“Complexe” “Contemporain”

Comment voyez-vous l’avenir de l’immobilier ?

L’avenir de l’immobilier sera complexe car il va sortir de sa singularité. L’immobilier est un art de l’assemblage, c’est de la que naît cette complexité. Et celle-ci doit être heureuse. Les ébénistes et les charpentiers savent, avec les pièces de bois qu’ils assemblent, qu’un plus un vaut plus que deux. Selon moi, le mot immobilier n’est pas essentiel. J’y suis familier car c’est l’art pratiqué par mes clients, mais je pense à cette formule de Malraux : “le cinéma est un art, mais par ailleurs une industrie”. En adaptant cette citation à notre secteur, l’immobilier serait alors une industrie, mais aussi un art. Ces deux aspects sont indissociables. C’est à la fois une industrie de production, un vrai business, une vraie technologie, un savoir-faire, une expérience, un métier qui laisse des traces visibles sur le territoire, mais c’est un art. Si ce n’était qu’une industrie, ce ne serait pas très intéressant. L’intérêt réside dans l’action de sublimer l’industrie pour la rendre artistique. Ce rapprochement entre l’industrie et l’art fait que nous sommes armés pour faire face aux défis dans l’instant. Or, l’architecture est un art de l’anticipation. Finalement quand vous êtes en avance dans les concepts architecturaux, c’est que vous êtes à l’heure et quand vous êtes à l’heure, vous êtes déjà en retard… c’est cette conceptualisation de l’immobilier qui permet d’anticiper sur les besoins futurs. Car l’immobilier est, au contraire de l’architecture, un art de l’instant. Il doit exister au moment où se font les choses, notamment en raison des évolutions des marchés et des coûts des matériaux. L’architecture dispose de plus de liberté, car l’art peut bouger dans le temps et intégrer des valeurs immatérielles comme le désir, le plaisir, anticiper sur des besoins et notamment sur la question des immeubles de “Complexe” “Contemporain” bureaux. Ces derniers ont, par ailleurs, une nouvelle dénomination : immeubles de travail, de coworking… Il faut faire face à cette flexibilité de la demande et être contemporain.

Quels sont les immeubles qui vous ont le plus marqués ?

J’ai connu des périodes différentes. Je fais partie de la dernière génération qui a connu les Beaux-Arts, c’est-à-dire l’approche de la construction par l’académisme et ses règles qui sont tombées en 1968. Je suis allé aux Etats-Unis pour sortir de ces méthodes de fonctionnement : le choix de partir s’imposait car la modernité en France était difficile à trouver. Le hasard de l’histoire a fait que les grands architectes qui portaient le mouvement moderne étaient partis aux Etats-Unis. Là-bas, j’ai voulu m’inspirer des grands noms comme Walter Gropius, Ludwig Mies van der Rohe, entre autres. Cette expérience, entre Harvard et le MIT, m’a été utile pour m’amener dans le modernisme. Ainsi, le premier bâtiment qui m’a déterminé dans ma vocation d’architecte est la Ford Foundation de Kevin Roche et John Dinkeloo à New York. Cet immeuble m’a bouleversé quand j’avais 21 ans. C’était un bâtiment en acier noir avec une sorte de radicalité moderne : ma vocation était née et confirmée. Depuis lors, je suis toujours resté moderne, mais cette modernité m’a lassée et m’est apparue par moments décalée par rapport aux besoins de la société. Elle s’est éloignée des réponses attendues et a eu une prétention universaliste qui n’a pu fonctionner dans nos désirs actuels. Au contraire, la contextualité rend la modernité à la fois désirable et efficace. Dans ce cadre-là, je citerai l’ensemble “Nhow Hotel” de Rem Koolhaas à Rotterdam (PaysBas) : il s’agit de trois tours décalées au bord de la rivière. Rem Koolhaas a réalisé un bâtiment d’une modernité radicale et d’une contextualité farouche. Il ne peut être situé ailleurs que là où il se trouve : il traduit l’esprit et l’âme de Rotterdam. A Paris, pour parler d’un travail modeste et sublime, la transformation de la tour de logements Bois-lePrêtre par Lacaton & Vassal. Ce bâtiment incarne une modestie absolue et un succès éclatant. Il faut de l’obstination, de la patience, et du talent pour réaliser une telle opération. J’admire ce bâtiment qui m’évoque une tendance de l’époque, parfois difficilement identifiable par les jeunes architectes. Il s’agit de la différence entre la structure et la texture. Un bâtiment est un objet dans l’espace : c’est son aspect structurel. Il a un habillage, une peau reliant cette structure à l’extérieur, ce que l’on voit : la texture. Il y a aujourd’hui une génération qui se polarise uniquement sur la texture. Je pense qu’ils ont tort de faire cela car les deux éléments sont indissociables. Le résultat de Lacaton & Vassal n’a été possible qu’avec un gros travail sur la structure du bâtiment. Le dernier projet, en cours d’élaboration, que je cite concerne les tours Sisters de Christian de Portzamparc. Ce travail réalisé par cet architecte est admirable, doux, léger, courbe, en relation avec l’espace et le ciel. Dans cet univers froid et noir, auquel j’ai contribué, il a amené un bâtiment d’une grande élégance tout en blanc qui fait un bien fou à La Défense. Dans le même genre, je travaille sur une tour actuellement en construction à Casablanca (Maroc) sur le terrain mythique de l’aéroport d’Anfa. L’idée est de donner une vision apaisée, jolie, fraîche, blanche, aérienne à ce quartier qui sera le quartier financier de Casablanca.

Avez-vous des raisons d’être optimiste ?

La principale raison d’être optimiste est cette prise de conscience que les temps ont changé. La crise a permis de se rendre compte qu’il fallait amorcer du changement sur plusieurs sujets. De plus, les pressions migratoires qui augmentent la densité en centreville ont fait se rendre compte qu’il fallait modifier l’approche. Les métiers d’architecte, d’investisseur, de développeur changent, s’ouvrent, deviennent plus audacieux et entreprenants. La mixité urbaine et cette intensité réclament beaucoup de savoir-faire pour faire face à cette complexité. Cette dernière doit être abordée avec bonheur et avec grande joie !

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