Marquées par le couvre-feu et le reconfinement de certains territoires, les premières semaines de 2021 ont été difficiles pour le marché français des commerces. Certains éléments apportent néanmoins une lueur d’espoir, à commencer par le lancement d’une campagne de vaccination qui permettra, à terme, de desserrer l’étau des mesures de restriction et de restaurer la confiance des ménages, les incitant ainsi à utiliser l’épargne accumulée depuis le début de la crise sanitaire. L’horizon n’est donc pas bouché, d’autant que chacune des deux périodes de confinement a été suivie d’un retour important en magasin, soulignant la propension des Français à consommer et leur attachement au commerce physique. Enfin, si nombre d’enseignes ont arrêté ou ralenti leur expansion, d’autres ont continué de se développer, démontrant leur capacité à se projeter dans l’après-Covid.

A Paris, le luxe « confiant »

Tous les secteurs d’activité, formats commerciaux et localisations ne disposent pas, bien sûr, des mêmes atouts face à l’épidémie. A Paris, l’absence des touristes étrangers a représenté un manque à gagner particulièrement important pour les commerces de luxe, qui devront encore se passer d’une bonne partie de cette manne en 2021 et 2022. Malgré cela, la baisse du nombre d’ouvertures de boutiques de luxe a été relativement modérée en 2020 (29, contre 34 en 2019) grâce à la finalisation de projets initiés bien avant l’épidémie. La trentaine de projets en cours indique aussi que les groupes de luxe sont relativement confiants quant à l’attractivité de Paris sur le long terme, même s’ils donnent la priorité à l’amélioration des boutiques existantes et tendent à se recentrer sur les meilleurs emplacements.

10 % de vacance rue de Rennes et boulevard Saint-Michel

Les rues fréquentées par une clientèle locale aisée, comme la rue de Passy tirent, quant à elles, leur épingle du jeu. En revanche, les prochains mois seront encore difficiles pour les quartiers touristiques et de bureaux, et les rues dont l’offre compte une part importante d’enseignes d’habillement. Ainsi, le taux de vacance dépasse, par exemple, 10 % rue de Rennes et boulevard Saint-Michel, et il sera intéressant de voir de quelle façon la correction des valeurs locatives pourra contribuer au redémarrage de l’activité locative. Plus généralement favorables aux preneurs sur la plupart des artères « prime », les conditions de négociation pourraient permettre au marché parisien de rester attractif et faciliter l’implantation de grandes enseignes internationales. Quelques arrivées de poids ont d’ores et déjà été actées, témoignant du rayonnement incontestable de la capitale française : outre IKEA, qui ouvrira en juin, rue de Rivoli son premier concept dédié à la décoration dans le monde, Kith et Restoration Hardware, concepts parmi les plus pointus du moment, ont ainsi choisi Paris plutôt que Londres pour leur première ouverture en propre en Europe.

La fréquentation en baisse de 28 % dans les centres commerciaux

Hors de Paris, les performances des commerces varient fortement selon les villes et les formats. Ainsi, la fréquentation des centres commerciaux a chuté de 28 % en France en 2020, les plus grands ayant été les plus pénalisés en raison de longues périodes de fermeture. La situation reste d’ailleurs très incertaine, en raison du durcissement des mesures de restriction. Les contrastes sont également saisissants selon l’activité, distinguant les secteurs dynamiques (équipement de la maison, sport), de secteurs en difficulté comme l’habille- ment, la restauration et les loisirs. En 2021, les zones commerciales de périphérie continueront, quant à elles, de résister grâce à un positionnement prix répondant aux contraintes budgétaires des ménages, à des coûts d’occupation moins élevés pour les enseignes et à une offre faisant la part belle aux secteurs les plus résistants (alimentation, bricolage, discount, jardineries…). Néanmoins, aucun segment de marché n’est véritablement épargné par la crise, plusieurs enseignes très présentes en périphérie ayant, par exemple, fait l’objet de procédures de redressement. Si la plupart ont été rachetées, ces acquisitions placent le marché aux mains d’un nombre plus réduit d’acteurs, ce qui se traduit par la réduction du nombre de doublons au profit des meilleurs emplacements.

Le potentiel de croissance du parc des commerces se réduit

Accentuées par la concentration du secteur de la distribution et les arbitrages liés à l’essor des ventes en ligne, les opérations d’optimisation menées par les enseignes suggèrent que le potentiel de croissance du parc français des commerces se réduit. L’année 2020 a d’ailleurs été marquée par un net ralentissement des développements. Avec à peine 130 000 m2 inaugurés en France (51 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années), la production de nouveaux mètres carrés de centres commerciaux a ainsi atteint son niveau plancher. En 2021, les inaugurations pourraient être plus importantes, car gonflées par la livraison de plusieurs projets initialement prévus pour 2020. Mais il s’agira pour une très grande part d’opérations de restructuration et d’extension (« Italik » à Paris, « Carrefour Nice Lingostière »…). Quant aux « retail parks », seuls 230 000 m2 ont été inaugurés en 2020, contre une moyenne de 350 000 à 600 000 m2 chaque année depuis 2010. Partiellement lié aux retards de travaux dus au premier confinement, ce coup de frein inédit indique aussi que le marché arrive à maturité et que les commercialisations sont moins aisées. Le contexte politique et réglementaire est également moins favorable au lancement de nouveaux programmes, le projet de loi « Climat et Résilience » intégrant, par exemple, un principe général d’interdiction des créations de nouvelles surfaces commerciales qui entraîneraient une artificialisation des sols.

Une prime aux actifs existants

La baisse durable des nouveaux développements devrait profiter aux actifs existants qui, depuis plusieurs années, pouvaient à la fois souffrir des arbitrages des consommateurs et du développement soutenu de nouveaux mètres carrés de commerces. L’adaptation de l’existant aux nouvelles attentes des consommateurs n’en est pas moins indispensable, ce dont les foncières ont conscience puisqu’elles s’efforcent depuis des années de moderniser et de repositionner leur patrimoine. L’épidémie de Covid-19 accélèrera cette tendance, contribuant à la montée en gamme et à l’adaptation du parc immobilier dans une logique de complémentarité avec les ventes en ligne. Amplifié par la crise sanitaire, l’essor du e-commerce est, en effet, un facteur déterminant, qui interroge de plus en plus le rôle même des points de vente, contribuant notamment à la multiplication des « drives » piétons, « dark kitchen » et autres points de retrait ou de préparation de commandes.

Des opportunités à saisir pour les investisseurs

Ces transformations profondes et les interrogations sur le devenir de certains actifs commerciaux ont évidemment des effets sur le marché de l’investisse- ment. Après la baisse de près de 30 % des volumes investis en commerces en 2020, l’attentisme ambiant, le nombre plus restreint d’acquéreurs potentiels et le resserrement des conditions de financement devraient également limiter l’activité en 2021 et au-delà. Certains investisseurs sauront néanmoins saisir les opportunités liées à la crise sanitaire, qu’il s’agisse de centres commerciaux à redynamiser ou d’actifs à adapter à de nouveaux usages et aux préoccupations du moment. De fait, la prise en compte de l’urgence écologique, la volonté de repenser la conception des grandes villes autour des notions de proximité et de vie de quartier ou encore les nouvelles pratiques de mobilité sont autant de preuves du bouleversement que connaît actuellement le commerce, et dont les traces perdureront sans doute longtemps après la crise sanitaire…

Antoine Grignon (Knight Frank) : « une lueur d’espoir pour le commerce »