Et c’est une lauréate venue à vélo (son nouveau mode de transport favori) que l’on rencontre, dans les bureaux d’Ivanhoé Cambridge, où elle vient d’être promue directrice principale investissement Europe. Pour elle, l’aventure immobilière a commencé il y a 10 ans, chez Generali Immobiliare, puis dans une société alors naissante avec Laurent Fléchet et Grégory Frapet, Primonial REIM. « Nous étions cinq ou six dans le bureau, c’était le début de l’histoire pour cette entreprise tout juste créée après le rachat de deux fonds, puis nous avons beaucoup collecté et beaucoup investi, tout cela dans une ambiance de travail extraordinaire, un peu en mode startup ». Le « choix du roi » professionnel comme elle l’appelle lui est offert :« j’ai pu faire ce que j’avais envie, l’investissement et le bureau. J’adore et ai toujours adoré le bureau : c’est un lieu qui peut être beau sur le plan esthétique, mais c’est aussi un lieu, aujourd’hui en plein bouleversement, dans lequel on passe 10 à 12 h par jour ». Chez Primonial REIM, elle apprend à « faire des deals », mais l’envie d’évoluer et d’élargir son horizon la tenaille, tout comme celle de se lancer de nouveaux challenges. Elle rejoint, en 2017, Stam Europe comme directrice investissement France, « une petite boîte » où elle apprend « à tout faire » : sourcer les deals, lever l’« equity » et investir. « C’est le métier le plus compliqué que j’ai exercé ; investir, quand on a beaucoup d’argent, c’est facile. Là, j’ai dû relever de nouveaux défis et apprendre » explique Maud Wargny. Résultat : la première année, 800 millions d’euros d’investissements ont été réalisés par Stam Europe et, pour la première fois, notre lauréate « sort du bureau » pour investir aussi dans le résidentiel et la logistique. Puis, alors que la société est vendue et son fondateur parti, Maud Wargny est « chassée » par Ivanhoé Cambridge, qu’elle intègre en septembre 2019 pour piloter la France. Elle trouve, notamment, dans cette filiale de la Caisse de Dépôt et Placement du Québec « une dimension européenne » qui l’enthousiasme (elle attend d’ailleurs avec impatience de pouvoir enfin sauter dans un avion pour rencontrer « en vrai » sa direction et ses collègues) : « c’est hyper intéressant d’avoir une vision et des stratégies plus globales. J’investis en France, mais je vais mettre en perspective d’autres pays d’Europe ». L’an dernier, le groupe a, dans un contexte pour le moins compliqué, réalisé un milliard d’euros d’investissements en France, principalement en bureau et logistique avec, par exemple, de beaux sujets tels qu’« Arboretum » (un partenariat avec Icawood, ndlr]. « Nous sommes très focus ESG, très attentifs aux aspects environnementaux et sociaux dans nos investissements. En matière de logistique par exemple, il y a des améliorations à aller chercher et nous avons envie de développer cela dans toute l’Europe ». Les choix d’investissement « bureau » seront, eux aussi, différents. « Nous ne croyons plus à ces quartiers 100 % bureaux et recherchons aujourd’hui des produits mixtes, réversibles, permettant les échanges ; les bureaux doivent être des lieux de vie autant que des lieux de travail ». La crise économique qui se dessine ne freine pas sa « positive attitude » : « oui, je suis inquiète car lorsque le chômage partiel va s’arrêter cela va être très dur pour beaucoup de monde mais, en immobilier, nous sommes sur des changements majeurs, nous avons pour la première fois été bousculés et avons dû changer. C’est passionnant ». Elle ajoute : « il y a 10 ans, par exemple, jamais je n’aurai imaginé que je n’irai pas au bureau. En tant que femme, le télétravail apporte énormément de flexibilité ; en terme de charge mentale, il m’a rendue moins speed, mais je n’avais pas les conditions de travail idéales. Et, si je suis heureuse et épanouie d’être maman — elle a deux enfants d’un an et presque quatre ans —, je le suis aussi d’avoir un métier, de relever des challenges ; c’est un super équilibre et je ne peux pas être heureuse l’un sans l’autre même si c’est parfois la course ». Une course au succès, qui la mène en 2021 vers une belle « Pierre d’Or », elle qui se disait, sans savoir qu’elle serait lauréate, « fière de cette nomination et fière aussi de voir des femmes figurer dans cette catégorie » !

