous) avec la Taxonomie ;
du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2023, les entreprises financières, à savoir les gestionnaires d’actifs, établissements de crédit, entreprises d’investissement, les sociétés d’assurance doivent publier la part, dans leur actif total, d’expositions sur des activités économiques éligibles à la taxonomie et d’expositions sur des activités économiques non éligibles à la taxonomie ;
à partir du 1er janvier 2023 pour les entreprises non financières et à partir du 1er janvier 2024 pour les entreprises financières, devront être publiés des indicateurs clés de performance (ICP) desquels résulteront la part des actifs non seulement éligibles à la taxonomie, mais également alignés sur la taxonomie.

En résumé : les entreprises financières et non financières du secteur de l’immobilier sont, depuis le 1er janvier 2022, obligées de communiquer la part durable de leurs activités qui sont éligibles à la taxonomie. A partir du 1er janvier 2023 pour les entreprises non-financières et du 1er janvier 2024 pour les entreprises financières, celles-ci devront publier la part alignée de leurs activités.

Compatibilité des investissements immobiliers avec la taxonomie

Vérification de l’éligibilité

Il faut ainsi d’abord vérifier qu’une activité est éligible à la taxonomie en raison de son secteur d’activité ou par comparaison avec son code NACE. Comme indiqué ci-dessus, le secteur immobilier est une activité éligible à la taxonomie.

Vérification de l’alignement

Il s’agit de s’assurer ensuite que l’activité d’investissement est alignée avec les critères de durabilité que sont la contribution substantielle à un objectif environnemental, l’absence de nuisance à l’un de ses objectifs et le respect de garanties sociales minimales.

Calcul des ICP

Une fois ces critères remplis, il convient de déterminer le périmètre des dépenses ou produits financiers éligibles et alignés à la Taxonomie. A cette fin, les acteurs doivent utiliser les méthodologies de calcul des ICP (indicateurs clés de performance) définies par la Commission européenne à l’article 8 de la taxonomie.

Prenons l’exemple de la construction de nouveaux bâtiments.

En raison de sa contribution directe et positive à un objectif environnemental, cette activité fait partie des activités éligibles à la Taxonomie.

Pour être aligné à la taxonomie, le bâtiment construit doit avoir une demande d’énergie primaire d’au moins 10 % inférieure au seuil fixé par la directive européenne dite « Nearly Zero-Emission Building » (NZEB). En France, la norme thermique équivalente est la RE 2020, entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2022 pour les bâtiments d’habitation et le 1er juillet 2022 pour le tertiaire, de sorte que pour être aligné à la taxonomie le bâtiment neuf devrait être de 10 % plus performant que la RE2020. Cette exigence accrue va dans le sens du Label RE 2020, annoncé pour la fin de l’année 2022 ou le début de l’année 2023.

Ensuite, la construction ne doit pas nuire aux autres objectifs environnementaux fixés par la taxonomie. Il s’agit de prévoir, préalablement à la construction, des plans d’évaluations des risques climatiques posés par le bâtiment, afin d’anticiper l’émergence d’externalités environnementales négatives.

Enfin, l’activité de construction doit respecter les garanties sociales minimales imposées en droit international telles que la déclaration de l’Organisation Internationale du Travail relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi, les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales, les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme.

Une fois ces étapes de vérification passées, l’acteur immobilier doit procéder au calcul de la part éligible et alignée de ses activités.

Un environnement règlementaire complexe

Le dispositif règlementaire européen sur la taxonomie se superpose aux règles nationales, dont le seul respect n’est pas suffisant pour disposer d’actifs qualifiant au titre de la Taxonomie européenne.

En France, le dispositif juridique sur le « verdissement » des immeubles est vaste : la loi n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relative aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire (décret tertiaire), la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat (Loi Climat), le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE), sans parler des différents labels et certifications environnementales…

Si ces dispositifs ont certainement permis de mieux identifier les bâtiments « verts », la Taxonomie va désormais plus loin : la simple application des normes françaises ne permet pas à un actif immobilier d’être qualifié au titre de la Taxonomie européenne. La taxonomie a le mérite de se détacher des autres textes par son degré de précision très élevée, notamment grâce aux critères d’examen technique définis dans ses actes délégués (exemple : essais d’étanchéité à l’air et d’intégrité thermique après achèvement d’un bâtiment d’une superficie supérieure à 5 000 m2) ; dans le cas de bâtiments construits avant le 31 décembre 2020, un certificat de performance énergétique relevant au minimum de la classe A et le renvoi aux normes environnementales équivalentes dans chaque pays.

Quelques zones d’ombre persistent, néanmoins, à ce jour, autour du caractère véritablement incitatif ou non de la taxonomie.

L’article 22 du règlement du 18 juin 2020 prévoit que les Etats membres fixent eux-mêmes les règles relatives aux sanctions du non-respect des obligations d’information en matière de durabilité. Pour l’instant, aucune précision n’a été apportée par le législateur français sur le contenu et la mise en œuvre de ces mesures répressives, de sorte qu’il n’existe pas de sanction en cas de publication d’une information inexacte ou trompeuse.

Comme les actifs « verts » sont recherchés par les investisseurs, il peut être pensé que les obligations de transparence, même sans mécanisme de sanctions, aboutiront à augmenter les actifs compatibles avec la taxonomie.

Se pose encore la question du droit applicable pour les fonds immobiliers ou sociétés immobilières étrangères investissant en France : conviendra-t-il de se référer à la norme de référence française (telle la RE2020) ou à celle ou à celui du pays d’origine comme pour apprécier l’alignement sur la taxonomie européenne ? D’un point de vue juridique, la qualification devrait, à notre sens, se référer à la loi du lieu du siège de l’investisseur. Or, il faudra procéder de manière pragmatique, car il sera impossible d’imposer aux constructeurs et promoteurs français des références étrangères.

[1] A partir de 2023, les nouveaux seuils introduits par la directive CRSD (Corporate Sustainability Reporting Directive) incluront les PME cotées ayant entre 50 et 250 salariés, avec un chiffre d’affaires compris entre 8 et 40 millions d’euros et le seuil du nombre de salariés des grandes entreprises sera abaissé à 250 au lieu des 500.

Silke Nadolni et Aurélie Dauger (LPA-CGR avocats) : taxonomie européenne et secteur de l’immobilier