Catherine Bocquet

LE PORTRAIT DES NOMMES

Philippe Joland (directeur général France – Tishman Speyer)

« Bien placé »

« Nous entrons dans l’ère post-Covid avec la confiance absolue de nos investisseurs ». Philippe Joland, DG France du Tishman Speyer depuis sept ans, après avoir été formé à l’école Bourdais dès le début des années 1990, continue de parler de « ses » immeubles, ceux qu’il a vendus, ceux qu’il vient d’acheter, comme des êtres vivants, des objets de désir.

Tishman Speyer, entreprise d’origine nord-américaine toujours contrôlée par ses deux fondateurs, figure parmi les premiers gestionnaires d’actifs immobiliers dans le monde. « Son management se veut familial… nous sommes les plus discrets des gros et en cela, nous sommes peu imités. Tishman m’a convaincu que les affaires, c’est comme le tennis, l’important n’est pas de courir, mais d’être bien placé ».

Être bien placé, c’est se défaire de ses placements au bon moment, si possible avant les autres. « Le marché immobilier, c’est de la liquidité. Quand elle est disponible, il faut vendre… Ce que nous avons fait par instinct, dès 2018, avant l’imprévisible Covid, et redistribué l’argent à nos investisseurs ». Le pragmatisme de l’arbitrage selon Philippe Joland.

En 18 mois, entre début 2018 et mi-2019, le portefeuille est passé de quatre milliards d’euros à deux milliards et demi, après cession de pas moins de sept immeubles.

Ont été vendus à La Défense, la tour Pacific acquise en 2013, « CBX » en haut de laquelle Tishman, précurseur, avait inauguré la première zone de services au dernier étage et sur le rooftop, « Lumière » dans le 12ème, construit en 1992 et alors le plus grand immeuble de bureaux à Paris et, sans doute, le plus gros deal de l’année 2019, le « Cristalia » à Rueil-Malmaison, le « Smart Up » à Chatillon.

« Fin 2019, peu d’actifs sur le marché, nous avons du capital disponible et des partenaires impatients d’investir. En 2020, plus d’offres et moins d’acteurs, alors on fonce »… La leçon de tennis du professeur Joland : être bien placé pour le placement… dans les meilleurs emplacements.

Tishman Speyer France a acquis trois immeubles au cours du premier semestre 2020, l’« Espace Lumière », le studio de production audiovisuelle conçu il y a 20 ans par Portzamparc pour Canal+ à Boulogne, la tour Cristal dans le 15ème, première tour construite sur le Front de Seine et, enfin, le « Carré Saint-Germain », qui fera l’objet d’une réhabilitation lourde. Pour ce dernier immeuble, au cœur du quartier latin, adresse de naissance de Baudelaire, Philippe Joland retrouve l’accent d’un maître d’ouvrage, qui veut le mieux, le plus accueillant, le plus intuitif. A l’image de son ultime acquisition, il y a un mois, l’immeuble de BETC à Pantin, l’agence publicitaire qui a redonné vie aux anciens magasins généraux.

Brice Lefranc

Eric Sasson (président – RedTree Capital)

« En équipe »

Les crises en immobilier, il connaît. A 57 ans, c’est la quatrième que le fondateur de RedTree Capital traverse. Alors 2020, malgré le confinement et le télétravail, n’a pas douché son enthousiasme. « Sans dire que je suis un habitué, je n’ai pas eu de sentiment de fin du monde ».

Sa traversée sans encombre de cette année particulière, concrétisée notamment par l’acquisition par le fonds RedTree French Estate du 33, rue du 4 Septembre, dans le 2ème arrondissement, Eric Sasson la doit pour beaucoup, selon son propre aveu, à ses équipes. Pour lui qui vient d’une famille nombreuse, toute réussite passe, en effet, par le collectif. « Je n’aime que travailler en équipe. Mais si je crois à la discussion et aux échanges, je crois aussi au leadership. En fin de compte, il faut quelqu’un qui décide. Et, en l’occurrence, moi ».

C’est d’ailleurs ce désir de rompre avec le consensus permanent qui l’a poussé, à l’aube de la cinquantaine, à quitter le groupe Carlyle après douze ans passés au poste de directeur général pour l’Europe de la branche immobilière. « Au bout d’un moment, quand on est dans l’action, les réunions et tous les compromis qui vont avec finissent par peser. En créant ma société, j’ai voulu faire de l’immobilier animé par ma seule conviction ». Car, lui qui s’amuse à dire qu’il est entré dans l’immobilier par « accident », y est resté par passion. « A la base, j’ai fait l’ESTP avant de partir en 1986 au MIT pour suivre des études de sciences nucléaires. Or, arrive Tchernobyl et plus personne ne veut faire du nucléaire. Après quelques années, j’ai repris un master à l’Insead, mais en 1991, survient la guerre du Golfe. Bilan, je cherchais désespérément du travail et on m’a embauché dans l’immobilier juste parce que je parlais anglais. Au bout de trois ans, je me suis rendu compte que j’aimais vraiment ça ». Aujourd’hui, cet amoureux fou de musique classique fourmille de projets. A commencer par ouvrir sa politique d’acquisition à l’international. « Je me suis longtemps focalisé dans mes investissements au niveau des bureaux sur la France. Désormais, l’idée est de faire un fonds européen tourné en particulier vers l’Angleterre ». Un nouveau combat pour celui qui, après avoir pratiqué le tennis et le ski en compétition, s’est mis à la boxe depuis peu.

Anne-Lise Defrance

Laetitia Trêves (directrice des investissements immobiliers – Primonial REIM)

« Energie à foison »

Passion voyages ! Trois ans en VIE (Mon Volontariat International, ndlr) à Hong Kong pour HSBC dès son diplôme de l’Essec en poche, Lætitia Trèves aime à parcourir le monde et pas uniquement pour le travail ; trois mois en bus en Argentine l’ont aussi enthousiasmée.

Comment concilier ce goût du départ et… l’immobilier ? Laetitia Trèves y est venue par hasard, pour un rendez-vous d’embauche chez Catella, pensant intégrer un groupe financier. Mais l’excellent contact avec Emmanuel Schreder l’a convaincue de tenter l’aventure. Bien lui en a pris : elle a passé cinq ans dans la « super équipe » de Catella.

C’est en 2012 que Lætitia Trêves rejoint Primonial REIM, comme responsable de l’investissement en bureaux, structure alors en création avec Laurent Fléchet et Grégory Frapet. Laetitia Trèves, qui aime le mouvement, fut servie, en partageant la trajectoire fulgurante de l’investisseur passé en quelques années de 300 millions à 28 milliards d’euros d’actifs sous gestion.

La voici depuis dix ans chez Primonial REIM, mais cette stabilité recouvre un itinéraire qui bouscule les étapes à travers la diversité des missions, devenant en 2018 directrice des investissements immobiliers.

Il lui revient d’investir la collecte pour moitié en bureaux, mais avec un objectif de développement du résidentiel et des actifs de santé.

La crise sanitaire n’a pas empêché les belles opérations. En témoignent l’acquisition du siège d’ABN Amro, 28 000 m2 de bureaux avenue Hoche ou encore la signature d’un partenariat avec Grupo Lar, pour développer un portefeuille en commun. La crise a même conforté l’approche servicielle de Primonial. Un accord avec B&B Hôtels dont Primonial a acquis les murs d’une centaine d’établissements, a permis d’accompagner l’enseigne. L’énergie absorbée par son travail ne l’empêche pas de veiller à un équilibre de vie. Pour ses deux jeunes enfants et pour les membres de son équipe. Côté sport, c’est plutôt sur les courts de tennis que vous pourrez la croiser, dépense d’énergie d’autant plus nécessaire que le télétravail a progressé. Avant de repartir pour d’autres voyages, Lætitia Trêves attend avec impatience de retrouver son équipe rue de Naples, avec les 180 collaborateurs du groupe dans un nouvel ensemble rénové avec plus d’espaces communs. De quoi faire fructifier l’esprit d’équipe qu’elle aime à susciter.

Bertrand Desjuzeur

"La course au succès" : le portrait de Maud Wargny, élue "Asset Manager & Investisseur" aux "Pierres d'Or 2021